jeudi 7 février 2019

Mademoiselle de Joncquières - Un film d'Emmanuel Mouret d'après Diderot.



Mademoiselle de Joncquières

Un film d'Emmanuel Mouret d'après Histoire de Madame de la Pommeraye (in Jacques le fataliste et son maître) de Diderot.

Avec : Cécile de France, Edouard Baer, Alice Isaaz...

Sortie en salle le 12 Septembre 2018.

  Madame de La Pommeraye, jeune veuve retirée du monde, cède à la cour du marquis des Arcis, libertin notoire. Après quelques années d’un bonheur sans faille, elle découvre que le marquis s’est lassé de leur union. Follement amoureuse et terriblement blessée, elle décide de se venger de lui avec la complicité de Mademoiselle de Joncquières et de sa mère... 

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   Si nous n'avions pas eu le temps d'évoquer ce film magnifique lors de sa sortie en salle en septembre dernier, nous avions pu nous attarder sur le récit dont il est inspiré : l' Histoire de Madame de la Pommeraye. Ce texte de Diderot, épisode de son grand classique Jacques le fataliste et son maître, avait acquis très tôt une renommée propre et a pu marquer les lecteurs. En mettant ainsi en valeur un personnage de femme qui s'émancipe en se vengeant de l'homme qui l'a bafouée, l'Histoire de Madame de la Pommeraye annonçait déjà Les liaisons dangereuses de C.de Laclos. Après plusieurs comédies romantiques contemporaines, le réalisateur Emmanuel Mouret se lance pour la première fois dans le cinéma en costume avec cette adaptation inattendue ; sa sortie en dvd le mois dernier est donc l'occasion de partager notre avis...


  Ne boudons pas notre plaisir : à la fois classique sans tomber dans l'académisme, Mademoiselle de Joncquières est un film habité par une fraîcheur et une modernité évidentes. Emmanuel Mouret signe une adaptation extrêmement fidèle du texte de Diderot, fidélité que l'on constate en premier lieu à travers les dialogues, au mot près tirés du récit original.. Il était en effet inutile de modifier les excellentes joutes verbales de Diderot, et les quelques ajouts tiennent à des scènes inédites que le scénario glisse ça et là entre deux passages adaptés : la scène du cadeau d'anniversaire ( une "coutume anglaise"), par exemple, ou encore les confidences de Madame de la Pommeraye à son amie en visite de Paris. Autant d'interactions qui s'insèrent sans décalage aucun dans l'histoire initiale, tant l'esprit de l'époque et la subtilité chère à Diderot y sont respectés. 
  L'amie de Madame de la Pommeraye, par ailleurs, est un ajout de taille : absente du texte de base, elle vient en fait remplacer la narration omnisciente du récit écrit en offrant par le biais des confessions la possibilité de verbaliser tout ce qui relève des intentions. Au milieu de ces deux personnages éperdus et abusifs que sont Madame de la Pommeraye et le Marquis des Arcis, ce protagoniste inédit vient aussi ajouter la note raisonnable et mesurée de l'histoire.


  La mise en scène, très travaillée sans jamais tomber dans l'excès, résulte d'une subtile réflexion esthétique, et on notera en effet un important travail des lumières et des couleurs à chacun des plans : Madame de la Pommeraye est par exemple toujours "ton sur ton", portant des tenues assorties aux décors dans lesquels elle est filmée. Les coloris pastels de ses robes à la française tournent au criard lorsqu'elle met en œuvre sa vengeance : rose pâle et bleu ciel virent à l'aigre, et le plus bel exemple est peut-être la superbe et ostentatoire robe jaune ocre qu'elle porte lorsqu'elle commence à mettre son plan à exécution... Une toilette aux accents symboliques qui n'est pas sans évoquer celle de Glenn Close dans le film adapté des Liaisons dangereuses de Frears.

 
  La caméra filme rarement de près et les scènes sont généralement des plans élargis, qui, le plus souvent tournés en pleine nature ou en présence d'une végétation luxuriante, évoquent les tableaux bucoliques de Chardin ou Fragonard. Même la scène finale, au cours de laquelle Madame de la Pommeraye et son amie prennent leur collation, renvoie fortement à l'élégante légèreté des portraits en pied de Carmontelle. Le tout évoque ainsi un petit théâtre, impression renforcée par des intérieurs épurés, une atmosphère intimiste due au petit nombre de personnages, ou encore les transitions par écrans noirs qui rappellent des tombés de rideaux.


  L'esthétisme est poussé jusqu'à la métaphore du personnage de Madame de la Pommeraye : avant même d'être quittée par le Marquis et de se lancer à corps (et à cœur) perdu dans son jeu de vendetta amoureuse, elle est constamment filmée en train d'apprêter son intérieur (elle repositionne vases et vasques en fonction des tapisseries, arranges les bouquets en cherchant le plus bel effet) ou ses toilettes (elle essaye plusieurs palatines, changent de rubans et d'accessoires), le tout en devisant avec flegme et distinction avec son amie ou le marquis. Tout dans son rapport à l'esthétique, à la "mise en scène", pourrait-on dire, la prédestinait à ce rôle de manipulatrice, d'illusionniste des faits et des situations : elle a une vision quasi-artistique du rapport au décor dans lequel elle évolue, comme de la machination qu'elle conçoit et imagine comme une œuvre


  Applaudissons à ce titre l'interprétation de Cécile de France, éblouissante. Elle donne entièrement corps au personnage imaginé par Diderot, l'incarne avec force et éloquence : la posture, le moindre geste ou déplacement, tout relève du raffinement qui sied à l’aristocratie du XVIIIème siècle sans jamais être ampoulé. Même le timbre de sa voix a été travaillé et on peine à reconnaitre la tessiture habituelle de l'actrice : elle est ici plus ponctuée, plus haut perchée, presque candide, parfaite pour les dialogues pleins de civilités auxquels elle se prête, et résonne de quelque chose de diabolique lorsqu'elle parle de sa revanche.


  L'autre excellente surprise du film, c'est évidemment Edouard Baer, que j'ai totalement redécouvert. De cet acteur que j'avais mis en boite bien trop vite, j'ai finalement dû revoir mon jugement. Son sympathique badinage se prête à merveille à son personnage de gentil libertin, et il parvient même à nous émouvoir en amoureux sincère à la fin du film. Si sa barbe semble un peu anachronique, elle peut rappeler à certains celle tout aussi incongrue d'Alan Rickman lorsqu'il jouait... le rôle de Valmont dans Les liaisons dangereuses sur les planches dans les années 80. Simple hasard ou clin d’œil? 


  Enfin, impossible de ne pas parler, même brièvement, de la bande musicale. Composée de morceaux de Vivaldi, Scarlatti, ou Bach, elle concourt évidemment à finaliser la réussite de ce superbe tableau. 


En bref : Impeccablement joué, subtilement mis en scène, Mademoiselle de Joncquières redonne toute sa gloire au film en costumes français. Ce conte d'amours assassines plein de grâce et d'éloquence est un régal pour les yeux et les oreilles. Un vrai coup de cœur, par ailleurs déjà favori des Oscars dans la catégorie "meilleur film étranger"!


3 commentaires:

  1. je ne l'ai pas vu mais j'ai aimé lire ton analyse! bon week-end!

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    1. Il faut le voir, sans hésiter ! Les dialogues, la mise en scène, les costumes... Tout est un comble de ravissement, même l'horrible machination de la marquise!

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  2. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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