« Nous, les trois sœurs Fossil, nous jurons de faire entrer notre
nom de famille dans les livres d’Histoire, parce qu’il n’appartient qu’à
nous, et que personne ne pourra dire qu’on est devenues célèbres à
cause de nos parents. »
Lorsque Matthew Brown, un explorateur anglais passionné de fossiles,
adopte trois orphelines au cours de ses voyages, il leur donne le nom de
« Fossil » et les confie à sa nièce avant de repartir en mer.
Mais lors de ses pérégrinations, le vieil homme disparaît, et sa
famille adoptive subit un revers de fortune. Espérant devenir
indépendantes, les trois orphelines Fossil intègrent alors une académie
de danse et de théâtre. Parviendront-elles à vivre de leur art ?
***
"La cliente : Vous avez les livres des Chaussures ?
Le vendeur : Les livres des Chaussures ? De quel auteur ?
La cliente : Je ne sais pas. J'ai une amie qui m'a dit que ma fille devait lire Les chaussures, alors je suis venue.
Kathleen Kelly : Noel Streatfeild. Noël Streatfeild a écrit Petites galoches, et Petits chaussons de danse, et Petits patins à glace et Petites bottes. Je lui ferais lire Petites galoches en premier, c'est mon préféré. Bien que Petits chaussons de danse soit une pure merveille, mais c'est épuisé."
Vous avez un mess@ge, film de Nora Ephron.
C'est dans le film Vous avez un mess@ge, comédie romantique phare des années 90, qu'on a entendu parler pour la première fois de Ballet Shoes, ce grand classique de la littérature jeunesse anglaise. Dans ce film où la librairie de l'héroïne (angélique Kathleen Kelly campée par une adorable Meg Ryan) occupe une place centrale, on ne se lasse pas de traquer et de reconnaître les ouvrages qui garnissent les étagères – même au centième visionnage. Quand le film sort dans l'Hexagone, Ballet Shoes est encore inconnu de ce côté-ci de la Manche et de l'Atlantique (de même que les autres romans de Noel Streatfeild), aussi la VF traduit-elle plus ou moins littéralement le dialogue et le titre du roman. Comment ne pas se laisser attendrir par ce passage (Meg Ryan finit en larmes au terme de la scène) et comment ne pas prendre en compte une recommandation de Kathleen Kelly ? "Une pure merveille", nous dit-elle.
Il fallut attendre près d'un siècle pour que le roman sorte enfin en France, un cas rare mais pas forcément isolé si on se penche sur la ligne éditoriale des éditions Novel, celles qui ont rendu la chose possible : le credo de cette maison, pari aussi incroyable que réussi, c'est de faire (re)découvrir au lectorat francophone les pépites oubliées ou inédites de la littérature jeunesse anglo-saxonne. C'était donc une évidence, après avoir donné une nouvelle vie aux chefs-d’œuvre d'Edith Nesbit et de Franklin W. Dixon, de faire enfin connaître les sœurs Fossil !
Les sœurs Fossil, ce sont trois fillettes adoptées au gré de ses voyages par un excentrique paléontologue. Parce que sa nièce et pupille Sylvia et sa gouvernante Nana se plaignent du désordre causé par sa collection de pierres, ossements préhistoriques et fossiles divers et variés, le chercheur promet de ne plus rapporter de cailloux de ses périples... mais lorsque des orphelines lui tombent dans les bras et qu'il ne peut se résigner à les abandonner à leur triste sort, le vieil aventurier décide de les ramener à la maison. Ainsi grandissent Pauline, Petrova et Posy : au sein d'une famille atypique qui tente de leur offrir ce qu'il y a de mieux pour elles. Lorsque leur père adoptif, affectivement surnommé oncle Gom, disparait pendant un énième voyage, Sylvia et Nana doivent retrousser leurs manches pour faire tourner la maison. Afin d'avoir de quoi élever les fillettes, elles transforment la demeure en pension et hébergent toute une galerie de personnages charismatiques qui viennent rapidement agrandir la famille de cœur des orphelines. Lorsque l'une des locataires, professeure de danse dans une grande institution des arts de la scène, propose aux sœurs de rejoindre l'école, c'est tout un monde nouveau qui s'ouvre à elles.
Sorti en Angleterre en 1936, Ballet Shoes est cité au palmarès des 1001 livres d'enfants qu'il faut avoir lu pour bien grandir (véritable bible du genre, qui ne liste que des valeurs sûres) – et pour cause : ce roman se lit encore parfaitement bien malgré ses presque cent ans et n'a à l'évidence rien perdu de son charme. L'écriture, tout d'abord, est délicieusement anglaise (les anglophiles comprendront) et ravira tous les lecteurs férus de classiques de littérature enfantine comme seule la Grande-Bretagne sait en produire. La traduction française parvient à conserver cet élan, cette patte et cette fantaisie caractéristiques du genre. On retrouve aussi au programme les archétypes qui ont fait le succès d'une littérature de jeunesse alors encore émergente, à savoir des héros ou héroïnes orphelin.e.s contraints de développer des trésors d'imagination pour se frayer un chemin dans l'existence et aller au bout de leurs rêves.
Autour de cette situation initiale qui pourrait passer pour relativement convenue, l'autrice développe des personnages et des rebondissements qui font de Ballet Shoes une histoire inoubliable. On s'attache à chacun des protagonistes (autant aux sœurs qu'aux locataires, qui ont plus d'une fois un rôle à jouer dans le devenir des héroïnes), tous attendrissants sans jamais être mièvres. Pauline, Petrova et Posy se distinguent par des personnalités et des ambitions divergentes qui, d'ailleurs (et c'est en cela que l'intrigue n'est ni lisse ni facile) ne vont pas forcément dans le sens qu'on s'imaginerait tout tracé de l'histoire. Avec le personnage de Petrova, par exemple, Noel Streatfeild se révèle furieusement moderne en lui préférant des aspirations en décalage avec ce qu'on pouvait attendre d'une fille à cette époque et, surtout, en les valorisant. On pense ainsi souvent aux Quatre filles du Dr March, le monde de la scène en plus. En effet, l'univers dans lequel évolue les trois filles fait la part belle à la culture littéraire et théâtrale anglaise, un écrin dans lequel on s'immerge avec délice.
Initialement illustré par Ruth Gervis, la sœur aînée de l'autrice, Ballet Shoes bénéficie pour cette édition française d'une impeccable mise en image par Marine Cabidoche, dont on découvre ici le travail et le talent. Les bouilles pleines de malice des personnages apportent une fraicheur qui fait échos au dynamisme de l'écriture, le charme d'antan étant parfaitement restitué.
En bref : Enfin édité en France près d'un siècle après sa publication originale, Le serment des sœurs Fossil (Ballet Shoes) n'a rien perdu du charme qui l'a rendu célèbre. Ce grand classique de la littérature de jeunesse anglaise est une véritable pépite : les personnages y sont aussi variés qu'attachants et le lecteur se laisse emporter par le tumulte et les péripéties autour des nombreux rêves d'avenir de ses héroïnes. On pense aux personnalités fortes et contrastées des Quatre filles du Dr March que serait venue relever de sa fantaisie coutumière une Angleterre d'antan. Touchant et malicieux, ce livre est une petite merveille.