lundi 30 novembre 2020

Le Petit Poucet - Un film d'Olivier Dahan d'après le conte de Perrault.

Le Petit Poucet

 
Un film d'Olivier Dahan d'après le conte de Charles Perrault
 
 Avec : Nils Hugon, Roman Bohringer, Elodie Bouchez, Dominique Hulin, Hanna Berthaut, Catherine Deneuve, Samy Naceri...

Date de sortie : 17 octobre 2001.
 
    Il était une fois Poucet, un petit garçon chétif, rejeté par ses parents paysans et souffre-douleur de ses frères. Les temps sont durs, la guerre dévaste la région. Une horde de soldats pille la ferme familiale, c'est la famine. Les parents de Poucet décident d'abandonner leurs enfants. Dans une immense forêt, livrés à eux-mêmes, ces derniers vont rencontrer des loups ainsi que les guerriers du terrible soldat à la jambe de fer. Mais par-dessus tout, ils vont se retrouver confrontés à celui qui hante les cauchemars de Poucet : l'Ogre, dévoreur d'enfants.
 
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     Certains se souviennent-ils de ce film? En 2001, bien avant de devenir célèbre pour son film La Môme, et bien avant que l'engouement du grand écran pour les contes ne revienne à Hollywood, le frenchy Olivier Dahan transposait déjà au cinéma le célèbre conte de Charles Perrault, dans une volonté de renouer avec le merveilleux de la Belle et la Bête de Cocteau ou du Peau d'Âne de Jacques Demy. Voilà quelques temps déjà que l'on voulait partager avec vous ce film qui a profondément marqué notre enfance ; profitons que l'atmosphère d'Halloween plane encore ne serait-ce qu'un tout petit peu pour parler de forêt ensorcelée, d'ogres et de bottes de sept lieues...



    Si ce film avait récolté à sa sortie des critiques mitigées (dont d'excellents avis de Télérama et Première, cela dit) pour tomber rapidement dans l'oubli, c'est donc probablement que Dahan avait dix ans d'avance sur la mode : à le revoir aujourd'hui, on ne peut que reconnaître que, malgré ses (bientôt) 20 ans (déjà!), il a extrêmement bien vieilli, en plus de s'affranchir totalement des routes bien fréquentées du cinéma français contemporain. Prise de risque, ce Petit Poucet? Probablement à l'époque, oui, mais il en mérite d'autant plus qu'on le redécouvre aujourd'hui.
 
 
    Aux commandes du scénario autant que de la mise en scène, O.Dahan multiplie les casquettes pour ne rien laisser lui échapper, et c'est tant mieux : de la direction des acteurs à l'esthétique du film, on sent qu'il veut donner vie à sa propre vision du conte, une vision à la fois très fidèle au texte de Perrault tout en prenant des libertés qui permettent de donner à l'histoire une échelle humaine. Parmi les petits détails qui frappent le connaisseur, on remarque que la fratrie est passée de sept à cinq enfants, probablement un choix judicieux pour que le jeune spectateur puisse bien identifier chacun d'entre eux. Le scénario justifie le contexte de famine en imaginant une contrée où les récoltes sont difficiles, en plus de devenir le terrain de jeu de pillards et d'une guerre qui avance à grands pas. L'occasion de glisser quelques personnages secondaires absents du conte initial (dont un Samy Naceri saisissant en brigand à la jambe de fer) mais qui étoffent l'histoire en faisant prendre conscience de la dangerosité de l'époque et de l'endroit. 
 

    Autre liberté prise par Dahan, et on l'en remercie : le personnage de Rose, fillette des bois aux allures d'enchanteresse, avec qui Poucet se lie d'amitié. On découvre plus tard qu'elle est l'une des filles de l'Ogre, fille qui se refuse à son devenir d'ogresse et préfère aider Poucet et ses frères à s'échapper des griffes du monstre. En plus d'apporter une vraie fraicheur, cet ajout du scénario permet un renouveau dramatique bienvenu tout en suggérant par le truchement de la fiction qu'on n'est pas toujours le milieu d'où l'on vient... aussi vrai que Poucet, bien que petit, est plus courageux qu'il ne le laisse à penser. En cela, la morale du conte est respectée : Poucet, malmené par ses frères, est d'ailleurs présenté comme un petit enfant sensible dans lequel le jeune spectateur peut s'identifier. Le courage, il s'en arme parce qu'il n'a pas le choix s'il veut survivre, prouvant par là que c'est donc pas une qualité innée, loin de l'image lisse du héros de fiction inatteignable.


    Le film marque par son esthétique : des décors aux costumes, on alterne entre un univers aux accents féériques et un réalisme poignant. Et pour cause, revenant à des techniques de réalisation traditionnelles, ce film n'a recours à quasiment aucun artifice numérique. L'intégralité des décors a été construite en studio, dont la forêt, somptueuse, qui n'est pas sans évoquer le bois artificiel de La compagnie des Loups. Les effets de profondeur des fonds peints font superbement illusion, et on nous hypnotise de ciels aux couleurs changeantes sur lesquels les nuages s'étirent en arabesques psychédéliques. On n'est pas étonné d'apprendre que Régis Loisel, célèbre illustrateur de la BD Peter Pan, a été consultant graphique du film.
 
Recherches graphiques de Régis Loisel pour le film.

   Il semble en effet que l'on retrouve son coup de crayon dans chaque scène, chaque détail. Il n'y a alors plus aucun élément qui nous laisse indifférent : des falaises abruptes et vertigineuses à la maison de l'ogre, manoir gothique au milieu d'une clairière rouge sang. L'intérieur évoque aussi bien les gravures de l'Enfer de Bosh que les bas-reliefs du château de la Bête dans le long-métrage animé Disney. A moins que ce ne soit le château de Dracula?  Quant à l'ogre, il est une superbe composition à lui seul : massif et charismatique, doté d'un masque à la mâchoire acérée qui tient davantage de l'exosquelette et fait furieusement penser aux créatures d'Alien, il nous fait encore frissonner à l'âge adulte. Dominique Hulin, acteur et cascadeur aux multiples talents lui prête une voix et une présence mémorables.
 

    Puisqu'on en parle, faisons un petit détour par le casting. Outre Samy Naceri, on retrouve une Romane Bohringer très touchante en mère de Poucet, ainsi qu'une Elodie Bouchez qui crève l'écran dans le rôle de l'épouse de l'ogre, toute vêtue de plumes noires. Catherine Deneuve fait une apparition en reine du royaume, un rôle qui nous renvoie forcément à son interprétation de Peau d'Âne (au point qu'on se demande si Dahan ne suggère pas qu'il s'agit du même personnage... il glisse d'ailleurs un amusant clin d'oeil : lorsque Poucet arrive en bottes de sept lieues au palais, il est conduit de force par un garde - tout jeune Romain Duris - qui explique "On nous pataculte des enfants!" ; impossible de ne pas penser aux contrepèteries du page de Peau d'Âne!). Dans les rôles de Poucet et Rose, deux jeunes acteurs qu'on ne reverra plus sur les écrans et qui ont depuis fait leur bonhomme de chemin : Nils Hugon, adorable bouille aujourd'hui jeune trentenaire photographe et journaliste, et la magnifique Hanna Berthaut, fée échappée d'un songe d'une nuit d'été, qui travaille désormais dans le marketing (merci google). On regrette de ne pas les avoir retrouvés après, tant leur prestation était prometteuse.
 

     L'ensemble, furieusement visuel, donc, est porté par la musique envoutante de Joe Hisaishi, compositeur japonnais au lyrisme transcendant (il a entre autres composé les bandes originales des Enfants de la mer, du Conte de la princesse Kayuga, ou encore de Le vent se lève). Sa patte apporte la touche suprême, cerise sur le gâteau d'un film qui mérite d'être redécouvert.

 
En bref : Réalisation française sortie avec dix ans d'avance sur la mode des adaptation de contes sur grand écran, Le Petit Poucet d'Olivier Dahan mérite d'être redécouvert pour son esthétique superbe (pensée par Régis Loisel, s'il vous plait) et sa poésie intemporelle. Ce film, qui n'a pas pris une ride, est porté par un casting plaisant, un ogre vraiment effrayant, et de jeunes acteurs touchants. Une madeleine de Proust à voir, revoir, et faire voir à ses enfants.
 
 

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