lundi 11 mars 2019

Querelle de Dieppe (Une enquête de Voltaire) - Frédéric Lenormand

Createspace Publishing, 2015.

  A l’automne 1728, Voltaire ne connaît pas un retour d’exil triomphal. Il a décidé de passer l’hiver à Dieppe avant de se risquer à Paris. Habilement caché sous l’identité de « Sir Francis Volty, sujet de la couronne britannique », il s’installe chez l’apothicaire Tranquillain Féret. Il en profite pour s’initier à la médecine et pour essayer sur lui-même toutes sortes de médicaments dans l’espoir de guérir son « état de langueur ». En fait, les sujets d’intérêt ne manquent pas. Qui a tué cette jeune femme en capeline rouge dont il découvre le cadavre en bas de la falaise au cours d’une promenade de santé en chaise à porteurs ? Qui a fait disparaître le copiste chargé de multiplier ses brillants manuscrits philosophiques ? Que veut cet inquiétant vicomte dont le manoir normand ressemble au repaire d’un savant fou ? Il ne reste plus à notre philosophe, entre deux pilules, qu’à éclairer les Dieppois de ses Lumières. 

  Avec cette novella de 92 pages, Frédéric Lenormand poursuit les aventures policières de son célèbre détective en perruque poudrée, digne prédécesseur d'Hercule Poirot.

***

  Après Panique à Rouen, je rempile pour cet autre tome de la série spin off des Voltaire mène l'enquête de Frédérique Lenormand. Voltaire n'a pas encore regagné Paris et rencontré la Marquise du Châtelet : sa tête est toujours mise à prix en France et pour l'instant, il passe d'une ville à l'autre en espérant éviter les représentants de l'ordre trop allergiques à la philosophie. Prochain arrêt : Dieppe!

" La ville était jolie et sentait bon l'iode marin. Ce n'était pas trop mal pour un malheureux réfugié, jeté hors de sa terre d'exil après deux ou trois malentendus avec les autochtones à bifteck. Il ne doutait pas que les Dieppois le bichonneraient mieux que ne l'avaient fait les Londoniens."

Plan de Dieppe en 1728.

"Aujourd'hui comme hier, il était le seul disposé à défendre l'innocence injustement incarcérée, à se battre pour le triomphe de la vérité, à dénoncer d'insupportables iniquités! Un chemin long et tortueux s'ouvrait devant lui.
Il commença par aller dîner pour prendre des forces..." 

  Après un séjour anglais qui s'est clôturé sur une défaite ( les sujets de Sa Gracieuse Majesté ont vite pris en grippe le philosophe français, eux aussi!), Voltaire accoste à Dieppe et trouve rapidement une chambre chez Tranquillain Féret, apothicaire notoire de la ville. Désireux de passer inaperçu au regard de sa piètre réputation, il s'y fait passer pour Sir Volty, historien anglais, et ce en dépit de son accent bien français. Parce que l'audacieux philosophe est un perpétuel malade imaginaire, il profite de son amitié naissante avec son apothicaire de logeur pour apprendre les secrets des plantes médicinales et devenir son apprenti : peut-être pourra-t-il glaner, au passage, quelques astuces pour améliorer sa propre santé si fragile. Tout irait donc pour le mieux si une femme n'avait pas eu l'idée de se faire assassiner! Une femme? Quelle femme? Celle en belle capeline rouge, que Voltaire lui-même a aperçu en galante compagnie à sa descente de navire. On identifie rapidement la victime, c'est la femme adultère du coutelier local, lequel est rapidement mis sous les verrous. Mais Voltaire -euh, pardon, Sir Volty- trouve le coupable un peut trop parfait à son goût, d'autant que toute la ville semble secouée par l'infidélité des femmes et de leurs maris : même le papetier du coin a laissé son épouse en plan avant de disparaître dans la nature! Entre un charmant petit chaperon rouge assassiné, une auberge digne de Blanche-Neige, et un seigneur aux allures de Barbe-Bleue, notre enquêteur en perruque poudrée et jabot de dentelles aura du pain sur la planche.

"- De quelle région d'Angleterre êtes-vous originaire? demanda le chimiste.
- De Dijon.
- Ah, c'est très au Sud de Brighton.
- Oh, vous savez, dit le descendant des fiers conquérants saxons, les royaumes maritimes ont des frontières très floues." 



 " Tranquillain Féret voulut lui montrer son laboratoire mais dut écourter la visite : l'élève essayait les médicament comme des bonbons.
- Vous avez "goût menthe"? Non? Vous devriez.
- C'est un laxatif.
- Je suis sûr que feriez fortune avec un laxatif "goût menthe".
  L'apothicaire allait devoir poser des cadenas sur ses bocaux."

  Retrouver le siècle des Lumières tel que raconté par Frédéric Lenormand, même pour un court récit de 92 pages, est toujours un plaisir jubilatoire. Rares sont ainsi les fictions historiques qui nous enrichissent autant qu'elles savent nous fait rire, prodige encore une fois rendu possible grâce à de minutieuses recherches de l'auteur et à son talent pour manier les phrases et leur tournure. L'enchaînement des répliques, les scènes empreintes de comique de situation et la distance légère entre les événements et la narration font tout le sel de cet ouvrage.

 Voltaire vers 1725.

"- J'écris la vie du roi de Suède Charles XII.
- Ah, il y a un roi en Suède? dit la pharmacienne.
- Ils en sont déjà à douze? s'étonna son mari.
- C'est où, la Suède? demanda la grand-mère.
  L'écrivain avait bien fait de choisir ce sujet, il y avait du débroussaillage."

  L'intrigue est évidemment moins tortueuse que ses aînées de la série publiée chez Lattès (format oblige) mais Voltaire ne perd rien de sa verve, et son univers, rien de son originalité. Les accents les plus plaisants de ce titre (outre son humour) se situent dans les références et clins d’œil faits à l'univers des contes de fées traditionnels. Cela commence avec une jeune fille en capeline écarlate qui évoque à Voltaire le petit chaperon rouge (avant de finir assassinée, preuve qu'elle aura rencontré le loup), puis à une auberge digne de Blanche-Neige et de ses sept nains, avant que l'intrigue ne finisse dans le château d'un Barbe-Bleue veuf de plusieurs de ses épouses. L'auteur glisse même un tordant parallèle entre notre philosophe détective du dimanche et le célèbre Sherlock Holmes lorsque Voltaire, coiffé d'un galurin à carreaux, se trouve à fumer une pipe en écume au coin du feu sous l’œil d'un public subjugué par tant d'exotisme.

"Installé au coin du feu pour réfléchir commodément, leur pensionnaire s'était emmitouflé dans le châle à carreaux de sa logeuse, avait posé sur sa tête un bonnet assorti qui lui tenait plus chaud que le tarbouche, et tirait sur la grosse pipe à foyer d'ivoire de son logeur. Ses hôtes contemplèrent un curieux tableau. Des carreaux, un bonnet tombant, une pipe, voilà donc à quoi ressemblait un brillant détective anglais!"

Capeline XVIIIème.

" C'était au reste une charmante jeune femme de vingt-cinq ans, dont la silhouette était tout en creux et en bosses distribués aux bons endroits. Elle était à croquer. Il n'aurait pas fallu qu'un loup rôdât sans les parages, c'était encore un de ces chaperons dont on perdait la trace sitôt qu'ils s'aventuraient dans les bois."

  Le grand challenge toujours relevé par Frédéric Lenormand, c'est encore une fois de réussir à s'approprier l'Histoire pour en faire... n'importe quoi! Car bien qu'on ne peut plus fantaisiste, cette Querelle de Dieppe s'inspire du véridique séjour de Voltaire incognito dans la cité dieppoise. Les extraits de lettres et d'ouvrages historiques en postface viennent raconter cet épisode de la vie du philosophe, rappelant au passage que Tranquillain Féret n'est pas non plus une invention, mais bien l'apothicaire qui hébergea et forma l'auteur des Lettres philosophique pendant l'hiver 1728. Loin d'être un petit pharmacien de campagne, cet apothicaire était un savant méconnu dont l'auteur nous rappelle au passage la mémoire.

"Rien ne résiste à la force du progrès en marche ni aux crochets à serrure quand on les manie correctement. Le premier devoir des philosophes engagés dans la défense des idées nouvelles était d'apprendre à ouvrir les portes derrière lesquelles on aurait pu vouloir enfermer la liberté, c'était un enseignement de ses séjours à la Bastille."

 Vestiges d'une enseigne d'apothicaire dans une rue de Dieppe.

"Ses rapports avec les policiers poussaient toujours Voltaire dans la même direction, celle de la forteresse aux huit donjons qui fermait la porte Saint-Antoine. Il avait commis l'erreur de ne pas s'assurer que son petit appartement possédait une sortie de secours, preuve qu'il manquait encore de pratique dans l'exercice de la philosophie."

En bref : Voltaire ne perd rien de sa gouaille, même en 90 pages! Outre son humour décalé et la fantaisie pleine de clins d’œil de son intrigue, Frédéric Lenormand offre à travers cette novella la possibilité de redécouvrir un chapitre méconnu de la vie mouvementée du grand philosophe... même s'il y ajoute un meurtre totalement fictif!

" Pas le début du commencement d'une preuve, il était aussi démuni qu'un matérialiste newtonien devant l'optimisme de Leibniz."

Et pour aller plus loin...


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