jeudi 1 mars 2018

Cannibales - Régis Jauffret.

Editions Seuil, 2016 - Editions Point, 2017.

  



  Noémie a quitté Geoffrey. Elle s’en plaint à son ancienne belle-mère, Jeanne, et trouve chez elle un soutien. Dans des lettres passionnées, l’amante bafouée et la génitrice furieuse rêvent de vengeance, prévoyant de sacrifier l’odieux représentant de la race pénienne. Ensemble, elles rêvent de le tuer, de le faire rôtir, de se repaître de ses chairs persillées…




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  Impossible de résister à une telle couverture, ni à l'aspect malsain du résumé : Cannibales est également roman épistolaire, nominé au prix Renaudot des Lycéens et au prix Goncourt 2016. Les critiques ne tarissent pas d'éloge au sujet de ce court roman des plus énigmatiques. Il devait finir dans ma bibliothèque... Mais alors, qu'est-ce qu'il nous raconte?

"L'amour est beaucoup plus fou que je ne serai jamais folle, on l'enfermera avant moi."

  Au fil des lettres que contient l'ouvrage, le lecteur découvre Noémie, Artiste peintre de 24 ans, fraîchement séparée de Geoffrey, architecte de trente ans son aîné. Elle prévient de la rupture la mère de son ex-amant par courrier, vieille dame aux allures très "comme il faut", qui ne manque pas de dire ses quatre vérités à la perfide. Et pourtant, malgré les premières insultes, un lien étrange lie les deux femmes, qui continuent d'échanger des lettres malgré la bile qu'elles déversent chacune à l'encontre de l'autre. Puis, sans que l'on comprenne réellement pourquoi, voilà qu'elle choisissent de s'allier, et de diriger leur fiel commun vers le fils, l'ex-amant. La mère s'avère bien moins poule qu'elle le laisse entendre, et la jeune femme bien moins bafouée qu'on l'imagine. Toutes deux rêvent d'une vengeance, celle du sexe féminin sur la race masculine au complet, dont  Geoffrey serait le représentant. Comment? Le séduire, le reconquérir, puis le tuer, et pourquoi pas, le dévorer.

" Je ne peux me passer de la perspective d’aimer. Plutôt circuler de main en main, jouer les mistigris, les évaporées, que soliloquer dans le vestibule et regretter en sortant de ma douche que seul le grand miroir du lavabo puisse se vanter de m’avoir vue nue depuis l’avant-veille. "

  L'amorce du roman et le revirement de ces deux personnages étonnent tout d'abord, intriguent, puis séduisent. Au fil des missives échangées, on découvre en fait deux femmes qui se meurent de l'idée de l'amour elle-même, vivent dans son deuil, cherche à l'entretenir ou le renouveler à n'importe quel prix, mensonges ou sacrifices. La métaphore de la dévoration est portée par une prose toute en figures de style qui sied parfaitement au genre épistolaire, rappelant ces autres lettres d'amour et de manipulation qu'étaient les Liaisons dangereuses de C.de Laclos. 


"A votre âge vous savez sans doute que les amours sont des ampoules. Quand elles n'en peuvent plus de nous avoir illuminés, elles s'éteignent. Il serait vain vouloir leur ouvrir le ventre pour tenter de les ranimer. Autant chercher à réparer un coucher de soleil au lieu d'accepter la nuit et attendre l'aube du lendemain."

  Mais voilà, passée la moitié du livre, les revirements d'humeur des personnages, leur folie douce, les répétitions, et la lourdeur du style commencent à devenir de trop. L'écriture nous semble soudainement ampoulée, on compte les pages qu'il reste à lire, puis on se surprend à lever les yeux au ciel de ne pas en voir la fin (Bon, vont-elles le cuire à la broche, qu'on en finisse?!). Dès lors, si l'antipathie qu'inspiraient jusqu'ici les personnage avait quelque chose d’intrigant qui ajoutait à la séduction malsaine du synopsis, elle nous devient insupportable. Dommage, donc, car d'un point de départ adroit et exotique en dépit de ses bizarreries, Cannibales s'empâte et nous perd en route.

R.Jauffret.

En bref : De bonnes idées, des personnages délicieusement diaboliques, et un style baroque à souhait qui perdent malheureusement le lecteur en tournant trop sur eux-mêmes. Il en reste cependant, il faut bien l'admettre, un roman qui ne laisse pas indifférent.

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