samedi 4 janvier 2025

Blanche-Neige - Un téléfilm de Caroline Thompson d'après le conte de Grimm.

 

Blanche-Neige

(Snow-White, the fairest of them all)


Un film écrit et réalisé par Caroline Thompson

Avec : Miranda Richardson, Kristin Kreuk, Tom Irwin, Michael J. Anderson, Warwick Davis...
 
Première diffusion originale : 17 mars 2002 sur ABC
Première diffusion française : 24 décembre 2002 sur M6

    Une jeune femme se pique un jour le doigt à une épine de rose. Puis, par une nuit de pleine lune, elle donne naissance à une fille aux cheveux de jais et au teint de porcelaine qu’elle prénomme Blanche-Neige. Elle ne survit pas à l’accouchement. Son mari s’égare, alors qu’il est à la recherche de lait pour son bébé, et s’effondre dans la neige. Ses larmes se mettent à couler et libèrent un monstre prisonnier de la glace. Pour le remercier, celui-ci lui offre un royaume, mais lui impose sa propre sœur, Elspeth, pour en être la reine. Sous les traits d’une belle femme, elle est une hideuse mégère dont le père de Blanche-Neige refuse les avances. De dépit, elle l’envoûte et trône à ses côtés. Seize années plus tard, Blanche-Neige est devenue une magnifique jeune fille dont la beauté ne cesse d’attiser la jalousie de sa marâtre.
 
***
 
     Si Blanche-Neige n'est pas l'oeuvre littéraire la plus adaptée, elle compte néanmoins un certain nombre de transpositions à l'écran et ce depuis l'invention du cinéma. Il y a douze ans, on s'était penché sur les deux versions sorties quasi-simultanément sur grand écran le film de Rupert Sanders (médiéval, épique et sombre) et celui de Tarsem Singh (coloré, extravagant et parodique). Le second nous avait d'ailleurs fortement rappelé une précédente adaptation dans certains de ses choix scénaristiques et scénographiques : cette version de Caroline Thompson.
 

    Caroline Thompson est ce qu'on pourrait appeler une illustre inconnue : vous ne connaissez pas son nom, mais vous connaissez son travail. Cette talentueuse scénariste est en effet longtemps restée dans l'ombre des réalisateurs pour qui elle a travaillé, son binôme le plus célèbre n'étant ni plus ni moins que... Tim Burton. Cette Américaine diplômée de littérature classique est de fait pour beaucoup dans le succès rencontré par le célèbre cinéaste : le scénario d'Edward aux mains d'argent, des Noces Funèbres et de L'étrange Noël de Mr Jack (à 4 mains avec le génial Michael McDowell), c'est elle ! On lui doit également le script du premier film de La famille Addams de Barry Sonnenfeld, qui confirme son goût pour le bizarre.


    Un goût qu'on retrouve dans ce Blanche-Neige tourné pour la télévision en 2001, dont Caroline Thompson est à la fois réalisatrice, scénariste et productrice. Les critiques successives suite à la diffusion originale du téléfilm sur ABC (chaine américaine familiale, d'autant qu'il était diffusé dans le cadre de l'émission d'anthologie The wonderful World of Disney) ne sont pas passées à côté de l'atmosphère burtonienne de cette adaptation : celle-là a été tantôt louée, tantôt dénoncée, le tout donnant lieu à des avis mitigés. Les retours positifs ont ainsi applaudi la vision audacieuse de Caroline Thompson, "nourrie de son travail aux côtés de Tim Burton" (les journalistes auront alors oublié que Caroline Thompson avait peut-être toujours été plus burtonienne que Burton himself), les détracteurs dénonçant quant à eux les aspects trop dérangeants du film pour une chaîne familiale. Il faut dire que la critique probablement la plus clairvoyante de ce téléfilm (mais aussi la plus élogieuse) comparait son univers à un "royaume de pain d'épice qu'aurait bâti David Lynch". Tout est dit.
 

    Et en effet, cette version, véritablement intéressante, n'hésite pas à s'affranchir des approches trop lisses du conte pour revenir à ses sources plus sombres, plus profondes. Le scénario n'est pour autant pas une retranscription ultra fidèle de Grimm et Caroline Thompson brouille les pistes, puisant autant d'éléments dans les versions étrangères de Blanche-Neige que dans d'autres contes traditionnels pour en faire un patchwork inventif et, il faut l'admettre, assez jubilatoire dans son étrangeté. Ainsi s'invite par exemple un génie qui accorde des vœux (toujours à double tranchant, car il est bien connu qu'il faut prendre garde à ce qu'on souhaite), quant de nombreux ressorts scénaristiques ne sont pas sans rappeler La reine des neiges (les éclats du miroir magique, s'ils tombent dans l’œil de quelqu'un, change sa vision du monde et sa personnalité) et Neige-Blanche et Rose-Rouge (le prince transformé en ours).
 

    En entremêlant ces différents éléments, Caroline Thompson donne une couleur unique au conte de Grimm et une résonance particulière à ses différents symboles. Elle propose aussi une toute nouvelle origin story à la Méchante Reine et s'amuse de la place qu'occupe le miroir dans l'intrigue : le rôle qu'il joue, ses diverses fonctions et ses manifestations. Objet de divination et arme redoutable, il permet aussi à la reine de voyager ou de se transformer, offrant quelques scènes parmi les plus audacieuses du téléfilm. Le cabinet où il est rangé, sorte de galerie des glaces qui reflète à l'infini, voit ainsi tous ses miroirs contaminés par son pouvoir et engendrer des apparitions kaléidoscopiques aussi dérangeantes que réussies.
 


    C'est là que le fond et la forme se rencontrent : la mise en scène et l'esthétique globale du film servent merveilleusement le scénario, et Caroline Thompson a plus d'une fois applaudi le travail de ses collègues de l'équipe artistique. Tourné au Canada dans des paysages évocateurs de l'Europe de l'Est, le film voit ses personnages évoluer dans des décors architecturaux qui rappellent fortement la Norvège (les costumes des gardes s'inscrivent dans la même esthétique), un style que la réalisatrice a baptisé "Art Nouveau viking" et qui fait écho aux inspirations européennes ancestrales du script.
 

    Le film est, du point de vue du casting, porté par la charismatique Miranda Richardson (Sleepy Hollow, Harry Potter, Merlin), dont la prestation en tant que Méchante Reine est tout bonnement époustouflante. Elle parvient à donner une épaisseur réelle à un personnage de prime abord excessif et un peu facile, son jeu rappelant celui de Sigourney Weaver dans la version très sombre de Blanche-Neige sortie en 1997 (pour l'anecdote, toutes les deux sont doublées en VF par Frédérique Tirmont, ce qui accentue probablement la ressemblance). Sa personnalité autant que son apparence de modèle préraphaélite font d'elle une géniale évocation de Lady McBeth poussée à son paroxysme. Tout repose donc en grande partie sur les épaule de la comédienne et sur celles des acteurs qui interprètent les sept nains, les très bons Warwick Davis (Willow) et Michael J. Anderson (Twin Peaks) en tête. On ne peut cependant pas en dire autant de tout le reste de la distribution, notamment en ce qui concerne Blanche-Neige, interprétée par Kristin Kreuk. Alors star montante de la série Smallville, l'actrice apporte peu au personnage et peine à la faire sortir des clichés de princesse victimisée. Elle a par ailleurs peu d'intervention, restant le plus souvent en retrait et passant même pour froide et constamment mal à l'aise. Il y avait pourtant, dans ses rares lignes de dialogue, la genèse d'un propos très intéressant et sujet à faire évoluer le personnage vers une vraie réflexion philosophique.
 

    Malgré les reproches formulés à l'encontre du film quant à sa bizarrerie considérée comme inadaptée pour de jeunes téléspectateurs, ce Blanche-Neige répond au cahier des charge du "tout public" à plusieurs reprises et c'est peut-être là sa principale faiblesse. A chercher à entrer dans les cases du convenable, il tombe quelques fois dans le piège du convenu. La fuite dans la forêt, décidément bien trop inspirée de Disney, donne à ce titre lieu à un passage assez ridicule. Dans une même optique, la scène où la Méchante Reine écrit son rire en nuage de fumée dans le ciel bleu, certainement un clin d’œil au "Surrender Dorothy" du Magicien d'Oz de la MGN, vient casser quelque chose de l'univers instauré jusque-là. Ce ne sont-là que des détails, mais Dieu sait que le Diable adore s'y cacher...


En bref : Caroline Thompson, longtemps bras droit de Tim Burton, propose ici une vision aussi intéressante que fascinante du conte des frères Grimm. Porté en grande partie par la prestation flamboyante de Miranda Richardson en Méchante Reine, ce Blanche-Neige s'éloigne des adaptations trop lisses ou trop faciles de l'histoire et s'amuse à entremêler les références à ses multiples variantes ainsi qu'à d'autres contes traditionnels. Le résultat est un patchwork étrange et savoureux dont les prises de risque scénaristiques et scénographiques font la réussite.




Et pour aller plus loin...

jeudi 2 janvier 2025

Les histoires de Blanche-Neige racontées dans le monde - collectées par F. Morel & G. Bizouerne et illustrées par C. Gastaut.

Editions Syros, coll. "Le tour du monde d'un conte", 2007, 2009, 2017.

    Un recueil exceptionnel: de surprenantes versions de Blanche-Neige que l'on raconte à travers le monde, ainsi que la célébrissime version écrite par les frères Grimm. Un choix de surprenantes versions du conte que l'on raconte à travers le monde: La Petite Toute-Belle (Bretagne), La belle jeune fille et les coupes claires (Danemark), La fille de la sorcière (Niger), Arbre d'Or et Arbre d'Argent (Ecosse), Le roi Paon (Louisiane), Lune d'Or (Grèce), Blanche Neige (Allemagne/Grimm). L'une est recueillie par trois dragons, l'autre par un berger, une encore par sept Kuuku...mais chacune connaît des aventures bien singulières!
 
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    Qui s'intéresse un tant soit peu aux contes traditionnels sait que leurs formes et leurs fonds ne sont pas figés dans le temps et l'espace. Issus de la tradition orale, les contes se sont transmis d'une génération à l'autre et d'un pays à l'autre jusqu'à ce que certains auteurs les retranscrivent dans les versions désormais les plus connues, qu'on a trop souvent tendance à qualifier d' "originales". Ainsi, Perrault, Grimm et Andersen, s'ils sont les grands noms associés aux contes de notre enfance, n'ont fait que coucher par écrit des histoires bien plus anciennes qu'eux. Il existe en effet de par le monde autant de versions de chaque conte qu'il existe de pays et, parfois, de régions, les territoires les embellissant de leurs couleurs et traditions locales. Lancée au milieu des années 2000 sous la direction de Nicole Belmont (chercheuse en sciences sociales et spécialiste des contes) pour les éditions Syros, la collection "Le tour du monde d'un conte" ambitionne de faire découvrir ces versions étrangères ou régionales alternatives. Chaque volume fait un focus sur un conte très célèbre et propose quelques variantes parmi celles qui existent dans le monde entier.
 

    Dans cette anthologie illustrée consacrée à Blanche-Neige et à ses "sœurs" et "cousines" de contrées proches et lointaines, ce sont Gilles Bizouerne et Fabienne Morel, animés par leur double casquette d'enseignants chercheurs et conteurs, qui ont collecté 7 (chiffre magique !) versions du conte. A part celle des frères Grimm retranscrite dans sa version originale traduite par Marthe Robert, toutes les autres sont remises en forme et racontées par le duo. On découvre ainsi une version bretonne, une autre danoise, une nigérienne, une écossaise, sans oublier des variantes de Grèce et de Louisiane. La récurrence ? Comme l'explique Nicole Belmont dans sa passionnante postface, c'est la structure. Le schéma narratif, "squelette" qui reste peu ou prou le même d'une contrée à l'autre, a ainsi été identifié dans les classifications des chercheurs et folkloristes Anni Aarne et Stith Thompson au cours du premier et du deuxième tiers du XXème siècle. Leurs travaux respectifs ont donné lieu à la classification internationale Aarne-Thompson, qui rassemble et synthétise sous un système de codes les typologies communes à tous les contes recensés existants. Le conte de Blanche-Neige et de ses variantes y est répertorié sous le numéro 709, une trame qui a engendré bien trop d'enfants pour tous les restituer en un seul ouvrage ! On regrette à ce titre l'absence des versions chinoise et russe, qu'on aime personnellement beaucoup (mais dont on aura l'occasion de vous parler ultérieurement).


    Ce conte n° 709, c'est l'histoire de la jeune fille persécutée par un antagoniste jaloux de sa beauté (une belle-mère le plus souvent, mais parfois une mère ou une sœur). L'héroïne, contrainte de fuir après une première tentative de meurtre par une tierce personne, se réfugie à l'écart dans la demeure d'un ou plusieurs adjuvant(s) (des nains, des génies, des dragons, ou encore un berger), où elle est victime d'une ou plusieurs attaque de son ennemie, cette dernière la laissant pour morte jusqu'à ce qu'elle soit ramenée à la vie par l'homme qu'elle épousera. Cette mort est souvent la métaphore de l'entrée dans la puberté, caractérisée d'un texte à l'autre et selon les cultures par des éléments symboliques forts (le sang, la coiffure, les vêtements, etc.).
 

    Car comme évoqué plus haut, c'est essentiellement la culture propre à chaque pays qui, en embellissant la trame commune de départ, fait toute la différence entre ces multiples versions. Chez Grimm, les forêts et les mines de l'Allemagne constituent le décor principal, là où la version bretonne fait la part belle à la mer et invite des dragons, issus du vieux folklore marin, dans son intrigue. Le peigne empoisonné des frères Grimm (que l'on retrouve dans la version danoise) devient un couteau à coiffer dans le conte nigérien et le cercueil de verre, une chasse ou un cercueil en or. Dans les pays où l'océan et les fleuves occupent une place importante, la tombe de la princesse est souvent envoyée voguer sur les flots jusqu'à ce que le prince la découvre sur le rivage opposé.


    Charlotte Gastaut, artiste connue et reconnue en édition jeunesse, propose une mise en image toute en douceur inspirée par ses multiples origines familiales étrangères, une vraie richesse pour illustrer les variantes internationales d'un même conte. Si l'on reconnait en effet sa patte d'une page à l'autre, elle adopte les codes graphiques et stylistiques propres à chaque pays pour en inspirer son coup de crayon : les tissus et imprimés africains pour la version nigérienne, ou encore le chatoiement des couleurs typique de l'art cajun pour la version louisianaise. L'ensemble, visuellement réussi, porte et restitue l'éclectisme propre aux enjeux de cette collection.
 

En bref : Un très beau recueil qui permet de découvrir les versions étrangères du conte de Blanche-Neige, une sélection de sept variantes issues de la tradition orale grecque, bretonne, danoise ou encore nigérienne. Complété d'une postface passionnante, ce livre offre un regard érudit sur les symboles de cette histoire et sur son évolution à travers le temps et le monde. Le tout est mis en image par la talentueuse Charlotte Gastaut, dont l'art fait la part belle aux couleurs, motifs et styles propres à chaque pays mis en lumière.