samedi 31 décembre 2016

L'affaire de la belle évaporée (les mystères de la table ronde de l'Algonquin #2) - J.J.Murphy

A friendly game of murder (Round Table Mysteries #3), NAL, 2012 - Editions Baker Street (trad. de Y.Sarda), 2016.

  31 décembre, New York, pendant la Prohibition.
  En compagnie de ses fidèles amis, Woollcott et Benchley, Dorothy Parker fête le nouvel an à l’hôtel Algonquin. La grande star de théâtre et de cinéma, Douglas Fairbanks, y organise une réception dans sa luxueuse suite. Alors que la soirée bat son plein, l’un des invités, le Docteur Hurst, annonce qu’un cas de variole vient d’être détecté, et l’hôtel est mis en quarantaine. Le cauchemar ne s’arrête pas là : quelques heures après le début des festivités, Bibi Bibelot, l’extravagante vedette de Broadway, est retrouvée sans vie dans un bain de champagne.
Dans une course contre la montre, Dorothy va mener l’enquête, épaulée par Sir Conan Doyle, le célèbre créateur de Sherlock Holmes. Une investigation à huis clos, où personnages réels et fictifs se croisent et se recroisent. D’un étage à l’autre, questions, dilemmes et révélations s’enchaînent et s’entrechoquent, alors que le meurtrier, lui, continue à échapper aux membres du Cercle Vicieux.
  J. J. Murphy signe, avec ce nouveau roman de la série de la « Table Ronde », un épisode riche en humour et en rebondissements. L’Affaire de la belle évaporée et Le cercle des plumes assassines, le premier roman de la série paru en France en 2015, ont tous deux été nominés pour le prestigieux prix du polar « Agatha ».

***

  Grand passionné des Années Folles - une période qui m'émoustille autant historiquement qu'esthétiquement - , je n'ai pas tergiversé longtemps quand ce roman m'a été proposé en partenariat. Y voyant une alternative aux Folles enquêtes de Phryne Fisher, je m'y suis plongé avec grand enthousiasme, apprenant tout en même temps qu'il s'agissait là d'une suite au Cercle des plumes assassines, paru l'an dernier et dont on m'avait dit le plus grand bien. Fort heureusement, chaque tome de cette série peut se lire indépendamment des autres, et il se trouve que le synopsis de celui-là correspondait impeccablement bien à cette période de fêtes de fin d'année.


  A l'Hotel Algonquin où la mordante auteure et critique Dorothy Parker a élu domicile, le réveillon de la St Sylvestre bat son plein. Tout le gratin s'est donné rendez-vous à la fête organisée dans la suite au dernier étage de l'acteur Douglas Fairbanks : les amis du club littéraire de Dorothy, la crème du monde culturel, et même Sir Conan Doyle, l'auteur de Sherlock Holmes, alors en tournée en Amérique! Oh, et n'oublions pas Bibi Bibelot, dernière starlette écervelée en date issue de la machine hollywoodienne : le jeune femme a su faire sensation dès l'apéritif, en se baladant nue comme un ver dans le salon des Fairbanks avant d'aller se plonger dans une baignoire pleine de champagne! Et dire qu'au dehors, c'est le règne de la prohibition... Mais quelques heures plus tard, alors que minuit sonne et que Dorothy se livre avec ses amis à une Murder Party, elle découvre, toujours dans la même baignoire, le corps de Bibi, assassinée! L'hôtel mis en quarantaine à cause d'une suspicion de variole dans l'une des chambres, voilà notre beau monde coincé avec un cadavre et... un meurtrier. Aidée de son ami l'humoriste Benchley, de l'insupportable critique théâtrale Woolcott, sans oublier de Conan Doyle, Dorothy se met en chasse de l'assassin dans une course contre la montre : elle a jusqu'au petit matin et la réouverture des portes pour mettre bas les masques.


  Que voilà une lecture parfaite pour les fêtes des passionnés de polar vintage! Et plus qu'une anecdote : J.J.Murphy met en scène des personnages inspirés de l'Histoire culturelle des Etats-Unis des années 20, transformant la célèbre critique Dorothy Parker et ses acolytes en apprentis enquêteurs pleins de gouaille et de verve. Dorothy, Benchley, Woolcott... tous étaient membres de ce qu'on appelait alors la table ronde de l'Algonquin Hotel.  Derrière ce nom fantaisiste, il s'agissait en fait du plus fin des cercles littéraires, qui se réunissait autour de soirées à retailler la bavette de l'univers des critiques livresques  et à s'amuser de quelques bons mots d'esprits. J.J.Murphy s'approprie à merveille cette atmosphère, égrainant sa chasse à l'assassin de jeux de mots et contrepèteries chers aux cercles d'auteurs surréalistes. La subtilité du verbe garde par ailleurs son mordant d'origine, grâce à une traduction fignolée comme il se doit.

 L'hotel Algonquin, toujours en service depuis les 20's.

  Dans cette ambiance à la fois intelligente et pétillante, on se régale d'une reconstitution historique plus vraie que nature des années 1920 et de la vie mondaine (ou de bohème?) telle que menée dans un grand hôtel de l'époque. Entre champagne et paillettes, on croise avec excitation un florilège de célébrités : Conan Doyle (qui a bel et bien fait une tournée aux Etats-Unis pendant cette décennie), le comédien Douglas Fairbanks, ou encore l'actrice Mary Pickford. Dorothy, héroïne de cette série, rend un superbe hommage à son modèle véritable : émancipée, franche, fine comme une lame de rasoir et parfois aussi délicieusement sarcastique qu'elle peut se montrer tendre, on tient là une nouvelle détective on ne peut plus charismatique!

Les véritables Dorothy Parker et Robert Benchley.

  N'oublions pas de parler de l'intrigue policière qui, dans cet écrin tout en ambiance et en humour, est loin d'être négligée. Même si c'est un tout qui contribue à la réussite de cet ouvrage (et qu'on adore voir les investigations de notre joyeuse troupe entrecoupées de passages cocasses à mourir de rire), J.J. Murphy nous a concocté un meurtre presque parfait qui fait honneur à la grande tradition du whodunit! Les admirateurs du genre seront conquis.

La célèbre "table ronde" de l'hôtel, où le cercle avait ses habitudes.

En bref: Un huis clos policier classieux dans le contexte tonitruant des années folles, et des personnages mi-romancés, mi-historiques, hauts en couleurs. Un whodunit irrévérencieux et savoureux qui trouve l'équilibre parfait entre pastiche et hommage. Champagne!

Avec un grand merci à L&Pconseils
et aux éditions Baker Street pour cette pépite! 



Et pour aller plus loin:

vendredi 30 décembre 2016

Be our Guest ... as long there's christmas - Voeux de fin d'année.


  Après l'avoir annoncé dans mon article de participation au challenge Christmas Time, je partage avec vous quelques images de mon Noël, dont j'avais alors annoncé la couleur et le thème : Be our Guest! Soit : Un noël au château de la Belle et la Bête ( mieux qu'à Disneyland! ) au croisement du célèbre dessin-animé et de sa suite, le Noël enchanté.
  Aussi, avant de vous faire le tour du propriétaire (salle de réception, boiseries, ... sapin!), j'en profite pour vous présenter mes désormais traditionnels vœux d'entre-deux fêtes...



Merry Christmas 
 (avec un léger différé)
& Happy New Year 
 (avec une petite avance)!

  Et je vous souhaite pour cette occasion d'être gâtés en lectures, en lecture et encore en lecture. Et en magie aussi, parce qu'on en a toujours besoin ;)
(Bon, et comme dirait BigBen, en Pudding égakement. Et "avec du cognac, parce qu'on est pas des barbares!")

 
  Et en parlant de magie, il y en avait quelques étincelles, au terrier ! Après le Noël passé à Poudlard, ces nouvelles fêtes en compagnie de Lumière, Big-Ben et Mrs Samovar furent tout aussi amusantes. Peut-être est-ce à cause des scènes sous la neige ou de la suite se déroulant intégralement à Noël mais, petit, le dessin-animé La Belle et la Bête était un élément inconditionnel des vacances d'hiver et des fêtes de fin d'année. Si le deuxième opus était jugé moins poétique par les puristes (car créé dans un but purement commercial, bla bla bla...), l'ambiance de réveillon qui s'en dégage et l'animation somme toute très correcte en font une suite très enthousiasmante quand on a huit ans, et suffit à marquer l'imagination. Côté chanson, "Tant qu'il y aura Noël" n'égale bien sûr pas la célébrissime "C'est la fête", mais reste assez entrainante pour nous donner l'envie de danser en rond avec les assiettes, chanter avec sa théière, et se taper la discute avec ses chandeliers! Allez, rien que pour se mettre dans l'ambiance, je vous en remets une couche...


  Oh, et puis ce sapin tout en cuivres de cuisine et en vieille vaisselle... Gamin, je le trouvais déjà plus décoratif qu'un vrai. Je crois d'ailleurs que c'est grâce à ce dessin-animé que j'ai petit à petit donné dans les sapins détournés au fil des années suivantes, me jurant à chaque fois qu'un jour, je finirai par me construire le même ...

  Alors hop, cette année, c'est décidé : on sort la porcelaine et l'argenterie du vaisselier - ou on les laisse sortir tout seul, ils savent faire :
  Et on les empile en équilibre aussi stable que possible, avant d'appeler les boules et guirlandes qui ont dormi toute l'année au grenier à descendre nous rejoindre...
   Quelques heures plus tard, l'imagination aidant, "de la misère nait la technique" (comme dit Grand-Mère Lapin): à défaut d'un sapin de bois et d'épines, on obtient un substitut des plus élégants et qui en met plein les yeux...


  N'oublions pas de remercier aussi le maître d'hôtel, l'intendant et la gouvernante pour leur présence:
  
 Lumière est homemade, voui voui...
 ... eux deux, non, mais c'est un vrai service à thé en porcelaine, voui, voui, voui...
...Et lui ne donne pas l'heure, mais il est homemade aussi, na!

  ... Bon, tout ça, c'est bien beau mais du travail nous attend - Mrs Samovar et moi - en cuisine. Reste encore un réveillon demain soir et nous avons de l'ouvrage en perspective : Réveiller l'argenterie et faire briller la porcelaine (comme elle le dit si bien) puis, pour citer Lumière, plat du jour, hors d’œuvre, cuisine au beurre, etc... Bref, un vrai repas de fête reste à confectionner. Avant que le dernier pétale de la rose ne tombe et que minuit ne vienne sonner la nouvelle année, je m'en retourne donc à mes ultimes préparatifs...


  Et pendant que nos deux amis égrainent silencieusement les minutes jusqu'à demain soir, je vous renouvelle une fois encore mes plus sincères et meilleurs vœux pour ce nouveau cycle qui commence ;).
***
 
 

mercredi 28 décembre 2016

Gourmandise littéraire : Le Strudel de Queenie.


  Ceux qui ont vu le très sympathique Les animaux Fantastiques et qui sont tout aussi friands de magie que de pâtisserie auront certainement craqué devant la fameuse scène "Pie or strudel?". Lorsque Newt Scamander (Norbert Dragoneau) et son ami Jacob se retrouvent à passer la soirée chez les sœurs Goldstein, la douce et adorable Queenie demande s'ils préfèrent une tarte aux pommes ou un strudel. Jacob, pâtissier juif, a une préférence pour le second et ça, Queenie, en bonne télépathe, le sait pertinemment. S'en suit, d'un coup de baguette magique, un ballet de pommes et de raisins qui s'élèvent dans les airs pour se laisser enrouler dans une pâte croustillante, cuite comme par enchantement avant de se déposer d'elle-même au centre de la table... Un passage qu'on peut relire avec délice dans le script original de J.K.Rowling, disponible en VO dans toutes les bonnes librairies...


" With a flick of her wand, Queen sends raisins, apples and pastry flying into the air. The concoction neatly wraps itself up into a cylindrical pie, baking on the spot,complete with ornate decoration and a dusting of sugar. "

Fantastic Beasts and where to find them: the original screenplay, J.K.Rowling, 2016.


  Si c'est au strudel que va la préférence de Jacob, c'est qu'il s'agit d'une pâtisserie iconique de la gastronomie juive, même si son origine se situe plus globalement dans la cuisine de toute l'Europe Centrale. On remonte sa création à l'Empire Otoman et l'on en croise de tout temps en Suisse alémanique, République Tchèque, Hongrie, Slovaquie, mais aussi en Allemagne. Pour la France, l' anecdote veut que ce soit Marie Antoinette qui fit importer la recette, également très appréciée en Autriche.
  Si la garniture reste peu ou prou la même d'une contrée à l'autre (mélange de pommes, raisins secs, et épices), la pâte peut varier: pâte filo dans les recettes juives, elle devient souvent feuille de brick dans les versions plus récentes, mais aussi pâte feuilletée en Allemagne. Et au croisement de ces quelques dissemblances, on trouve aussi une recette traditionnelle de pâte à strudel à faire soi-même, dont je vous propose plus loin la composition.

  Et si l'on s'en remet aux traditions juives, l' Apfelstrudel est souvent servi sur les tables du Nouvel An, c'est donc un dessert parfait pour la saison du Christmas Time! ;)

Ingrédients:

Pour la pâte à strudel:
- 250 g de farine
- 2 oeufs (blancs et jaunes séparés)
- 3 cuillères à soupe d'huile
- 1 pincée de sel
- 125 ml d'eau chaude.

Pour la garniture:
- 5 pommes (préférez 2 pommes de type boscoop ou reinette du Canada, et 3 de type Arianne ou Topaze)
- 50 gr de raisins secs
- cannelle en poudre
- 3 cl de jus de citron
- 1/2 c-à-s de maïzena (fécule de maïs)
- 75 gr de sucre muscovado (ou à défaut, de sucre roux)
- huile neutre

A vos baguettes magiques!

1)Préparez d'abord la pâte :


- Versez toute la farine dans une jatte. Creusez un puit et versez-y un jaune d’œuf, l'eau et le sel.
- Pétrissez à la main jusqu'à obtention d'une boule de pâte souple et non collante.
- Laissez là reposer à température ambiante pendant au moins trente minutes, couverte d'un torchon.

2) Préparez la garniture:


- Mettez les raisins à gonfler dans l'eau tiède.
- Epluchez et épépinez les pommes. Veillez à épluchez minutieusement en ruban les trois pommes colorées (celles de type Arianne ou Topaze) et réservez les épluchures (elles serviront pour la décoration).
-Coupez les pommes en quartiers ou en morceaux fins, et passez les à la sauteuse ou au faitout dans une cuillère à soupe d'huile neutre. 
- Ajoutez le sucre et une cuillère à soupe rase de cannelle. Laissez cuire à feu doux jusqu'à ce que les pommes commencent à dorer.
- Pendant ce temps, délayer à part la maïzena avec le jus de citron, puis versez ce mélange sur les pommes. Ajoutez les raisins secs, et mélangez encore cinq bonnes minutes. Une fois le mélange bien caramélisé et mi-cuit comme une compotée, retirez du feu et rectifiez l’assaisonnement en cannelle si nécessaire. Laissez refroidir.

3) Façonnez le strudel:


- Abaissez la pâte sur un plan de travail fariné. N'hésitez pas à la travailler longtemps et l'étirer au maximum. Vous devez obtenir un rectangle d'environ 50 sur 60 cm, quasiment transparent (les puristes diront que vous devez pouvoir lire La gazette du sorcier au travers...).
- Égalisez les côtés en taillant de fins rubans de pâte, que vous mettez de côté pour la décoration. Procédez à un ultime coup de rouleau à pâtisserie sur votre rectangle, puis tartinez-le de blanc d’œuf.
-Versez ensuite la garniture dans le premier tiers du rectangle, en veillant à laisser une marge au bord pour éviter qu'elle ne déborde au moment du façonnage ou de la cuisson.
- Roulez la Pâte sur elle-même de façon à envelopper la garniture et fermer le strudel, puis replier les extrémités. Disposez le sur un plat couvert de papier cuisson.

4) Finitions et cuisson:


- Avec les chutes de pâtes, formez trois tresses que vous disposez au centre et de part et d'autre du strudel. Veillez à avoir encore quelques chutes pour caler les roses de pommes.
- Passez 15 secondes au micro-onde les épluchures de pommes puis enroulez-les sur elles-mêmes, de façon à donner l'illusion de petits boutons de roses.
- Placez-lez sur le dessus du strudel (ne pas hésitez à les piquer un peu fermement et à caler leur base avec de discrètes et ultimes chutes de pâte finement roulées autour).
- Dorez le strudel avec le dernier jaune d’œuf, puis laissez cuire au four préchauffé à 200 degrés, 25 à 30 minutes.
- Servez froid ou tiède, coupé en tranches.


  Voilà un dessert magique, parfait pour les fêtes... et pour retrouver l'énergie nécessaire à une chasse aux créatures!



mardi 27 décembre 2016

La Dame de Pique - A.Pouchkine, illustré par Hugo Bogo.

Пиковая дама, Pikovaïa dama, 1834 - Traduction de P.Mérimée, 1852 - Editions Sarbacane, 2016.




  Une nuit d'hiver, à Saint-Pétersbourg, cinq amis discutent du secret que détiendrait la vieille et richissime comtesse Anna Fedotovna : une combinaison de trois cartes gagnantes au jeu. Fasciné, Hermann, jeune officier pauvre témoin de la scène, décide de séduire la demoiselle de compagnie de la comtesse, afin de découvrir le secret... 




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  Il n'y a pas que Dickens pour nous servir des fantômes en plein hiver! Avant lui, l'auteur Alexandre Pouchkine nous racontait déjà des histoires à faire peur dans des décors enneigés. Cet écrivain vu comme le fondateur de la littérature russe moderne déclina son talent dans de multiples œuvres, tant fantastiques qu'historiques avant de se tourner avec la même réussite vers la nouvelle. Cet album fraîchement paru offre l'opportunité de le redécouvrir sous une nouvelle forme illustrée.



  Comme souvent dans la construction des nouvelles fantastiques, celle-ci débute par une histoire rapportée : Au cours d'une partie de carte, le petit-fils de la vieille comtesse Fedotovna raconte que son aïeule aurait fondé toute sa richesse sur une combinaison de cartes toujours gagnante, secret qui lui aurait été délivré 70 ans plus tôt à Versailles par le mystique comte de St Germain. Hermann, jeune officier de modeste condition, se promet d'arracher ce secret à la vieille comtesse et ainsi devenir riche... Pendant ce temps, dans le palais d'Anna Fedotovna, la comtesse à moitié sourde et moitié aveugle fait vivre un enfer à ses domestiques, dont sa demoiselle de compagnie, jeune et effacée. Cette dernière noie son ennui dans la broderie et la lecture à la fenêtre de laquelle elle aperçoit un jour un jeune officier qui fait le guet au pied de la bâtisse. Chaque jour, le beau jeune homme revient au même endroit et, aux premiers échanges de regards entre les deux jeunes gens suivent les échanges de lettres... Mais on apprend vite que cet officier n'est autre qu'Hermann, qui par la séduction de la jeune fille, entend bien s'introduire dans le palais et voler le secret de la comtesse. Une nuit, ayant convenu d'un rendez-vous secret avec la belle demoiselle, il se cache dans la chambre d'Anna Fedotovna sans savoir que cela amènera sa chute...


  Si le début du récit renvoie effectivement à la construction habituelle des nouvelles fantastiques comme on les connait en Europe, l'auteur tient l'attention du lecteur tout d'abord par des thèmes aux relents de mystique savoureux (passé de la comtesse et rencontre avec le mystérieux comte de St Germain, figure historique déjà croisée dans Rouge Rubis et le tome 2 d'Outlander - décidément! ), puis par une construction très avant-gardiste, superposant la narration d'un chapitre à l'autre en reprenant certains événements communs, mais tout en suivant un autre protagoniste. Révélant progressivement certains éléments énigmatiques ou secondaires (qui est l'officier qui fait le guet au pied du palais, ou encore ce qui se passe pendant qu'Hermann s'introduit en pleine nuit chez la comtesse), cette narration nous achemine lentement vers les événements qui précipiteront la chute tant sociale que psychologique du personnage principal. Dans des décors opulents de palais impériaux et de salles de bal luxueuses, Pouchkine nous conte une histoire sur le jeu, l'amour et la cupidité, moyennant quelques apparitions fantomatiques et laissant planer le doute d'une malédiction inévitable...



  Si la qualité du texte n'était plus à prouver, encore fallait permettre une redécouverte à l'échelle de cette édition sous forme d'album, magnifiée par les illustrations du jeune Hugo Bogo. Né en 1989, ce peintre et dessinateur qui s'adonne autant à la BD qu'aux décors de cinéma et de théâtre signe ici une galerie d'images qui évoque avec faste et élégance la Russie Impériale du XIXème. Dans un style minutieux au détail qui évoque la peinture à l'huile, H.Bogo nous plonge dans des scènes hypnotiques de réalisme où l'on ne se lasse pas d'admirer les moulure et dorures des décors. Les dessins extérieurs font se côtoyer des palais éclatants et des paysages enneigés sous des prises de vue audacieuses, dont l'effet étourdissant est renforcé par une luminosité hivernale et quasi-aveuglante plus vraie que nature. On sent presque le froid nous saisir et le givre s'échapper des pages, tandis que l'on croit battre les pavés luisants de St Petersbourg à la poursuite de ses fantômes...


En bref : Une réédition illustrée bienvenue de ce classique de Pouchkine, magnifié par les illustrations glacées et pleines d'un saisissant réalisme d'Hugo Bogo. Des images enneigée et luxueuses, étourdissantes et resplendissantes, pour nous conter cette histoire de fantômes d'hiver.


vendredi 23 décembre 2016

Lumière, le voyage de Svetlana - Carole Trébor.

Illustrations de Sebastien Pelon, éditions Rageot, 2016.

  Hantée par la dernière volonté de sa mère adoptive, Svetlana quitte le Paris des Lumières pour rejoindre la Russie des tsars. Au cours de ce voyage, elle rencontre des êtres mystérieux, Varlaam et Mira, et se découvre d’étonnants pouvoirs... Pour accepter sa véritable identité, Svetlana doit affronter sa part d’ombre. Et qui, de Boris l’officier d’élite, ou d’Aliocha, le paysan rebelle, l’aidera à se révéler à elle-même ?
Entre raison et passion, ombre et lumière,
le destin captivant de Svetlana.
 « Carole Trébor mêle roman historique et roman fantastique, philosophie et surnaturel avec évidence. LUMIÈRE est un roman lumineux ! » (Nathalie Bertin, librairie Millepages, Vincennes).
***
  Le temps a bien passé depuis l'introduction que le dessin-animé Anastasia avait offert de la culture russe à ma génération. Avec les années, je me suis vu naître une réelle curiosité pour ce pays, appréciant d'autant plus le redécouvrir à travers la littérature. Côté jeunesse, le féérique (mais jamais niais et merveilleusement romanesque) Sophie et la princesse des loups tenait le haut du panier dans mes dernières lectures du genre. Annoncé dès la fin de l'été, ce Lumière semblait assurer sa digne suite dans ma bibliothèque, présentant l'autre excellent intérêt à mes yeux de se dérouler pendant le siècle des Lumières, une période que j'affectionne particulièrement. Cerise sur le gâteau, le tout est illustré par Sébastien Pelon : un détail non négligeable...


   Verdict? Après lecture et réflexion, même si je pinaillerai tout à l'heure, je conclue à un avis très positif! Auteure de la saga à succès Nina Volkovitch, qui mêlait déjà Histoire russe et fantastique, et d'un tome du cycle U4, Carole Trébor est déjà connue et reconnue dans sa profession. Pour ce titre, on sent une vraie passion pour le siècle des Lumières et son réel plaisir de le raconter, avant de nous transporter vers les steppes enneigées de la Russie impériale. Le périple de sa jeune héroïne est raconté dans une atmosphère très bien restituée : on passe des rues animées du Paris du XVIIIème aux plaines glacées battues par les brigands de la Lituanie, avant d'arriver dans les fastueux palais de Saint-Petersbourg. Dépaysement et enchantement garantis.

 Paris au temps des Lumières, et le palais impérial à St Petersbourg.

  Dans cet écrin restitué avec qualité, Carole Trébor nous sert un récit d'une sympathique originalité, mêlant donc Histoire (découvertes scientifiques en plein siècle des Lumières, comme évoqué plus haut, mais aussi situation politique de la Russie de la Grande Catherine) et fantastique (issu du folklore slave et des croyances païennes de la vieille Europe de L'Est). Elle parvient ainsi à faire progressivement coexister la Russie des Tsars et ses intrigues de cour avec les dieux et esprits de la nature célébrés dans les contrées reculées. Cette association amène par ailleurs notre héroïne Svetlana, "enfant des Lumières" qui se découvre descendante des Sorcières de l'Oural, à l'amorce d'une jolie réflexion sur les différences entre savoir et croyance, sciences et indicible, et de l'équilibre à trouver entre les deux.

Svetlana?

  Les personnages sont intéressants, même si j'ai regretté que le père adoptif de l'héroïne et leur ami Guy, artiste truculent à la jambe de bois, disparaissent trop rapidement. Restent Aliocha, le jeune rebelle qui vit au contact de la nature et devient son attachant compagnon de voyage, mais surtout Catherine II, dite 'La Grande'. J'ai été agréablement surpris, pour un roman jeunesse, de voir cette grande figure de l'Histoire restituée dans toute son ambigüité : Loin d'un manichéisme simpliste, Carole Trébor dresse d'elle un portrait à la fois sombre et lumineux, et l'on entrevoit autant l'admirable souveraine de pouvoir et de savoir que la despote éclairée.

 Catherine II et Diderot

  Comme dit plus haut, je ne peux, cependant, m'empêcher de pinailler un petit peu: peut-être était-ce du à la fatigue de l'Hiver, mais je suis resté parfois perplexe face à certains éléments. J'ai par exemple regretté que la première partie (précédent le voyage en Russie) nous soit racontée en vitesse accélérée, nous obligeant à quitter rapidement l'atmosphère toute aussi fascinante du Paris des Lumières que le génial personnage qu'est Diderot. A peine entraperçu, on ne peut assez se satisfaire du charisme prometteur qu'il laissait imaginer. Une légère (très légère) déception que j'ai pu retrouver avec Svetlana elle-même : presque victime d'un destin qui lui est tout tracé, les espaces de libre action lui manquent pour mettre en scène tout son tempérament, qu'on devine pourtant vif et bien trempé. Mais la fin, quasi ouverte, me laisse espérer une suite qui verra son personnage évoluer...


  En bref : Entre Histoire et mythologie, un récit fantastique éclairé qui nous plonge avec originalité dans l'Europe des Lumières. Si quelques éléments mériteraient peut-être être davantage exploité (on l'espère dans un éventuel second tome?), il en reste un voyage dépaysant dans le décor enneigé de la Russie. Une aventure à la fois magique et érudite.

Et pour aller plus loin...