Blanche-Neige
(Snow-White, the fairest of them all)
Un film écrit et réalisé par Caroline Thompson
Avec : Miranda Richardson, Kristin Kreuk, Tom Irwin, Michael J. Anderson, Warwick Davis...
Première diffusion originale : 17 mars 2002 sur ABC
Première diffusion française : 24 décembre 2002 sur M6
Une jeune femme se pique un jour le doigt à une épine de rose.
Puis, par une nuit de pleine lune, elle donne naissance à une
fille aux cheveux de jais et au teint de porcelaine qu’elle
prénomme Blanche-Neige. Elle ne survit pas à l’accouchement.
Son mari s’égare, alors qu’il est à la recherche de lait pour
son bébé, et s’effondre dans la neige. Ses larmes se mettent à
couler et libèrent un monstre prisonnier de la glace. Pour le
remercier, celui-ci lui offre un royaume, mais lui impose sa
propre sœur, Elspeth, pour en être la reine. Sous les traits
d’une belle femme, elle est une hideuse mégère dont le père de
Blanche-Neige refuse les avances. De dépit, elle l’envoûte et
trône à ses côtés. Seize années plus tard, Blanche-Neige est
devenue une magnifique jeune fille dont la beauté ne cesse
d’attiser la jalousie de sa marâtre.
***
Si Blanche-Neige n'est pas l'oeuvre littéraire la plus adaptée, elle compte néanmoins un certain nombre de transpositions à l'écran et ce depuis l'invention du cinéma. Il y a douze ans, on s'était penché sur les deux versions sorties quasi-simultanément sur grand écran le film de Rupert Sanders (médiéval, épique et sombre) et celui de Tarsem Singh (coloré, extravagant et parodique). Le second nous avait d'ailleurs fortement rappelé une précédente adaptation dans certains de ses choix scénaristiques et scénographiques : cette version de Caroline Thompson.
Caroline Thompson est ce qu'on pourrait appeler une illustre inconnue : vous ne connaissez pas son nom, mais vous connaissez son travail. Cette talentueuse scénariste est en effet longtemps restée dans l'ombre des réalisateurs pour qui elle a travaillé, son binôme le plus célèbre n'étant ni plus ni moins que... Tim Burton. Cette Américaine diplômée de littérature classique est de fait pour beaucoup dans le succès rencontré par le célèbre cinéaste : le scénario d'Edward aux mains d'argent, des Noces Funèbres et de L'étrange Noël de Mr Jack (à 4 mains avec le génial Michael McDowell), c'est elle ! On lui doit également le script du premier film de La famille Addams de Barry Sonnenfeld, qui confirme son goût pour le bizarre.
Un goût qu'on retrouve dans ce Blanche-Neige tourné pour la télévision en 2001, dont Caroline Thompson est à la fois réalisatrice, scénariste et productrice. Les critiques successives suite à la diffusion originale du téléfilm sur ABC (chaine américaine familiale, d'autant qu'il était diffusé dans le cadre de l'émission d'anthologie The wonderful World of Disney) ne sont pas passées à côté de l'atmosphère burtonienne de cette adaptation : celle-là a été tantôt louée, tantôt dénoncée, le tout donnant lieu à des avis mitigés. Les retours positifs ont ainsi applaudi la vision audacieuse de Caroline Thompson, "nourrie de son travail aux côtés de Tim Burton" (les journalistes auront alors oublié que Caroline Thompson avait peut-être toujours été plus burtonienne que Burton himself), les détracteurs dénonçant quant à eux les aspects trop dérangeants du film pour une chaîne familiale. Il faut dire que la critique probablement la plus clairvoyante de ce téléfilm (mais aussi la plus élogieuse) comparait son univers à un "royaume de pain d'épice qu'aurait bâti David Lynch". Tout est dit.
Et en effet, cette version, véritablement intéressante, n'hésite pas à s'affranchir des approches trop lisses du conte pour revenir à ses sources plus sombres, plus profondes. Le scénario n'est pour autant pas une retranscription ultra fidèle de Grimm et Caroline Thompson brouille les pistes, puisant autant d'éléments dans les versions étrangères de Blanche-Neige que dans d'autres contes traditionnels pour en faire un patchwork inventif et, il faut l'admettre, assez jubilatoire dans son étrangeté. Ainsi s'invite par exemple un génie qui accorde des vœux (toujours à double tranchant, car il est bien connu qu'il faut prendre garde à ce qu'on souhaite), quant de nombreux ressorts scénaristiques ne sont pas sans rappeler La reine des neiges (les éclats du miroir magique, s'ils tombent dans l’œil de quelqu'un, change sa vision du monde et sa personnalité) et Neige-Blanche et Rose-Rouge (le prince transformé en ours).
En entremêlant ces différents éléments, Caroline Thompson donne une couleur unique au conte de Grimm et une résonance particulière à ses différents symboles. Elle propose aussi une toute nouvelle origin story à la Méchante Reine et s'amuse de la place qu'occupe le miroir dans l'intrigue : le rôle qu'il joue, ses diverses fonctions et ses manifestations. Objet de divination et arme redoutable, il permet aussi à la reine de voyager ou de se transformer, offrant quelques scènes parmi les plus audacieuses du téléfilm. Le cabinet où il est rangé, sorte de galerie des glaces qui reflète à l'infini, voit ainsi tous ses miroirs contaminés par son pouvoir et engendrer des apparitions kaléidoscopiques aussi dérangeantes que réussies.
C'est là que le fond et la forme se rencontrent : la mise en scène et l'esthétique globale du film servent merveilleusement le scénario, et Caroline Thompson a plus d'une fois applaudi le travail de ses collègues de l'équipe artistique. Tourné au Canada dans des paysages évocateurs de l'Europe de l'Est, le film voit ses personnages évoluer dans des décors architecturaux qui rappellent fortement la Norvège (les costumes des gardes s'inscrivent dans la même esthétique), un style que la réalisatrice a baptisé "Art Nouveau viking" et qui fait écho aux inspirations européennes ancestrales du script.
Le film est, du point de vue du casting, porté par la charismatique Miranda Richardson (Sleepy Hollow, Harry Potter, Merlin), dont la prestation en tant que Méchante Reine est tout bonnement époustouflante. Elle parvient à donner une épaisseur réelle à un personnage de prime abord excessif et un peu facile, son jeu rappelant celui de Sigourney Weaver dans la version très sombre de Blanche-Neige sortie en 1997 (pour l'anecdote, toutes les deux sont doublées en VF par Frédérique Tirmont, ce qui accentue probablement la ressemblance). Sa personnalité autant que son apparence de modèle préraphaélite font d'elle une géniale évocation de Lady McBeth poussée à son paroxysme. Tout repose donc en grande partie sur les épaule de la comédienne et sur celles des acteurs qui interprètent les sept nains, les très bons Warwick Davis (Willow) et Michael J. Anderson (Twin Peaks) en tête. On ne peut cependant pas en dire autant de tout le reste de la distribution, notamment en ce qui concerne Blanche-Neige, interprétée par Kristin Kreuk. Alors star montante de la série Smallville, l'actrice apporte peu au personnage et peine à la faire sortir des clichés de princesse victimisée. Elle a par ailleurs peu d'intervention, restant le plus souvent en retrait et passant même pour froide et constamment mal à l'aise. Il y avait pourtant, dans ses rares lignes de dialogue, la genèse d'un propos très intéressant et sujet à faire évoluer le personnage vers une vraie réflexion philosophique.
Malgré les reproches formulés à l'encontre du film quant à sa bizarrerie considérée comme inadaptée pour de jeunes téléspectateurs, ce Blanche-Neige répond au cahier des charge du "tout public" à plusieurs reprises et c'est peut-être là sa principale faiblesse. A chercher à entrer dans les cases du convenable, il tombe quelques fois dans le piège du convenu. La fuite dans la forêt, décidément bien trop inspirée de Disney, donne à ce titre lieu à un passage assez ridicule. Dans une même optique, la scène où la Méchante Reine écrit son rire en nuage de fumée dans le ciel bleu, certainement un clin d’œil au "Surrender Dorothy" du Magicien d'Oz de la MGN, vient casser quelque chose de l'univers instauré jusque-là. Ce ne sont-là que des détails, mais Dieu sait que le Diable adore s'y cacher...
En bref : Caroline Thompson, longtemps bras droit de Tim Burton, propose ici une vision aussi intéressante que fascinante du conte des frères Grimm. Porté en grande partie par la prestation flamboyante de Miranda Richardson en Méchante Reine, ce Blanche-Neige s'éloigne des adaptations trop lisses ou trop faciles de l'histoire et s'amuse à entremêler les références à ses multiples variantes ainsi qu'à d'autres contes traditionnels. Le résultat est un patchwork étrange et savoureux dont les prises de risque scénaristiques et scénographiques font la réussite.
Et pour aller plus loin...