vendredi 23 octobre 2020

La compagnie des loups - un film de Neil Jordan d'après le livre d'Angela Carter.

La compagnie des Loups

(The company of Wolves)

 
Un film de Neil Jordan d'après La compagnie des Loups d'Angela Carter.

Avec : Sarah Patterson, Angela Lansbury, David Warner, Micha Bergese...
 
Date de sortie dans les salles : 21 septembre 1984
 
 Bercée par les légendaires histoires que lui conte sa grand-mère, Rosaleen est une adolescente à l'imagination débordante. Une fois endormie, ses rêves l'emmènent toujours au même petit village médiéval peuplé de mystérieuses et dangereuses créatures, mi-hommes, mi-loups.
 
*** 


    La compagnie des loups, c'est tout d'abord un sublime et sombre recueil de nouvelles d'Angela Carter, qui réinterprète les contes ancestraux à la lumière de leur seconde lecture érotique et psychanalytique. Elle y explore la nature animale qui sommeille en chacun, homme ou femme, comme le point de départ ou point final de chaque conte. Approchée par le réalisateur Neil Jordan (Entretien avec un vampire) alors qu'elle venait de faire publier son livre, Angela Carter a rapidement planché avec lui sur une transposition pour le cinéma. Mais comment adapter un recueil de nouvelles en un seul et même film ? Pour cela, tous les deux sont partis des nouvelles réinterprétant Le petit chaperon rouge et des éléments de quelques autres pour réécrire une histoire inédite qui contienne en substance l'essence du recueil.

 
    L'histoire commence à l'époque contemporaine : la jeune Rosaleen s'est endormie dans sa chambre, au milieu de ses jouets d'enfants, fuyant ses parents et son insupportable sœur, Alice. Pendant un sommeil tourmenté, elle rêve qu'elle et sa famille vivent en des temps anciens dans un village au cœur d'une vaste forêt. Sa sœur ainée vient d'être sauvagement tuée par des loups et le temps du deuil de ses parents, l'adolescente passe quelques temps auprès de sa Grand-Mère, qui réside dans une chaumière au fond des bois. Là, au bout d'un sentier qu'il ne faut pas quitter, au milieu d'une forêt où il ne faut surtout pas s'aventurer en pleine nuit, tandis qu'elle tricote un chaperon écarlate pour sa petite-fille, la Mère-Grand lui raconte quelques vieilles histoires. Des histoires de loups qui sont en fait des hommes, des histoires d'hommes qui sont en fait des loups, avec "les poils en dedans". A chaque récit qu'elle lui conte, ce sont autant de conseils et de mises en garde : Rosaleen sera bientôt une adulte et elle doit veiller à ne pas se laisser séduire par les bêtes qui rôdent dans le sous-bois...

 
    Étrange et dérangeant, La compagnie des Loups est un film un peu daté mais qui n'a rien perdu de sa superbe. A travers cette histoire dans l'histoire dans le rêve, N.Jordan et A.Carter explorent de façon presque freudienne une immersion dans le subconscient adolescent, le rêve étant parsemé d'éléments propres aux contes anciens (Le petit chaperon rouge en tête, donc). Si la linéarité du film peut être mise à mal par les nombreuses histoires racontées et enchâssées dans le scénario, on peut y voir une mise en scène d'avant-garde qui s'amuse du téléspectateur en racontant son intrigue à la façon d'une construction en poupées russes, disséminant dans l'ensemble symboles curieux et clins d’œil aussi bizarres qu'évocateurs.
 

    Car une fois dépossédées des nombreux embranchements qu'elle explore, l'histoire racontée dans le film tient dans un mouchoir de poche. Or, l'intérêt ne réside pas dans cette trame de fond qui revisite Le petit Chaperon rouge, mais dans le puzzle des différentes histoires et les figures quasi-totémiques qu'on y croise (La Grand-Mère, le Loup, la jeune fille...), toutes étant finalement une projection de l'esprit fructueux et incandescent de la Rosaleen endormie. Parmi les passages les plus mémorables, le conte du mariage maudit, rapporté par Rosaleen à sa mère, donne lieu à une scène onirique et gothique à souhait au cours de laquelle tous les invités d'un mariage sont transformés en loups par une sorcière bafouée. Les perruques poudrées s'effondrent sur les oreilles pointues et les robes de dentelles se déchirent sous les griffes des animaux dans une atmosphère de bal masqué grotesque mais visuellement saisissante.
 

    Il en est ainsi de tous le film, qui glisse par petites touches des éléments incongrus ou sans explication apparente, mais qui font leur chemin dans notre esprit pour y planter une graine délicieusement malaisante. Il en est ainsi de ces œufs s'ouvrant sur des miniatures de nourrissons dans le nid d'une cigogne, du Diable qui voyage en Rolls à travers la forêt, ou des crapauds et serpents qui apparaissent entre les arbres comme autant de représentations codées du désir qui enfle. Car il est bel et bien question de l'émergence de la sexualité adolescente : qu'il s'agisse de la seconde lecture du conte originale de Perrault ou de cette réécriture du Petit Chaperon Rouge, le loup est avant tout le symbole du prédateur dont la jeune fille doit se défendre. Ou pas.

 
    Au casting de ce chef-d’œuvre visuel, on retrouve la grande Angela Lansbury en Grand-Mère, perspicace matriarche figure de sagesse. Les autres acteurs sont beaucoup moins connus aujourd'hui et de ce côté-ci de la Manche ou de l'Atlantique, mais on ne peut qu'apprécier la prestation de Sarah Patterson dans le rôle de Rosaleen, avec un visage poétique qui évoque le physique d'Helena Bonham Carter à la même époque.
 

En bref : Inquiétant et onirique à la fois, La compagnie des Loups est une transposition intéressante et profondément psychanalytique de l’œuvre d'Angela Carter. Construit autour du thème du Petit Chaperon rouge dans lequel s'imbriquent plusieurs histoires, le film distille les éléments perturbants et les visuels esthétisants pour un résultat noir et glaçant qui joue avec les chausse-trapes de l'inconscient.



5 commentaires:

  1. Et bin oui didonc....tout un film bien particulier mais que tu donnes envie de connaitre...;)

    RépondreSupprimer
  2. Ah! Super billet passionnant ! J'ai vu le titre, je me suis tout de suite précipitée pour lire ton article. J'ai vu ce film adolescente avec une tante friande d'histoires gothiques. J'ai trouvé ces récits fascinants. Je pense le revoir aussi pour Halloween. Je n'ai pas lu les nouvelles mais elles me font envie.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Mille merci pour ce commentaire très enthousiaste, Missycornish, et bienvenue sur le blog! Ravi de rencontrer d'autres admirateurs de ce film aujourd'hui connu d'un petit nombre de personnes :)

      Supprimer
  3. je note, mais j'aimerais aussi découvrir le livre, je commencerais peut-être par la version écrite histoire de garder intacte la découverte

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le livre étant un recueil de nouvelles, tu ne perdrais rien à le découvrir après avoir vu le film, qui est totalement reconstruit sur la base d'éléments présents dans les textes du livre original. Ceci dit, je comprends ta motivation : j'avais moi-même voulu lire avant de voir ;)

      Supprimer