vendredi 7 février 2020

Le service des manuscrits - Antoine Laurain.

Éditions Flammarion, éditions de Noyelle, 2020.

  « À l’attention du service des manuscrits. » C’est accompagnés de cette phrase que des centaines de romans écrits par des inconnus circulent chaque jour vers les éditeurs.
  Violaine Lepage est, à 44 ans, l’une des plus célèbres éditrices de Paris. Elle sort à peine du coma après un accident d’avion, et la publication d’un roman arrivé au service des manuscrits,
Les Fleurs de sucre, dont l’auteur demeure introuvable, donne un autre tour à son destin. Particulièrement lorsqu’il termine en sélection finale du prix Goncourt et que des meurtres similaires à ceux du livre se produisent dans la réalité. Qui a écrit ce roman et pourquoi ? La solution se trouve dans le passé. Dans un secret que même la police ne parvient pas à identifier.

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  Parmi les premières fournées de la rentrée littéraire de l'hiver 2020, Le service des manuscrits avait tout pour retenir notre attention : son titre, son thème, et même l'illustration de couverture (enfin, de bandeau ; que ces couvertures sans aucune image sont tristes et hautaines!) forte en symbolique. Son auteur, Antoine Laurain, nous en avons parlé il y a deux ans après avoir (tardivement) découvert son premier roman, initialement paru en 2007, Ailleurs si j'y suis (lequel nous avait malheureusement laissé un peu sur notre faim malgré d'excellents éléments). Sans aucune transition ni détour par le reste de sa bibliographie, nous sommes donc passé de ses débuts littéraires à son tout dernier roman publié.

Source : The curious printery

  Il serait criminel d'en dire trop sur l'intrigue : Le service des manuscrits révèle de belles surprises et mérite qu'on ne les gâche pas. Attardons-nous néanmoins sur les points forts de ce livre aux nombreuses qualités, dont la première est sans aucun doute l'écriture : comme dans Ailleurs si j'y suis, Antoine Laurain témoigne d'un style absolument ensorcelant. Après un premier chapitre intriguant au style éthéré s'enchaine un second qui, en l'espace de six pages à couper le souffle par la violence évidente mais pourtant insidieuse et insoupçonnée du propos ( à savoir : le parcours de tous ces manuscrits dont la majorité ne sera jamais retenue par un éditeur) nous convainc qu'on tient quelque chose...

"Cinq cent mille refusés par an, toutes maisons d'édition confondues. Que deviendront toutes ces histoires ? Tous ces personnages ? Jamais portés à la connaissance du public, le néant les attend."

  La plume de Stéphane Laurain épouse ainsi toujours à merveille le sujet choisi sans jamais renier son habituel ton vif et tranchant dans certaines tournures de phrases ou des portraits qu'il dresse. Les personnages, dessinés en quelques mots ou phrases jetés de façon apparemment anodine sur le papier, nous apparaissent alors très vite dans toute leur humanité ; même les protagonistes les plus secondaires sont introduits dans l'intrigue avec les bribes suffisantes de leur histoire personnelle pour prendre corps aux yeux du lecteur. Cette finesse et cette exigence les rendent d'autant plus intéressants lorsque certains d'entre eux, à l'image de l'héroïne, se révèlent plus mystérieux que la situation initiale ne le laissait présager.


  Car l'auteur ne nous donne pas toutes les informations. C'est en cela que la maîtrise du style se remarque : le lecteur a tout juste pris ses marques que l'écrivain démiurge renverses ses présupposés. L'héroïne qu'on suivait depuis le début semble, soudain, avoir quelque chose à cacher. Quoi, pourquoi et comment? Il faudra pour répondre à ses questions, suivre le fil d'Ariane qui démarre de ce service des manuscrits d'une grande maison d'édition parisienne... A moins que ce fil ne commence ailleurs, dans un passé qui nécessite qu'on remonte le temps. La temporalité, d'ailleurs, est enchevêtrée dans Le service des manuscrits : outre le fait de construire une partie de son intrigue sur des événements survenus au moins vingt ans plus tôt, A.Laurain glisse ça et là quelques bonds en arrière pour introduire plusieurs  scènes. La narration est cependant d'une telle fluidité que le lecteur ne s'y perd jamais et savoure l'atmosphère quasi vaporeuse que l'auteur parvient ainsi à instaurer, entre rêves et évocations.

"Tout roman est un traité de magie noire."

  Le rêve, par ailleurs, ou disons l'imaginaire, a une place importante dans l'intrigue : flashs et songes semi-éveillés se glissent traîtreusement dans une réalité des plus convaincantes. En effet, A.Laurain place ce service des manuscrits dans une actualité et une factualité littéraire qui donnent une tangibilité troublante à son roman : on croise ça et là Bernard Pivot tandis que se préparent le prix Goncourt et la traduction du dernier Stephen King, à grand renfort de détails, avant que l'auteur ne convoque soudain les spectres de Marcel Proust ou de Virginia Woolf. Ce jeu dans la limite entre l'imaginaire et le réel, qui renvoie au principe même de l'écriture de roman, est un des éléments qui participe à faire tout le sel de ce livre.


  Mais alors, me demanderez-vous, ce Service des manuscrits, vraie bombe ou pétard mouillé? Nous avons cru presque jusqu'au bout au coup de cœur, tant le suspense allait croissant... et puis paf, en quelques ultimes pages, le mystère qui s'était tissé se voit résolu en quelques paragraphes peut-être un peu trop expéditifs. La révélation finale n'est pas à proprement parler une déception mais les masques tombent trop vite et les explications sont données trop hâtivement, comme si le nombre de pages donné à l'auteur était soudain limité. Le lecteur avait tellement savouré le déploiement de l'intrigue que cette brusque accélération du rythme fait l'effet d'une amputation, un peu du même genre que la fin prématurée de Ailleurs si j'y suis.

  Jusque là, l'auteur développait également toute une réflexion sur l'identité et le rapport entre réel et fiction soudain mise de côté pour amorcer dans les dernières pages une autre thèse. Après avoir lorgné du côté de genres tels que le polar et le drame, le voilà qui tend maintenant vers l'ésotérisme voire le fantastique : les livres ont-ils leur vie propre, leur contenu agit-il sur le cours des événements? Loin d'être antinomique avec son intrigue, Antoine Laurain aurait gagné à développer davantage cette théorie en amont plutôt que de la sortir du chapeau à la dernière minute. 

"De leur conception à leur impression, les romans ont leur vie propre qui échappe même à leur auteur."

En bref : Dans la veine de D'après une histoire vraie ou d'un Mystère Henri Pick noir et polarisant, Antoine Laurain signe un roman qui, du monde de l'édition, nous emmène à la rencontre de plusieurs genres littéraires dans une ambiance de poésie sombre et de mystère. L'écriture est superbe, la construction également ; reste le final qui, tout comme aux débuts de l'auteur, se révèle malheureusement trop lapidaire pour qu'on savoure pleinement notre lecture une fois l'ouvrage refermé.

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