Lorsqu’elle entama la rédaction de Frankenstein, ou le Prométhée
moderne, Mary Shelley n’imaginait pas que, parmi les contes d’horreur
racontés par Shelley, Byron, Polidori et elle au bord du lac Léman,
celui qui l’inspirait était véridique.
Quand elle l’apprend, sans pouvoir révéler au monde la réalité de la menace, Mary se résout à lutter seule pour préserver les siens des perversités du scientifique et de sa créature. Sa détermination de femme libre et ses connaissances lui donneront toutes les audaces face aux cruautés du monstre.
Quand elle l’apprend, sans pouvoir révéler au monde la réalité de la menace, Mary se résout à lutter seule pour préserver les siens des perversités du scientifique et de sa créature. Sa détermination de femme libre et ses connaissances lui donneront toutes les audaces face aux cruautés du monstre.
***
Il y a deux ans, on avait présenté Ann Radcliffe contre Dracula, le premier opus du cycle de La ligue des écrivaines extraordinaires, une collection pensée par l'autrice Christine Luce (par ailleurs vrai nom de Cat Merry Lishi) pour le label Les saisons de l'étrange. Cette saga, imaginée dans la continuité du roman Ann Radcliffe contre les vampires (La ville-vampire) de Paul Féval, se veut une réjouissante réinterprétation des romancières du XIXe siècle fantastique en les confrontant à leurs propres monstres ou à des archétypes du genre. Chaque opus est ainsi confié à une autrice différente sur la base d'un tronc commun, les personnages évoluant dans le même univers : celui d'une ligue menée depuis l'Au-Delà par le spectre de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont pour éradiquer les créatures diaboliques qui ont l'outrecuidance de mener la vie dure aux êtres humains. Alors que Frankenstein connait cette année un intérêt nouveau en raison de l'adaptation du roman par Guillermo del Toro, c'était l'occasion ou jamais d'exhumer ce titre de notre PAL.
Percy Shelley, par Joseph Severn.
Lorsque le récit débute, nous retrouvons Mary quelque temps après la publication de son roman, alors en séjour en Italie aux côtés de son époux Percy et de sa sœur Claire. Le jeune auteur doit quitter leur logement le temps de rencontrer un éditeur intéressé par ses poèmes, abandonnant les deux femmes, dont une Mary enceinte jusqu'au cou. Mais un matin, la romancière se lève et découvre la maison vide. Quelle n'est pas sa surprise de recevoir alors la visite d'un inconnu à l'allure aussi inquiétante qu'elle lui est familière, annoncer qu'il retient prisonnière sa demi-sœur et qu'il lui est déconseillé d'en prévenir qui que ce soit. Impossible pour Mary, même dans son état, de laisser Claire aux mains de ce monstre : elle quitte la maison à son tour et entame un périple aussi dangereux que fascinant pour retrouver la disparue. En chemin, elle sera aidée par un jeune colporteur et sa sœur, qui l'accompagneront dans sa quête. Une quête qui la ramènera aux inspirations réelles qui lui avaient soufflé l'idée de son Frankenstein quelques années plus tôt. Et si Mary s'était approprié sans s'en rendre compte la vie d'un homme, d'une famille, pour en faire un roman malgré elle bien plus près de la réalité qu'elle n'aurait pu le croire ? Et si cet inventeur, ou pire, sa créature, était venue se venger aujourd'hui ?
Page extraite des carnets de voyage de Mary et Percy Shelley.
Ce qui frappe le lecteur de prime abord, c'est la maîtrise de l'oeuvre et de la vie de Mary Shelley par l'autrice : de l'oeuvre, parce que le style s'amuse à calquer le fond et la forme des ouvrages de la célèbre romancière, et de la vie car elle insère cet épisode tout à fait fictionnel dans les nombreux et véridiques voyages européens du couple Shelley. En cela, Mary Shelley contre Frankenstein respire quelque chose d'une authenticité littéraire et historique d'autant plus réjouissante que l'intrigue bascule peu à peu dans la totale science-fiction. On retrouve donc ici des codes qui avaient déjà retenu notre attention dans Ann Radcliffe contre Dracula et qui ne sont pas sans évoquer une sorte d'exercice de style à grande échelle : s'approprier la plume d'une femme de lettres qui devient héroïne et utiliser sa biographie avec rigueur au profit d'une relecture totalement fantaisiste. L'exigence stylistique est poussée à un tel paroxysme que cet ouvrage nécessite par ailleurs une attention soutenue afin de savourer pleinement le texte – texte qui, malheureusement, n'est pas sans quelques coquilles ayant échappé au travail de correction.
L'évocation de l'Italie du début du XIXe siècle est plus vraie que nature et on retrouve dans ses décors pittoresques l'âme des carnets de voyage de Mary et Percy Shelley. Le personnage de Mary est également très fidèle à la jeune femme pétrie de poésie romantique (dans le sens premier du terme, s'il vous plait) et d'idées libertaires telles que celles défendues par ses parents, augustes figures des Lumières que Cat Merry Lishi semble avoir bien comprises.
Manuscrit de Frankenstein.
Mais (il faut bien qu'il y en ait un), on ne peut nier avoir parfois eu du mal à suivre l'intrigue de fond et ses enjeux. Est-ce dû au format de cette collection, trop court pour raconter un scénario qui nécessiterait un développement plus long ? Difficile à dire, mais le rythme n'y est pas totalement et certains éléments manquent de clarté, notamment une confusion récurrente entre créateur et créature, Frankenstein et le monstre (décidément, c'en est presque cocasse quand on sait à quel point la distinction entre les deux se fait parfois difficilement dans l'imaginaire collectif). Dommage, car cela laisse un sentiment d'inachevé une fois le livre refermé.
En bref : Un roman avec un excellent potentiel. Le fond et la forme témoignent d'une vraie connaissance de la vie et de l'oeuvre de Mary Shelley, que l'autrice place dans un contexte très historique et très documenté, le tout dans un style qui n'est pas sans évoquer la célèbre romancière. On regrette seulement la construction de l'intrigue, brouillonne, et le rythme, hétérogène, auxquels s'ajoutent des confusions quant à la place et aux rôles des antagonistes. C'est d'autant plus dommageable que c'était pourtant très bien parti...
Et pour aller plus loin...
- Découvrez les autres titres de La ligue des écrivaines extraordinaires : Ann Radcliffe contre Dracula, et les autres (articles à venir).







Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire