Editions J.C.Lattès, Editions France Loisirs, 2012 - Editions du Masque, 2013 - Editions Le livre de Poche, 2014
Alors qu’il est sur le point de faire paraître ses Lettres
philosophiques anglaises, écrit subversif qu’il nie avoir écrit,
Voltaire s’empêtre à nouveau dans des crimes qu’il n’a pas commis. Un
assassin s’en prend à des hommes d’importance, de préférence en aimable
compagnie, et les élimine suivant des mises en scène inspirées
d’ouvrages licencieux. Soucieux d’amadouer le lieutenant de police
Hérault, voici Voltaire contraint de hanter les maisons de passe, les
librairies clandestines et les bureaux de la censure sur les traces d’un
illuminé qui qui semble s’être pris de haine pour les libertins. L’aide
du bon abbé Linant et de la brillante Émilie du Châtelet ne sera pas de
trop pour tenter de garder en vie l’esprit le plus pétulant de son
siècle.
***
"Nous avons plus de chance de voir la Sainte Vierge réciter la bulle Ugenitus entre les colonnes de Saint-Gervais en face que d'entendre la police annoncer une bonne nouvelle. La Sainte Vierge ne s'étant pas manifestée de l'autre côté des carreaux, mieux valait se préparer à recevoir le diable."
"Nous avons plus de chance de voir la Sainte Vierge réciter la bulle Ugenitus entre les colonnes de Saint-Gervais en face que d'entendre la police annoncer une bonne nouvelle. La Sainte Vierge ne s'étant pas manifestée de l'autre côté des carreaux, mieux valait se préparer à recevoir le diable."
Inspiré par la récente exposition Emilie(s) sur l'Art de vivre au XVIIIème et la fantastique Emilie du Châtelet (évoquée ici), j'ai repris la lecture de la truculente série Voltaire mène l'enquête par F.Lenormand. Dans ce second tome, on retrouve le philosophe toujours aussi peu apprécié des forces de l'ordre à la veille de publier ses Lettres Philosophiques, dont il dément pourtant fermement être l'auteur (il faut dire que ledit ouvrage pourrait l'envoyer directement à la Bastille). Puis voilà qu'on retrouve, dans les maisons closes et même dans les Grandes Maisons, des gens qu'on croyait respectables assassinés dans des mises en scène mêlant libertinage et orientalisme. Il s'avère rapidement que tous ces crimes sont inspirés d'un recueil de contes érotiques imprimé clandestinement et qui fait grand bruit dans les ruelles sombres et sous les alcôves réservées au plaisir charnel. Comment s'intitule-t-il, ce bouquin, déjà? Le tapis d'Orient? Le buffet de Bizance? Ah, oui, voilà : Le tabouret de Bassora! Les forces de police s'efforcent de retrouver l'auteur du roman licencieux et le lieutenant Hérault a choisi le coupable idéal en la personne de Voltaire. A moins que ce dernier ne trouve le véritable assassin. Qu'à cela ne tienne, voilà notre grand philosophe mangeur de lentilles et malade imaginaire qui embarque sa maîtresse de scientifique la Marquise du Châtelet et son secrétaire l'abbé Linant dans l'affaire. Mais pour s'infiltrer dans le milieu du libertinage, il ne faut pas hésiter travailler "sous couverture" et mettre sa réputation en danger en faisant tomber la chemise.
"Vous, un philosophe, un homme cultivé, vous devez bien connaître tous les tordus et les obsédés de Paris..."
"Quand il était désespéré, Voltaire allait prendre son café chez Madame du Châtelet. Elle avait fait préparer de la chicorée. Il fit la moue.
- La chicorée, c'est amer, le thé, c'est fade, et le chocolat me dérange l'intestin. Ce ne sont pas des boissons pour les philosophes.
Elle promit de lui procurer de la ciguë à sa prochaine visite."
On retrouve avec plaisir le siècle des Lumières facétieux de Frédéric Lenormand, au croisement de faits historiques et hystériques. Tout en choisissant un contexte des plus véridiques construit sur des bases bien réelles, l'auteur brode une intrigue policière qui brille de l'esprit subtile des Lumières et de leurs mots d'esprit. Après avoir imaginé un whodunit à la française dans le premier opus, F.Lenormand nous entraine ici dans l'univers du Libertinage, aussi représentatif du XVIIIème siècle que sa philosophie.
"Il sentait qu'il lui était attaché comme jamais, peut-être parce que cette femme-là ne ressemblait à nulle autre."
Voltaire et Emilie du Châtelet, personnages historiques et héros de fiction.
"Il jaugea le buisson de roses campé à coté de lui.
- Changez vous donc! Dès que l'on voit paraître un pompon, on sait que vous êtes dans les parages. Qu'avez-vous besoin de vous arranger de la sorte? Vous êtes mathématicienne, physicienne, astronome, que voulez-vous être de plus?
- Une femme, répondit la marquise."
Mais cette fois encore plus que dans le premier tome, l'intrigue policière passerait presque au second plan. Il faut admettre qu'elle est ici de plus en plus complexe au fur et à mesure qu'on progresse dans la lecture, au point de s'y égarer soi-même. On perd d'autant plus le fil que l'enquête est régulièrement entrecoupée de passages humoristiques, portés par le cocasse des situations que vivent nos héros en frayant avec les coquins et les dévoyés. Le plus drôle étant qu'on ne s'en plaint même pas : on délaisse volontiers l'affaire criminelle pour s'offrir deux ou trois fou-rires (si ce n'est plutôt quinze ou seize). Et pour le reste, on reprendra la chasse au meurtrier plus tard!
"On perdait des tas choses,
dans ces petites soirées : ses vêtements, sa pudeur, sa vertu, sa
réputation, et éventuellement, la vie."
"Pour honorer ses visiteurs, il s'adressa à eux dans ce qu'il estimait être leur langue.
-Please, frogive my accoutrement and the bric à brac of my décor. It is so kind of to visit me in my cul-de-sac. If I had known you were coming I would have changed chemise and bonnet instead of receiving you in my déshabillé."
Enfin, applaudissons le style : parodique jusqu'au bout, l'écriture pastiche sans aucune limite le phrasé précieux et nous sert de la périphrase à l'excès. Cette plume volontairement ampoulée ajoute encore un peu plus au burlesque des situations tout en témoignant d'une maîtrise poussée de la langue.Quand la légèreté de l'histoire s'accompagne de jeux de mots et de tournures intelligentes pour parler de grivoiseries, on ne peut qu'applaudir l'ensemble pour être à la fois aussi érudit et hilarant.
Un repas chez les libertins...
"Quand la révolte gronde, la règle est de commencer par pendre les bouffons, ils déconsidèrent le pouvoir avec une arme imparable : le ridicule."
En bref : Humour érotique et polarisant au siècle des lumières, une enquête menée avec gouaille et élégance du verbe. Malgré l'intrigue policière un peu trop cortiquée, on s'attache avec joie aux personnages et aux dialogues absolument savoureux.
Une lecture motivée par le cycle Emilie(s)
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