dimanche 9 octobre 2022

Le château des trompe-l'oeil - Christophe Bigot.

Editions de la Martinière, 2022.

    1837, baie du Mont Saint-Michel. Le jeune Baptiste Rivière est convoqué au château d’Escreuil pour s’y faire dicter les dernières volontés de la propriétaire des lieux. Mais à son arrivée, le personnel se ligue pour lui interdire l’accès à sa chambre : Langlois, diabolique intendant du domaine, le vieux Simon, qui semble plus qu’un ordinaire jardinier, et même Séverine, la femme de chambre dont Baptiste cherche pourtant à se faire une alliée.
    Pourquoi la baronne d’Escreuil se cache-t-elle ? Qui est vraiment cette ancienne comédienne, veuve d’un aristocrate guillotiné sous la Terreur ? Bravant les mises en garde, Baptiste s’aventure dans les plus sombres recoins du domaine. Mais les apparences sont trompeuses, et en cherchant la baronne, c’est sa propre vérité que Baptiste va devoir affronter.
    Jouant sur les codes du conte gothique, du roman historique et du récit d’apprentissage pour mieux les subvertir, Le Château des trompe-l’œil offre une plongée vertigineuse et haletante dans les gouffres du passé et de l’âme humaine.
 
    Christophe Bigot est professeur de lettres et écrivain. Son premier roman L'Archange et le procureur, paru chez Gallimard, a reçu cinq récompenses dont le Prix Mottart de l'Académie française. Ses romans explorent sa passion pour la Révolution française et le XIXe siècle.
 
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    Très bel objet livre que nous servent ici les éditions de la Martinière pour cette rentrée littéraire 2022 : ouvrage grand format à la couverture cartonnée et évidée pour laisser voir l'illustration intérieure, relié et la tranche colorée bleu clair. Enluminures, escaliers grinçants, vieilles pierres et chandeliers font leur effet racoleur à la perfection et laissent deviner l'atmosphère gothique qui occupe ce Château des trompe-l'oeil...
 

    L'intrigue nous emporte dans la Normandie d'un XIXème naissant, sur lequel plane encore l'ombre de la Révolution. Baptiste Rivière, jeune et candide clerc de notaire, y est envoyé au château d'Escreuil pour fait l'inventaire de la propriété et consigner le testament de Léonie d'Escrueil, la vieille et fantasque baronne qui occupe les lieux. A son arrivée, le jeune homme est accueilli par les domestiques de la maisonnée, dont il ne sait s'il doit s'en méfier ou s'en faire des amis : Etienne Langlois, l'intendant à l'impressionnante carrure, sa femme Rose, cuisinière bigote qui ne tarde pas à mettre l'invité en garde, Simon, vieux jardinier dont les motivations semblent bien secrètes, ou encore Séverine, la mystérieuse camériste de la baronne. Tous lui interdisent l'audience qu'il réclame avec la propriétaire des lieux, la prétextant trop souffrante. En attendant qu'on lui donne enfin le sésame de ses appartements, Baptiste entame l'inventaire du château : entre ouvrages précieux et études de peintures célèbres, il met à jour de nombreux trésors, dont toute une littérature érotique qu'il lit en cachette. Son imagination nourrie par ses lectures et par les silences de la demeure, le jeune homme s'imagine les secrets qui se cachent derrière les portes d'Escreuil et, la nuit tombée, s'aventure à travers ses dédales en quête de réponses...
 

    Petit bijou de littérature en hommage à la veine du gothique, Le château des trompe-l’œil revendique en toute transparence ses inspirations, et ce dès la citation qui ouvre la première partie : un extrait des  Mystères d'Udolphe, d'Ann Radcliffe. Ce roman, considéré à la fois comme l'archétype et le père du roman gothique, s'impose donc ici comme une référence de choix. Référence qui ouvre la voie à de nombreuses autres, tant l'auteur s'amuse du foisonnement de son propre récit : enfiévré par ses lectures, le jeune héros programme des visites nocturnes du château, candélabre à la main, à la façon de l'héroïne du Northanger Abbey de Jane Austen, que l'autrice avait justement écrit en clin d’œil à Ann Radcliffe. Ce jeune clerc de notaire, comme retenu prisonnier d'une demeure dont il tente de percer le secret tout en rendant compte de ses recherches via ses correspondances, n'est pas non plus sans nous évoquer les péripéties de Jonathan Harker dans Dracula. De même, le final de ce Château des trompe-l'oeil vous remémorera peut-être celui d'un certain Jane Eyre...

Marie-Anne Lenormand, célèbre prophétesse du Paris de la fin du XVIIIème...
 
    Grand passionné de la Révolution française, Christophe Bigot déclame ici sa flamme à la littérature gothique, tout en réussissant à inviter dans l'intrigue sa fascination pour l'ère des guillotines et la faune artistique et littéraire truculente de cette fin de siècle. La seconde partie du roman, histoire dans l'histoire (une mise en abyme d'ailleurs courante dans le roman gothique), nous raconte ainsi la jeunesse de la baronne, que l'auteur recontextualise dans une réalité historique fourmillante de détails et de personnalités. On y croise tantôt les Beauharnais, tantôt Mademoiselle Lenormand (célèbre oracle de la Révolution), et les œuvres de Claire de Duras comme les peintures de David et de Girodet s'y invitent à la façon d'easter eggs bienvenus mais jamais gratuits.
 
L'Endymion de Girodet, dont certains secrets seront révélés dans Le château des trompe-l'oeil...
 
    Car à la façon des trompe-l’œil du château et des doubles-fonds de l'âme humaine, chaque référence minutieusement choisie par l'auteur se veut, dans sa double lecture, mettre en lumière les tréfonds psychologiques de ses personnages. Entre les fantômes qui hantent les couloirs d'Escreuil, Christophe Bigot distille en filigrane de son histoire une atmosphère tendrement sulfureuse bien plus qu'anecdotique. Et si, en cherchant à percer les secrets du château et de ses occupants, c'était avant tout les siens que le jeune Baptiste cherchait à dévoiler ?
 
Portrait de Saint Just par David, un autre tableau qu'on ne
verra plus de la même manière une fois le livre refermé...
 
En bref : Parfaite lecture de saison et hommage dans le fond comme dans la forme à la littérature gothique du XIXème siècle, Le château des trompe-l'oeil est l'audacieuse surprise de cette rentrée littéraire, à l'issue et aux motivations aussi inattendues pour le personnage principal qu'elles le sont pour le lecteur. Une petite pépite en clair-obscur à lire à la lueur de la chandelle...
 

3 commentaires:

  1. Oh oui cela semble etre toute une bien belle surprise....vraiment une reussite.....

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  2. cela donne bien envie de pousser la porte de ce château !

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  3. L'objet-livre m'attire beaucoup, j'ai eu l'occasion de le feuilleter ! J'aimerais bien découvrir ce château et ses occupants. :)

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