mardi 26 février 2019

Les oscillations du coeur - Anne Idoux-Thivet

Éditions Michel Lafon, 2019.


  Discrète et fleur bleue, la Japonaise Aïko Ishikawa est une designer textile talentueuse. Veuf inconsolable, l'écrivain Jean-Marc Poulain se définit lui-même comme une " ancienne gloire de la littérature ". Quant à la déroutante Angélique Meunier, elle est mathématicienne au CNRS.
   Que peuvent bien avoir en commun ces trois personnages ? En apparence rien, sauf peut-être leur amour pour de curieux petits jouets vintage appelés culbutos. Par hasard, ils découvrent que certains de ces joujoux renferment de mystérieux messages : " Le phare m'appelle ", " Les amants sont des âmes sœurs ", " Demain je pars "...
   Lié par cette étrange trouvaille, l'étonnant trio parviendra-t-il à percer cette singulière énigme ?

***

  L'an dernier, nous avions découvert L'atelier des souvenirs, de la même auteure : un roman tout d'abord auto-édité via la plateforme librinova, avant d'être repéré et diffusé par Michel Lafon. Si on ne tenait pas là le nouveau Goncourt (mais après tout, ce n'est pas du tout ce qu'on recherchait, fort heureusement!), l'écriture fluide et le ton feel good à la française en avaient fait une lecture des plus agréables, remplissant fort bien ce qu'on en attendait. La parution en début d'année d'un tout nouveau livre à la couverture pétillante et au titre joliment poétique ne pouvait que retenir notre attention...


  L'histoire suit d'abord les destins de trois personnages que rien ne prédispose à se rencontrer à jour : Aïko, jeune designer d'origine japonaise fan d'une chanteuse quasi-oubliée des yéyés, Jean-Marc, ancien auteur has been de la littérature, et Angélique, autiste et mathématicienne. La première, tout autant fan de culbutos que de sa chanteuse favorite Claudine Casserole, trouve un jour dans l'un de ses jouets vintage un mot tapé à la machine à écrire. A plusieurs kilomètres de là, l'ex-écrivain se remet péniblement de la mort de sa femme, dont le culbuto d'enfance révèle un autre papier en se brisant accidentellement. De son côté, la réservée Angélique trouve l'apaisement dans le balancement des culbutos depuis toute petite, jusqu'à ce que l'un d'eux tombe au sol et dévoile une nouvelle énigme également. Chacun en possession d'un fragment du mystère, ils se mettent au défi de remonter la piste de ces petits papiers. Le hasard, à moins que ce ne soit le destin, ne va pas tarder à les réunir : Jean-Marc use du forum spécialisé dans les romances de gare "Colombine" tenu par sa défunte femme pour diffuser l'histoire mystérieuse des culbutos, sans savoir qu'Aïko est l'une des lectrices assidues de la plateforme. De même, une autre contributrice du forum n'est autre que la mère d'Angélique, qui fait rapidement le lien avec la découverte faite dans le culbuto de sa fille et dans celui du webmaster. En très peu de temps, ces trois inconnus que tout sépare se retrouvent pour mener l'enquête ensemble. Une enquête qui leur apprendra autant sur eux-même que sur l'auteur des mystérieux petits mots des culbutos...


  A la façon d'un roman choral qui se transforme en véritable road-trip sur les routes de France et de Navarre, Les oscillations du cœur se révèle être une sacrée bonne surprise! Si on ne pouvait que s'attendre à quelque chose de sympathique, on n'avait pas pensé à un roman aussi abouti. Oui, abouti. Car on sent que l'auteure a encore gagné en maturité dans son écriture, dans la façon d'appréhender ses personnages, et dans la manière de distiller une ambiance bien à elle. La narration, omnisciente, pourrait de fait paraître un peu surannée mais elle est particulièrement bien employée à présenter, décrire et suivre nos trois personnages on ne peut plus atypiques. Avec une distance et un phrasé minutieusement choisis qui permet d'instaurer une légère ironie, l'auteure nous raconte finalement ses protagonistes et leur mésaventure avec fantaisie et bienveillance, le tout n'étant pas sans évoquer la narration d'un film de Jean-Pierre Jeunet.


  Car comme dans un fabuleux destin "à la Amélie Poulain", il y a des personnages extravagants, des situations improbables et un altruisme chaleureux. Il y a à la fois de la drôlerie et de la douceur, des scènes de carte-postale et un  Happy End. Même l'enquête très intime dans laquelle se jette nos anti-héros, et qui trouve sa source dans de vieux jouets pour enfants, rappelle le charme un peu désuet propre à l'univers du cinéaste. On se prend nous aussi au jeu de ces investigations en amateur, au fil d'un voyage en coccinelle orange qui trimbalera le plus mal assorti des trios du Jura jusqu'en Normandie. On infiltrera non sans enthousiasme les ruines d'une usine de culbutos à la recherche de la machine à écrire qui a servi à taper les messages, on fouinera dans les archives du personnel pour imaginer qui en est l'auteur, et, même, on finira par établir avec nos adorables protagonistes un lien étonnant avec un célèbre film de Truffaut!

 Les deux Anglaises et le continent, film de Truffaut qui se trouve au centre de l'intrigue...

 Mais pourquoi cela fonctionne si bien, alors que présenté ainsi, tout ça paraîtrait presque trop convenu, trop sage? Parce que l'enchevêtrement des histoires et le déroulement du fil rouge sont fichtrement bien construits, et que le puzzle des intrigues et des personnages s'emboite parfaitement bien. Notons par ailleurs la présence (tellement rare en littérature, de quelque nature qu'elle soit) d'un personnage autiste, raconté avec fraîcheur et sympathie, inspiré par le propre fils de l'auteure (rappelons que son premier ouvrage était un témoignage sur le sujet). Le tout est comme un système dans la pure définition du terme, c'est à dire dont la coordination et l'association de tous les éléments assurent un équilibre évident, impeccable.


En bref: Un roman rafraîchissant, débordant de fantaisie et d'un charme délicieusement désuet. On s'attache aux personnages autant qu'à leur quête des plus saugrenues, le tout étant porté par une écriture légère et une construction très habile. Une très bonne surprise dans l'esprit d'une histoire à la Jean-Pierre Jeunet!

Un grand merci aux éditions Michel Lafon pour cette lecture

2 commentaires:

  1. Oh moi aussi j'avais un magot en forme de canard. Il était vilain comme tout, mais je ne l'ai jamais cassé.

    Ficelle for ever

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