samedi 2 février 2019

Peau d'âne - Féerie musicale d'après J.Demy et M.Legrand adaptée de C.Perrault, mise en scène par E.Sagi à Marigny.



Peau d'Âne

Une féérie musicale d'Emilio Sagi
d'après le film de Jacques Demy adapté de Charles Perrault
Musique de Michel Legrand

Avec : Marie Oppert, Michael Denard, Emma Kate Nelson, Mathieu Spinosi, Claire Chazal...

Au théâtre Marigny du 14 Novembre 2018 au 17 Février 2019.


« Prenez de la … /… prenez de la farine
versez dans la … /… versez dans la terrine… »

  La confection du cake d’amour par Catherine Deneuve dans le film réalisé par Jacques Demy est une scène délicieuse. Dans le gâteau destiné au prince, Peau d’âne glisse sa bague, indice qui la libérera de sa triste peau.  Car les princesses, qu’elles s’appellent Peau d’âne, La Belle au bois dormant ou Cendrillon finissent toujours dans les bras d’un prince. Obéissantes et sages, elles surmontent (sans broncher) la méchanceté, l’humiliation et la dureté de la vie des pauvres, avant que – grâce notamment aux coups de pouce de marraines bienveillantes – ne s’ouvre le chemin de roses de leur destinée.

  Peau d’âne fut le plus grand succès public de la carrière de Jacques Demy. Sorti en décembre 1970, le film séduisit le public par le raffinement de la mise en scène, la féérie des décors et des costumes, l’époustouflant casting (Catherine Deneuve, Jean Marais, Jacques Perrin, Delphine Seyrig, Micheline Presle) et les mélodies de Michel Legrand.

***


   Voilà cinq ans que le théâtre Marigny était en travaux. Il a de nouveau ouvert ses portes en Novembre dernier, sous la direction de Jean-Luc Chopin, bien décidé à en faire une nouvelle place forte de la comédie musicale. Et quoi de mieux pour marquer ce renouveau que de proposer une adaptation scénique du Peau d'Âne de Jacques Demy? Bien sûr, Michel Legrand est de la partie et a même retravaillé quelques morceaux parmi les célèbres chansons du film original. S'il est impossible de les séparer du long-métrage, le Peau d'Âne de Demy c'est aussi une mise en scène enchanteresse et un visuel unique, que l'on s'attend nécessairement à retrouver -au moins en substance- sur scène. Nous y sommes allé dévorés par la curiosité... Verdict?

 Trailer du spectacle.

  Applaudissons tout d'abord la scène qui, avant même le début du spectacle, est un régal pour les yeux : voilée d'un rideau de chainettes dorées, encadrée d'arbres sinueux et féériques, elle se révèlera plus tard ornée d'un fond couvert de miroirs qui ajoutent une profondeur surréaliste. A peine est-on installés que l'on reconnait ce qui faisait le charme esthétique du film de Demy : nature extérieure et architecture intérieure se confondent, les détails bucoliques s'invitent dans un écrin baroque... pour peu, on se croirait dans le décor d'un sonnet de Shakespeare ou d'un quelconque Songe d'une nuit d'été. Puis la sonnerie annonce le début du spectacle, la salle baigne dans une lumière bleue scintillante et la musique d'ouverture de Michel Legrand se fait entendre.


  Et là, c'est l'extase : tellement habitués que nous sommes à l'entendre sur les images du film, nous avons oublié qu'elle a son existence propre. Pouvoir l'écouter ainsi jouée en partie par un véritable orchestre lui redonne une seconde vie et la met plus que jamais en valeur. On réalise alors à quel point Michel Legrand, disparu il y a seulement une semaine, était un génie : quelle meilleure conclusion que l'adaptation de sa célèbre bande-son pour la scène avant de tirer sa révérence?


  Cette impression ne nous quitte d'ailleurs pas de tout le spectacle et les chansons sont admirablement reprises par des chanteurs et chanteuses de talents, ici également acteurs. Parmi les rôles principaux, la jeune Mary Oppert reprend avec candeur le rôle tenu par Catherine Deneuve. Là où la "Grande Catherine" offrait une prestation altière et un peu froide (mais néanmoins excellente), Marie Oppert apporte une vraie fraîcheur et se montre beaucoup plus crédible en princesse ingénue au début du conte, avant de devenir peu à peu maîtresse de son destin. Sa voix, aussi, a quelque chose de plus que celle d'Anne Germain (qui doublait Deneuve pour les passages chantés), un accent un peu plus lyrique qui apporte plus de corps.


  Le prince, joué par Mathieu Spinosi, est crédible en amoureux transi et s'il ne ressemble pas physiquement à Jacques Perrin (qui jouait le rôle dans le film de 70), sa voix, en revanche, est tellement ressemblante que je me suis surpris à le chercher caché quelque part, en train de doubler son successeur! L'excellente surprise du spectacle reste néanmoins Emma Kate Nelson qui reprend le rôle de la fée des Lilas tenu autrefois par la talentueuse Delphine Seyrig : le costume est le même mais l'actrice anglaise prête ici merveilleusement bien son accent british à la fantaisie du personnage. Moins sérieuse que sa prédécesseuse mais toute aussi mutine, elle est aussi plus fantasque et offre une prestation haute en couleurs, savoureuse.


  Le bât blesse cependant avec certains rôles non chantés mais non moins importants dans l'intrigue. Tout d'abord, le roi et père de la princesse : joué par Michael Denard, ancien grand danseur étoile. A l'évidence, savoir danser ne confère pas forcément un talent pour le théâtre car même s'il est difficile de passer après Jean-Marais, il était possible de ne pas s'adonner à ce cabotinage désastreux : entre emphase et surenchère, non, il n'y a rien à faire, sinon conclure que c'est une très mauvaise prestation (pour dire, nous avions tous hâte que Peau d'Âne parte enfin du palais pour ne plus avoir à le supporter!). Même combat (en moins catastrophique, il est vrai) avec l'actrice qui joue la mère du prince, loin de l'élégance guindée de Micheline Presle, la reine d'origine. La nouvelle interprète du personnage semble à côté de sa propre interprétation et son jeu est monocorde, sauf lorsqu'elle se prête à quelques pas de danse et envolées de jupons pour distraire son fils malade d'amour (hum... tous ces parents ont décidément de drôles d'idées, dans ce spectacle!).


  Autre "rôle" pas totalement satisfaisant : celui du narrateur - ici une narratrice - tenu par... Claire Chazal! Si on devine un clin d’œil amusant dans le fait de confier cette mission à une ancienne présentatrice de JT, on ne peut que regretter que Claire Chazal, au demeurant excellente journaliste, n'ait ni la voix ni le ton vraiment à la hauteur : de fait, elle ne "narre" pas, elle "présente". Il aurait été tout aussi amusant de confier ce rôle à une vraie conteuse, comme Marlène Jobert, par exemple, qui aurait eu la diction appropriée tout en créant la surprise d'apparaître sur scène...


  Outre les arbres et les miroirs qui ornent la scène du début à la fin de la pièce, les différents décors se constituent principalement en pans de murs, fauteuils rococo, lits baroques ou trônes, que les comédiens eux-même déplacent et repositionnent d'une scène à l'autre. Ces ajustement sont effectués comme de véritables ballets, en tournoyant, dansant et virevoltant de façon hypnotique sur les mélodies de Michel Legrand, si bien qu'on ne perçoit jamais de temps-mort. Le temps de deux pas de danse et la cabane dans les bois est reconstruite sous nos yeux, l'espace d'une chorégraphie et des escaliers en colimaçon tournent sur scène... Parmi les décors et accessoires les plus remarqués, notons le trône en forme de chat du roi du royaume bleu, qui évoque celui du film de 1970, ainsi que ceux du roi et de la reine du royaume rouge, décorés de mannequins de vitrine écarlates. Selon les scènes, des panneaux et suspensions s'abaissent, amenant poésie et magie : chute de roses géantes en lévitation, grappes de lilas, ou bulles aériennes scintillantes...



 Les costumes , également, sont absolument sublimes : la garde robe de la princesse étant un élément clef de l'histoire, la costumière Pepa Ojanguren s'est surpassée. Si on a encore quelques réserves concernant la robe couleur du temps aux motifs de l'arc-en-ciel (où le film avait réussi à faire se mouvoir des nuages sur le tissu), les robes couleurs de soleil et de lune sont à la hauteur de nos attentes, de même que toutes les autres tenues, y compris celles des figurants. Pompons, dentelles, strass, collerettes... pas de doute, ce sont bien des personnages de contes de fées!


  Comme dans le film original, la mise en scène d'E.Sagi s'amuse d'éléments anachroniques : dans le long métrage, on assistait à l’atterrissage de la fée en hélicoptère. Ici, la marraine enchanteresse se déplace en rollers et possède un téléphone à cadran kitschissime à souhait. Elle fait s'évader la princesse non plus en charrette, mais sur une trottinette, et fait immortaliser le mariage final à l'aide d'un appareil photo! Mais... malgré ces quelques éléments originaux, il faut admettre une légère déception : cette adaptation reste très sage, sans aucune prise de risque. Les dialogues sont les mêmes que dans le film, au mot près (enfin presque : j'ai retenu seulement deux changements de pronoms -si, si, je connais les répliques quasi-par cœur- et mon amie a remarqué qu'il manquait une phrase dans l'une des répliques du prince, mais c'est tout), et cette version scénique ne s'autorise aucun ajout qui apporterait pourtant un petit renouveau bienvenu.


  Aussi, notons qu'à part quelques menus détails, la mise en scène ne s'encombre pas d'effets spéciaux. A part la superbe scène du rêve du prince et de la princesse où tous les deux s'envolent en chanson, le reste est un peu faible. C'est fort dommage ; certains artifices sonnent un peu de bric et de broc ou sentent le manque d'inventivité, et lorsqu'on a vu les prouesses techniques du Bal des vampires à Mogador ou même celles plus humbles d'Oliver Twist à la salle Gaveau, on est en droit d'être un peu déçu du manque d'ingéniosité développée pour l'occasion. Reste fort heureusement que pour le cake d'amour fait sur scène, la princesse casse de vrais œufs (si, si)!


En bref : Un spectacle féérique et onirique à souhait, porté par des décors enchanteurs et des costumes fabuleux. Cette adaptation scénique du Peau d'Âne de Demy permet de mettre en exergue mieux que jamais la musique du talentueux Michel Legrand. Les chansons sont magnifiquement reprises et les acteurs principaux remplissent fort bien leur mission (avec une mention spéciale pour la princesse et la pétillante fée des Lilas, qui méritent leurs tonnerres d’applaudissements en fin de spectacle). Malheureusement, quelques acteurs secondaires en font (beaucoup) trop, et la mise en scène manque souvent d'audace. Il en reste quand même un spectacle enchanteur et de qualité, alors profitez-en : il est encore à l'affiche pour quinze jours!

Petit reportage pour TV5 Monde.

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