dimanche 17 juillet 2016

Le Médaillon de Budapest - Ayelet Waldman

Love and treasure, Knopf, 2014 - Editions Robert Laffont (trad. de D.Bernard), 2015 - Editions France Loisirs, 2016.

  En 1945, Jack Wiseman, lieutenant américain basé à Salzbourg, est chargé de garder le « train de l'or hongrois », rempli de biens volés aux Juifs. Avant d'être démobilisé, il dérobe un médaillon en forme de paon, en souvenir d'une femme qu'il a rencontrée là et dont il est tombé amoureux. Soixante ans plus tard, voulant faire la paix avec sa conscience, il confie une mission à sa petite-fille, Natalie : retrouver la propriétaire du bijou.
   De l'Empire austro-hongrois à l'Amérique contemporaine, un bouleversant roman polyphonique qui combine avec brio trois intrigues : un puissant roman d'amour, un thriller sur le trafic d'oeuvres d'art, l'histoire vraie enfin d'un scandale historique.

« Ambitieux, captivant et terriblement émouvant. Le Médaillon de Budapest n'est pas un simple roman, c'est une malle aux trésors. » Joyce Carol Oates

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  C'est lors de mon périple estival de 2015 que j'ai repéré ce livre pour la première fois : impossible de passer à côté de cette couverture Art-Déco, surtout lorsqu'elle revendique les louanges de la grande Joyce Carol Oates elle-même. Le résumé avait tout d'alléchant, abordant plusieurs thèmes qui me sont chers : une enquête trans-générationnelle touchant aux secrets d'une famille et à l'Art, l'Histoire du peuple juif et notamment au sortir du génocide de 39-45, et le cadre romanesque et capiteux du vieil Empire austro-hongrois... Alors, plus précisément, qu'est-ce que ce Médaillon nous raconte?

 Trailer pour la sortie du livre.


  Plusieurs histoires, en fait. Car c'est là un très beau roman polyphonique que nous sert Ayelet Waldman. On commence le récit dans le Maine, où Nathalie, en pleine crise existentielle à la suite d'un houleux divorce, reçoit de son grand-père mourant un ancien médaillon en forme de paon. Ce bijou, il l'a volé dans le 'train de l'or hongrois', ce train rempli de biens volés aux juifs par les nazis et qu'il avait été chargé de surveillé en 1945, alors qu'il n'était qu'un jeune lieutenant missionné par l'armée américaine. Cette année avait été celle de son premier grand amour : une femme rescapée des camps, juive tout comme lui mais profondément meurtrie par un parcours dont elle n'est pas sortie si indemne qu'on le croit. 
  Au cours de toute une partie consacrée à cette année 1945, l'auteure, à travers l'idylle de Jack, restitue une troublante vérité historique : celle des conditions de vie déplorables imposées aux Juifs survivants après la guerre, tous entassés tels des réfugiés dans d'anciens hôtels désaffectés ou bâtiments insalubres surveillés par l'armée, avec l'impossibilité de rejoindre leur pays et leur famille. Parallèlement, on découvre à travers l'Histoire de ce train de l'or hongrois celle d'un vraie trafic, aussi bien de possessions et richesses diverses que d’œuvres d'art spoliées aux Juifs par les nazis, et qui ne seront jamais réellement rendus malgré ce que l'armée peut prétendre. Des faits encore trop peu connus de nos jours et que ce roman a le mérite de rappeler.



Couvertures des éditions originales.


  Partant de ce fait divers réel qu'A.Waldman lie à sa fiction, le médaillon fait ensuite office de fil conducteur à travers les époques et ses différents possesseurs. "Une malle aux trésors", disait J.C.Oates, et c'est exactement cela. Le médaillon de Budapest est comme ces vieux coffrets à bijoux que l'on trouverait sur un grenier poussiéreux : impossible d'en sortir un collier ou un bracelet sans qu'il soit lui-même entremêlé à d'autres chaines ou médaillons. Extraire l'un deux de la boîte et ce sont tous les autres que l'on entraîne à la suite. Le médaillon en forme de paon, après le souvenir de la douloureuse romance de Jack, entraine Nathalie à la recherche de l'origine plus ancienne du bijoux, une enquête dans les rues romanesques de Budapest. Elle est alors aidée d'un expert en Arts dont les propres investigations se recoupent à celles de Nathalie. Il se trouve qu'il cherche depuis plusieurs années un portrait surréaliste disparu pendant la Seconde Guerre mondiale, représentant une femme à tête d'oiseau arborant justement ce même bijou.  Tandis que cette enquête confronte en même temps nos deux personnages à leurs propres origines juives et aux douleurs héritées du génocide au-delà des générations, nouveau saut dans le temps: le Budapest des années 1910. Là, on rencontre la première détentrice du médaillon, une jeune femme désireuse d'émancipation féminine dont les idéaux politiques choquent la bonne société...et le psychiatre féru de doctrine freudienne qui raconte son histoire...

 A gauche: le Train de l'or hongrois en 1945;
A droite: une caisse du train, ne comportant exclusivement que des bagues de fiançailles volées aux Juif avant le départ pour les camps.

  Vous l'aurez compris, nous avons donc là un récit foisonnant et riche des nombreuses recherches de l'auteure. Son intrigue, construite en trois temps, explore donc plusieurs époques et histoires rattachées à un seul et même bijou, ce qui permet tout à la fois d'explorer de nombreux thèmes qui lui étaient apparemment très chers. Parallèlement aux sauts dans la chronologie , Ayelet Waldman, vient questionner l'incidence psychologique de la Shoah sur les descendants des juifs ayant survécu, évoquant ainsi la fascinante psychogénéalogie. L'écriture, très fluide, permet vraiment d'aborder la richesse de l'intrigue et la multiplicité d'événements sans le moindre heurt. Vous l'aurez compris, j'ai beaucoup apprécié cette lecture mais j'admets néanmoins quelques défauts particulièrement décriés par d'autres lecteurs...

 Couvertures d'éditions étrangères.

"Derrière chaque survivant du génocide existait l'histoire d'un heureux hasard qui tenait du miracle, d'un subterfuge de la dernière chance, d'un clin d’œil du destin. Les autres, ceux qui n'avaient rien connu de cela, étaient morts."

  En effet, certains s'avouent à juste titre déçus de voir autant de sujets prometteurs n'être que survolés, du moins en comparaison du développement qu'on pouvait en attendre. Ayelet Waldman a déjà fait un énorme travail, certes, mais chaque histoire rattachée au médaillon étant complétement étrangère aux autres, on saute de l'une à la suivante avec un sentiment d'inachevé. Que deviennent les personnages? Quelle est la suite des événements? L'auteure n' apporte aucune réponse et passe sans transition à une autre tranche de vie liée au bijou. On comprend dès lors que le lecteur puisse rester quelque peu sur sa faim et que ce choix narratif vienne donc entacher les grands cas qu'on peut faire de ce roman.



En bref : Un très beau récit hérité de l'histoire du peuple juif au sortir de la Shoah, doublé d'une enquête au parfum d'énigme artistique et culturelle très documentée. Historiquement riche et fouillé en plus d'évoquer le poids transgénérationnels du génocide, ce roman pourra décevoir certains lecteurs qui se plaindront de rester quelque peu sur leur faim. Car en voulant brasser une multiplicité d'histoires différentes et d'événements divers autour du médaillon comme fil conducteur, on peut reprocher à Ayelet Waldman de ne pas exploiter chacun des thèmes racontés au maximum et de nous laisser parfois dans une certaine frustration. Il en reste quand même, pour ma part, une lecture très agréable.

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