samedi 25 octobre 2025

Sarah des Limbes - Maxime Fontaine.

Poulpe Fictions, 2025.
 
    Orpheline, insignifiante – presque invisible – aux yeux des autres, Sarah a basculé dans les Limbes, un univers parallèle où errent les âmes oubliées. Traquée par un mystérieux Contrôleur qui exige son " permis d'exister ", elle comprend que plus le temps passe dans cette étrange dimension, plus elle risque d'y rester prisonnière à jamais. Entre créatures dévorantes et fantômes en tout genre, Sarah devra choisir : tenter de retrouver sa vie d'avant... ou révolutionner ce monde de l'ombre ? 

Tombée dans le monde des Oubliés, saura-t-elle en sortir ?
 
Une histoire frissonnante dans un univers aussi fascinant que dangereux.
 
***
 
     On ne va pas vous raconter d'histoires : c'est une fois de plus la couverture qui nous a poussé à la lecture. Une cité brumeuse, des fantômes, un monstre aux dents pointues et une fillette aux faux airs de Lydia Deetz... il ne nous en fallait pas plus pour réveiller en nous l'amateur d'intrigues creepy et de films burtoniens. L'éditeur est d'ailleurs le premier à citer le célèbre réalisateur pour qualifier l'univers de Sarah des Limbes, mentionnant Miss Peregrine et les enfants particuliers. De quoi attiser notre curiosité...
 

    Sarah est une gamine au caractère bien trempé – et du caractère, il en faut quand on est orpheline et qu'on a passé toute sa vie en familles d'accueil ou en foyers. La fillette aux cheveux châtains a appris à ne pas se laisser marcher sur les pieds et à donner les coups de poing nécessaires à sa survie... quitte à se faire détester de la plupart de ses congénères, voire peut-être même jusqu'à se faire oublier. C'est en tout cas la seule explication à ce qui lui arrive, car voilà qu'après s'être assoupie au dîner, elle s'est réveillée... dans les Limbes ! Cet entre-deux monde gris réservé aux âmes errantes et aux humains délaissés existe en parallèle du monde ordinaire, comme par superposition, mais séparé d'un voile quasiment infranchissable. Les tentatives de Sarah de rejoindre sa réalité sont par ailleurs complexifiées par le Contrôleur, sorte d'agent de sécurité qui s'assure bien que personne ne s'échappe de ce monde alternatif. L'horrible bonhomme menace également de mettre sous les verrous tous ceux qui ne possèdent pas un permis d'exister en cours de validité. Dans sa quête pour regagner son monde, Sarah croisera des personnages aussi farfelus que mystérieux, de Phil le rouquin à Wassim le vagabond, sans oublier une certaine Mamie Négoce, qui semble être la seule à pouvoir lui accorder un billet de retour chez les vivants...
 

Maxime Fontaine, auteur.
 
    Ne tergiversons pas : Sarah des Limbes est un roman jeunesse très sympathique, en plus d'être parfaitement adapté à la saison. L'éditeur ne s'y est pas trompé en évoquant Tim Burton, mais on pense davantage à Beetlejuice qu'à Miss Peregrine en lisant le livre de Maxime Fontaine. Pas en raison de l'éventuelle présence d'un esprit farceur aux goûts vestimentaires douteux, mais plutôt dans les codes esthétiques et – peut-on l'exprimer ainsi ? – politiques des Limbes tels qu'il les imagine. En effet, comme le monde des morts de Burton qui s'avère être une insupportable bureaucratie, celui de Maxime Fontaine est régi par un fonctionnement tout aussi strict qu'il est ridicule. On y trouve une parodie de notre monde, où des contrôleurs effrayants arpentent chaque millimètre de terrain pour capturer les sans-papiers, le tout sous l'autorité d'un dictateur qui a, semble-t-il, oublié de réfléchir depuis longtemps.
 

    Mais comme tout système dysfonctionnel, les Limbes ont engendré leurs propres fonctionnements alternatifs, aussi y trouve-t-on quelques rebelles et... une mafia ! Si elle n'est pas clairement nommée ainsi, aucun doute possible : le personnage de Mamie Négoce a tout d'un Parrain – enfin, d'une marraine, en l’occurrence. Installée dans un décor de boite de nuit abandonnée, elle est protégée par une troupe de gardes du corps en costards armés jusqu'aux dents, personnages totalement improbables dans ce décor hanté de maisons biscornues et de manoirs perdus dans la brume. 
 
Benjamin Strickler, illustrateur.
 
    Comme une Dorothy traversant le pays d'Oz pour trouver de quoi rentrer au Kansas, Sarah rencontre en chemin des compagnons de route qui l'aideront dans les quêtes dont elle sera missionnée en échange d'un droit de passage pour retourner chez elle. Parmi ceux-là, outre Wassim le SDF plein de sagesse, Ninée la fantôme morcelée et Junk le tas de déraille,  on a un petit faible pour Phil, rouquin au nœud papillon et à l'humeur on ne peut plus lunatique, justifiant un tordant jeu de mots sur les titres de deux chapitres successifs : "Phil Good" et "Phil Bad". Au milieu de cette galerie de portraits fantaisiste, Sarah s'impose bel et bien comme la fille spirituelle de Lydia Deetz – une analogie confirmée par son style gothique tout en rayures et en jupe plissée à volants et par le coup de crayon de l'illustrateur Benjamin Strickler. Ses personnages filiformes aux grands yeux ronds ne tromperont personne quant aux influences esthétiques qui se cachent derrière ce style.
 
 
    Mais Sarah des Limbes, ce n'est pas qu'une aventure de fantasy gentiment macabre, c'est aussi une histoire émouvante, en toile de fond, sur l'oubli et la solitude. Délaissée par son entourage (et avant cela, par ses parents), Sarah glisse dans les Limbes parce qu'elle ne compte plus pour personne chez les vivants. Il y a ainsi une touchante réflexion qui se dessine en diagonale du scénario et dont chaque personnage, à sa façon, se fait l'écho.
 
    Notre seule petite déception sera dans la construction de l'intrigue, qui souffre d'un rythme à notre sens un peu inégal. Le scénario prend souvent des virages abrupts et les ellipses nécessitent ensuite trop souvent de revenir en arrière pour préciser des informations que le lecteur, de fait, n'a pas. Cela vient casser la fluidité d'une lecture au demeurant très sympathique et dont l'issue, qu'on pourrait croire évidente, prend en fait le contre-pied du final tout tracé que le lecteur imaginait.
 

En bref : Sarah des Limbes, c'est un peu le nouveau Beetlejuice ! Avec son héroïne pleine de caractère toute de rayures noires vêtue et son monde d'esprits errants façonné comme une dictature aussi diabolique que farfelue, ce roman jeunesse n'est pas sans évoquer la fantaisie du Burton des débuts. Si l'on regrette une construction de l'intrigue un peu laborieuse, on aime beaucoup l'univers pensé par Maxime Fontaine et les illustrations de Benjamin Strickler, que le célèbre réalisateur américain n'aurait pas reniées.
 
Un grand merci à Poulpe Fictions pour cette lecture !
 
 
 
 

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