samedi 19 août 2017

Quand on aura le temps - Cédric Bonfils

Editions l'Harmattan Jeunesse, 2017.

  Une route en Picardie, une aire de repos, un village. Une enfant sort d'une caravane et avance dans le champ voisin. Un enfant du village l’aperçoit de sa fenêtre, et, curieux, va à sa rencontre. Enfant du voyage et enfant sédentaire, tout les oppose: leurs origines, les choix de vie de leurs parents, et plus encore, les préjugés... Auront-ils le temps d'être amis?

 Cédric Bonfils, après une formation au département d'écriture dramatique de l'ENSATT de 2003 à 2006, anime aujourd'hui des ateliers d'écriture, de théâtre, et de lecture à voix haute, ainsi que des formations pour les professionnels. Il travaille régulièrement auprès d'un public défavorisé.
Il tient le blog Le divers et l'absolu.


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  J'ai évoqué précédemment ce titre dans un article un peu spécial (ici), qui rappellera comment il m'est tombé dans les mains. Il faut dire qu'on a - ou en tout cas que j'ai moi-même - peu l'occasion de lire du théâtre contemporain. On découvre les classiques au lycée et s'ils gagnent souvent une place dans nos cœurs de lecteurs, on oublie que l'écriture de la dramaturgie ne s'est pas arrêtée à Shakespeare ou Edmond Rostand, aussi parce que le théâtre actuel n'est souvent diffusé sous sa forme imprimée que dans des milieux très restreints (professionnels, arts du spectacle ou cercles purement pédagogiques). Je suis, il est vrai, le premier à dire qu'une pièce est rédigée avant tout pour être jouée mais, fort heureusement, il en existe encore qui n'ont pas besoin d'être finalisée d'une représentation pour qu'on puisse apprécier la beauté du texte. Quand on aura le temps est de celles-là.

  Sur une aire d'accueil de gens du voyage limitée à 24 heures, une jeune fille sort de sa caravane, s'amuse à prendre des photos avec son téléphone. Un jeune garçon du village voisin l'aborde, elle l'ignore. Il insiste, elle le fuit. Tenace, curieux, le garçon ne cède pas mais se trouve pris à son propre piège lorsque sa pertinente interlocutrice lui retourne ses questions : qui est-il, d'où vient-il, pourquoi n'est-il pas à l'école? Il semble sage, presque trop, tandis qu'elle est effrontée, sur ses gardes. Pourtant, au fil des différents décors et recoins secrets qu'elle s'est appropriée depuis son arrivée sur l'aire de caravanes, tous deux vont apprendre à s'ouvrir l'un à l'autre.


  Construite en cinq scènes et un seul acte, cette courte pièce se concentre autour du dialogue très animé de deux enfants que tout oppose : lui, l'enfant du village, enfant sédentaire et 'ordinaire', et elle, l'enfant du voyage, celle qui est autre. La discussion qui s'amorce, derrière son caractère simpliste et innocent, met en scène une véritable confrontation des cultures et du percevoir le monde, au cours de laquelle l'enfant du voyage, sans qu'on en prenne tout de suite conscience, ouvre le jeune garçon et le lecteur/spectateur à sa philosophie.

  La force du dialogue réside dans les petits riens qui veulent dire beaucoup et tout ce que le texte et les personnages transmettent entre les lignes. En s'inspirant de son expérience d'ateliers d'écriture auprès de collectivités de gens du voyages, Cédric Bonfils nous livre un texte en fait très profond sur la différence, l'éphémère et la naissance d'une rencontre. Un récit avec lequel on prend la mesure du temps et qui nous fait méditer, raconté dans une nature omniprésente qui m'a rappelé l'ambiance des films de Jean Becker.

En bref: Une pièce de théâtre à la fois épurée et profonde, qui aborde avec fraîcheur et poésie la rencontre entre culture manouche et univers sédentaire. Très abordable pour le lectorat jeunesse et le milieu pédagogique, elle sera tout aussi pertinente pour les lecteurs adultes. A découvrir et à faire découvrir.

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