vendredi 22 mars 2019

La maison biscornue - Agatha Christie

Crooked House, Dodd, Mean & Company, 1949 - Librairie des Champs Élysées, le Masque (trad. de M.Le Houbie), 1951 - Le livre de poche, depuis 1983.

  Une étrange famille habite cette maison biscornue. Sous la domination d’un aïeul tyrannique – mais adoré – d’origine levantine : deux fils, deux belles-filles, trois petits-enfants, une vieille tante… Il y aussi la toute jeune seconde épouse du grand-père et le précepteur qui pourrait bien être son amant…
Qui donc a tué le grand-père ?
  La seule personne qui semble avoir une idée précise là-dessus, c’est Joséphine, douze ans. Joséphine a des idées sur tout. Y compris sur l’art dramatique, les motivations des criminels et l’art d’empoisonner les gens. C’est un petit monstre sympathique.
Il faut être très attentif aux petits monstres.

***

  Qu'on adore Agatha Christie, qu'on la lise, qu'on regarde ses adaptations, ou qu'on la relise encore, il y a toujours quelque chose à découvrir. Il y a toujours un roman, un film, ou une nouvelle qu'on a, finalement, pas encore découvert. Son maître-mot, ce qui a fait la grande différence en littérature et qui lui permet d'être toujours aussi actuelle, c'est la psychologie : ses intrigues policières servent finalement presque d'excuse pour mettre en scène, de façon parfois quasi shakespearienne, la lutte des passions, les sentiments venimeux qui gangrènent les personnages, les tréfonds de l'inconscient, ou encore la subtile complexité des interactions humaines. L’œuvre d'Agatha Christie reste en cela une source d'inspiration inépuisable, la preuve en est des nombreuses transpositions qui continuent de pulluler sur les écrans, souvent réussies. C'est encore le cas tout récemment avec l'adaptation pour la première fois au cinéma de Crooked House, La maison biscornue, jusqu'ici seulement adapté à la radio. L'occasion de se replonger dans le roman de la Grande Dame du Crime!

 Crooked House, film anglais adapté du roman par le réalisateur français Gilles Paquet-Brenner, et scénarisé par Julian Fellowes, rien que ça!


 "Les meurtriers tuent plus souvent les gens qu'ils aiment que ceux qu'ils détestent, et cela parce que ce sont surtout ceux que nous aimons qui peuvent nous rendre la vie insupportable."

  L'intrigue est racontée par Charles Hayward, fils d'un éminent commissaire de Scotland Yard. Alors que le jeune homme était en poste au Caire pendant la Seconde Guerre mondiale, il y avait rencontré Sophia Leonides, jeune Anglaise occupant un poste au Bureau des Affaires Étrangères. Une idylle était née, et les deux amants s'étaient plus ou moins promis de se retrouver en Angleterre une fois le conflit terminé. De retour à Londres quelques années plus tard, Charles apprend le décès d'Aristide Leonides dans la presse : le grand-père de Sophia, riche patriarche de la famille Leonides, vient de décéder. Les circonstances de la mort, bien que naturelles, restent douteuses : Feu Monsieur Leonides est mort d'une overdose de son traitement quotidien... Des soupçons se portent sur sa toute jeune épouse, de plus de 20 ans sa cadette, qui passe clairement aux yeux de toute la famille pour une écervelée intéressée. Mais toute cette famille, justement, vit sous le même toit : trois générations de Leonides au grand complet vivaient dans la même maison qu'Aristide au moment de son décès, ce qui multiplie le nombre de suspects potentiels même si une coupable paraît déjà toute désignée. Face à l'absence de résultats de l'enquête de Scotland Yard, Charles propose d'aider son père et s'infiltre dans la mystérieuse demeure en utilisant sa relation avec Sophia comme ticket d'entrée pour mener ses propres investigations ; il faut dire que face à la violence des tabloïds,  la jeune fille refuse de l'épouser tant que le véritable meurtrier n'est pas appréhendé. Il découvre alors une famille composée de membres tous plus extravagants les uns que les autres, et qui ont tous des raisons d'être le coupable. Mais la vérité est peut-être encore bien plus sombre que tout ce qu'on pourra imaginer.


  La maison biscornue tire son titre d'une comptine anglaise "there was a crooked man", issue de l'inépuisable champ des nursery rhymes dans lequel Agatha Christie avait glané plus d'une fois des idées. Cet univers enfantin se révélait toujours plus inquiétant qu'il n'y parait de prime abord, et l'auteure savait merveilleusement bien faire tourner en intelligence macabre le contenu de ces chansonnettes infantiles. Exemple parmi d'autres inspirés de ce principe (Mon petit doigt m'a dit, Un, deux, trois, Une poignée de seigle, etc...), Crooked House n'en reste pas moins l'un des meilleurs titres de son auteure, pour ne pas dire, peut-être, son meilleur. Agatha Christie elle-même le considérait comme son œuvre favorite et la plus réussie avec Témoin indésirable. Et on comprend très vite pourquoi.

  Si l'infiltration de Charles au sein de la famille Leonides semble un peu trop "facile" par moment (admettons que, peu importe l'époque, ce n'est pas parce qu'on est le fils du commissaire en chef qu'on peut prétendre s'infiltrer pour enquêter en douce dans la maison de sa bien aimée) et que les passe-droits qu'il obtient dans le cadre de ses investigations paraissent assez peu crédibles, c'est probablement le seul reproche que l'on peut formuler à l'encontre de ce roman. Le reste, d'une surprenante efficacité, a de quoi clouer le lecteur au fauteuil. 


  Ce qui est à la fois grisant et déconcertant, c'est que l'intrigue est finalement assez simple dans son déroulement (on pourrait dire d'une simplicité enfantine...) et le roman, plutôt court. La vraie complexité tient au nombre impressionnant de suspects et à leur attitude pour le moins atypique qui brouille les pistes. De la très mystérieuse et observatrice Edith, belle-sœur d'Aristide qui fait désormais office de matriarche, à Magda, la fantasque bru du défunt et actrice déchue qui joue un rôle différent chaque jour, en passant par tous les hommes de la maisonnée et la perspicace petite Joséphine, c'est un défilé de personnages excentriques qui nous fascinent autant qu'ils nous mettent mal à l'aise. Fidèlement au genre du Whodunit, on tourne et retourne toutes les spéculations possibles dans notre tête pour démêler cet écheveau qui semble ne jamais trouver de solution.

  Cependant, il y en a bien une, mais qui fait tellement violence à notre propre inconscient qu'il est possible que nous nous censurions nous-mêmes quand nos réflexions nous font approcher de la bonne explication. En cela, le roman avait beaucoup choqué lors de sa publication : trop subversif, avait dit la critique, trop horrible, avait dit le lectorat, inimaginable, avait dit tout le monde. Et pourtant, peut-être le recul aidant, on réalise une fois le livre refermé, à quel point cette possibilité est plus que jamais crédible, amenant ainsi à une profonde réflexion sur la notion de culpabilité.


En bref : D'une rare efficacité, La maison biscornue est probablement l'un des meilleurs romans d'Agatha Christie. Le dénouement en surprendra plus d'un, à moins de se convaincre que c'est en supposant l'impensable qu'on touchera la vérité du doigt. Diabolique.


4 commentaires:

  1. J'avais beaucoup aimé ce roman d'Agatha Christie, il fait partie de mes préférés.

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    1. Je suis d'accord avec toi : Ce titre a rejoint mon top ten des romans de la Grande Dame du Crime!

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  2. Oh oui, je suis d'accord, un des meilleurs d'Agatha !

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    1. Il a rejoint mon top ten, quelque part derrière "Mon petit doigt m'a dit" et "dix petits nègres" ;)

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