dimanche 25 octobre 2020

L'histoire de la Bête - Serena Valentino.


The Beast within ; a tale of Beauty's Prince
, Disney Press, 2014 - Éditions Hachette (trad. de Caroline Minic), 2017 - Hachette Heroes (trad. de Alice Gallori), 2020.
 
    C'est une histoire vieille comme le monde : celle d’un prince cruel transformé en Bête. Et celle d’une belle jeune fille qui surgit dans sa vie. Le monstre est métamorphosé par la compassion de la jeune fille et l’amour qu’il ressent pour elle. Puis ils se marient et ont beaucoup d’enfants. Mais comme pour chaque histoire, il y a plusieurs versions. Qu’importe ce que l’on a pu dire ou écrire, une seule question demeure : qu’est-ce qui a changé le prince en la Bête que l’on connaît ? Voici l’une de ces histoires. Une histoire de bêtes, et, bien sûr, de belles.
 
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    Il y a quelques années de cela, nous vous avions parlé de Fairest of all, lu en VO bien avant sa traduction française sous le titre Miroir, miroir : l'histoire de la Méchante Reine de Blanche-Neige version Disney, par Serena Valentino. Ce titre perçu au départ comme un one shot avait relevé le pari de raconter l'histoire connue de tous du point de vue de l'antagoniste du conte. L'auteure réussissait même à la rendre attachante en montrant, sans changer les dialogues et les scènes du dessin-animé, que la reine s'était trouvée contrainte de faire le mal par un enchainement d'événements visant à la manipuler. Exercice de style réalisé avec brio, Fairest of all a de par son succès suggéré à Disney Press la commande d'autres romans du même style  à raison d'un tome par "méchant" Disney. Cinq ans après l'histoire de la Reine sortait donc aux Etats-Unis The Beast within, l'histoire de la Bête. Publié en France en 2017, le livre a récemment bénéficié d'une réédition sous une nouvelle traduction et avec une couverture inédite. De notre côté, nous avions lu le texte en anglais à sa sortie puis sa première version française il y a trois ans... repoussant depuis le moment d'en parler.

Couverture de l'édition originale et de la récente réédition.

    Il faut dire que si Fairest of all / Miroir, Miroir, nous avait conquis, L'histoire de la Bête nous a laissé très mitigés. Il y a pourtant d'excellentes idées dans ce roman raconté du point de vue du prince maudit : Serena Valentino imagine ici que le sort jeté sur le château et ses occupants n'est pas vécu de la même façon par tous. En effet, la Bête n'a par exemple pas la possibilité de communiquer avec ses serviteurs également transformés, lesquels lui apparaissent sous la forme d'objets inanimés tandis que Belle peut interagir avec eux. C'est tout juste si le Bête peut distinguer leur voix ou deviner leur passage, mais en dehors de ça, elle reste plongée dans une solitude qui instaure une tension constante à la limite de la paranoïa, accentuant ses défauts et même un caractère qu'on pourrait sans difficulté qualifier de sanguinaire.
 

Les splendides décors du château dans le film animé original.

    Toujours dans les excellentes idées : l'auteure puise dans un classique de la littérature anglaise pour donner à la malédiction du prince un effet de processus qui rajoute à la tension dramatique. Elle s'inspire en effet du Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde pour donner au sort un effet évolutif ; la transformation du jeune homme et de ses serviteurs n'est pas immédiate, mais s'étale dans le temps jusqu'au risque de devenir irréversible (un ressort dramatique également utilisé dans le Musical inspiré du film d'animation, et dans une moindre mesure dans le long-métrage en live action). Sentant les effets de la métamorphose opérer, le prince passe commande d'un portrait qui aura dès lors une place considérable dans le roman, puisqu'il servira sans cesse de point de comparaison entre son image passée et son physique en pleine mutation. Il s'agit ni plus ni moins que du portrait que Belle découvrira, lacéré, dans l'aile Ouest.
 

Le portrait du prince dans le film animé.
 
    Autre idée on ne peut plus intéressante : imaginer une relation de camaraderie entre le Prince et Gaston. Cette invention de Serena Valentino met en effet en relief un parallèle des plus pertinents, à savoir les nombreuses ressemblances entre l'égocentrique chasseur et l'odieux Prince d'avant le sort, amenant un regard nouveau sur leur rivalité future. Ce jeu de miroir n'est pas non plus sans évoquer l'adaptation cinématographique de Cocteau ou le Prince et Avenant, le soupirant de Belle qui a probablement inspiré le Gaston de Disney, sont interprétés par le même acteur. 

Portrait de Gaston qu'on peut voir suspendu dans l'auberge du village.
 
     Ceci dit, en dépit de ces points forts et d'un potentiel intéressant sur le papier, L'histoire de la Bête ne nous a pas totalement convaincus. Tout semble en effet très vite expédié, alors que Serena Valentino tenait là une matière particulièrement riche à exploiter, voire même à distiller. Peut-être contrainte par un format prédéfini, elle jette littéralement sur le papier ses idées et les brode entre elles à la va-vite, s'affranchissant de toute tentative d'instaurer un style qui pourrait être agréable à la lecture. Probablement enthousiasmée par les Étranges Sœurs créées pour Fairest of all, l'auteure réinvite son trio, ces trois sorcières qui tiraient les ficelles et manipulaient la Reine dans son précédent roman. Disney Press envisageant de créer une franchise sur la base de ses "villains", on sent la volonté de faire de ce triumvirat maléfique des personnages récurrents amenés à faire la pluie et le beau temps en arrière-scène des contes Disney, sorte de perversions du Deus ex machina. Si l'idée pouvait être séduisante, elle fait beaucoup trop s'attarder le roman sur ces personnages et leur sœur cadette Circé (nom évocateur, puisque c'est ici elle l'enchanteresse qui transforme le prince et ses domestiques), donnant dès lors l'impression qu'on suit leurs aventures plutôt que celle de la Bête.
 
 L'enchanteresse est ici rebaptisée Circé, probablement en hommage à la sorcière de la mythologie.
 
En bref : De bonnes idées mais un potentiel inabouti pour ce roman finalement très commercial. C'est d'autant plus dommage que Serena Valentino avait fait un travail très convaincant pour Fairest of all / Miroir, miroir et qu'on était donc en droit d'attendre quelque chose d'aussi accompli pour l'histoire de ce personnage charismatique qu'est la Bête. 
 
 
 
 
Et pour aller plus loin... 


 

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