samedi 27 août 2022

Les aérostats - Amélie Nothomb.

Éditions Albin Michel, 2020 - Le livre de poche, 2022.
 
    "La jeunesse est un talent, il faut des années pour l'acquérir."
    Dans ce nouveau livre, la romancière se raconte à travers le personnage d’une étudiante bruxelloise. Les aérostats sont des aéronefs dont la sustentation est due à un gaz plus léger que l'air. Elle nous emmène pour la première fois dans son pays natal. Ange, 19 ans "mène une vie assez banale" et étudie la philologie. Après avoir répondu à une petite annonce, elle donne des cours de littérature à Pie, un lycéen de 16 ans dyslexique. La romancière souhaitait avec cette rencontre explorer comment deux "très jeunes gens, qui sont chacun à leur manière, très emprisonnés" peuvent s’aider à avancer. "Ange c’est moi à 19 ans" avoue Amélie Nothomb, qui confie avoir également été, au même âge, "terriblement sérieuse" comme son héroïne. "Elle a beaucoup de points communs avec moi" insiste-t-elle, en pointant notamment les études et les difficultés de la jeune femme à rencontrer des amis.
 
"Comme souvent, Amélie Nothomb évoque brillamment l’adolescence et ses tourments." (Libération).
 
"Elle demeure inspirée. Son imagination fertile se déploie dans le domaine du merveilleux fantastique." (Le Figaro).
 
"Amélie Nothomb conte avec cette légèreté féroce qui nourrit les plus drôles de ses romans." (Le Point).
 
 ***
 
    Cela fait bien quinze ans qu'on n'avait pas lu un Amélie Nothomb, depuis son Stupeur et Tremblements étudié au programme de notre année de seconde. Et pourtant, Amélie, on l'aime. Ou en tout cas, on adore le personnage : quelqu'un qui aime autant les chapeaux et le champagne ne peut susciter chez nous autre chose que de l'empathie, voire de l'adoration. Les aérostats, on l'avait repéré à sa sortie en grand format en 2020, notamment en raison de la thématique de la dyslexie, au centre du roman et évoquée dans plusieurs des synopsis alors croisés dans la presse ou sur la toile...
 

"À partir du vingtième siècle, l'héritage que nous laisse la génération précédente, c'est la mort. même pas la mort instantanée : Il s'agit de traîner une longue angoisse de cancrelat blessé avant d'être écrasé"

    Ange est une étudiante bruxelloise discrète en sous-location chez Donate, une jeune femme au caractère particulièrement lunatique. Ayant proposé ses services pour des cours particuliers, Ange est contactée par Grégoire Roussaire, un riche et irascible homme d'affaires, pour aider Pie, son fils adolescent dyslexique, dans ses devoirs. Lorsqu'elle met les pieds chez les Roussaire, la jeune fille découvre un univers où se côtoient méfiance et folie : le père semble détester son fils (voire le craindre) et espionne les cours du soir à travers une glace sans tain, la mère, quasi-absente, semble avoir une case en moins, et Pie, lui, est tout ce qu'il y a de plus désarçonnant. Perspicace, d'une grande finesse d'esprit mais aussi perpétuellement en colère contre une famille qui ne le comprend pas, le jeune garçon découvre au contact de sa nouvelle professeure l'amour (ou pas) de la littérature et des grandes œuvres classiques, voire un appel à la rébellion...
 
"— Les lecteurs de l'époque ont-ils boycotté l'Odyssée ?
— Au contraire.
— Comment peut-on le savoir ? A-t-on accès au palmarès des ventes du cinquième siècle avant Jésus-Christ ?"

    Sans perdre sa place de reine des lettres francophones, Amélie Nothomb semble susciter à chaque rentrée littéraire des avis mitigés : parcourez les avis des lecteurs sur Babelio, les forums, ou la blogosphère, vous y lirez tout et son contraire. Ici ceux qui vantent le talent inaltérable de l'autrice, là ceux qui lui reprochent d'être tombée dans la facilité depuis qu'elle s'est fait un nom. Difficile pour nous d'avoir un avis aussi tranché ou même très éclairé lorsqu'on n'a pas lu la moitié de sa bibliographie – ni tout simplement lu du Amélie Nothomb tout court depuis quinze ans.
 
Bruxelles by night.

"Vous et moi, nous sommes des êtres délicats, nés dans un peuple de brutes. C'est pour cela que nous sommes des solitaires."

    Cependant, peut-être Les aérostats n'était-il tout simplement pas le titre par lequel replonger dans l’œuvre de la célèbre écrivaine. Alors que nous avions été attirés par la thématique de la dyslexie, c'est justement le traitement de ce sujet en particulier qui fait quelque peu défaut au roman : vite expédiée et abordée sous un jour peu réaliste, elle aurait presque tendance à passer pour une vraie-fausse pathologie, et ce même si on est certain que ce n'était pas là le but de l'autrice. Déformation professionnelle de notre part (on vous rappelle que dans notre autre vie, celle qu'on mène quand on ne chronique pas des livres, on est justement confronté tous les jours au handicap) qui nous a peut-être empêché de passer la barrière du réel pour apprécier totalement la fiction.

"Je retournais dans ma chambre. Mieux qu'une solution de repli, celle-ci était le lieu de tous les possibles. Elle donnait sur le tournant du boulevard : j'entendais les trams négocier leur virage dans un crissement qui me séduisait. Couchée sur le lit, j'imaginais que j'étais un tramway, moins pour me nommer désir que pour ignorer ma destination. J'aimais ne pas savoir où j'allais."

    Car très rapidement, ce qui transparait dans ce livre, c'est que son autrice s'affranchit de tout ce qui fait la lourdeur du réel et du réaliste : l'ampleur de cette dyslexie autant que le caractère dysfonctionnel (quasi cartoonesque) de cette famille, le vocabulaire et les manières de ce jeune adolescent autant que la chute du roman. A tout cela, Amélie Nothomb préfère distiller une intrigue surréaliste (dans le sens artistique du terme) qui fait la part belle à la langue (le style est tout bonnement magnifique, précis et affuté comme une lame) et au charisme quasi-archétypal des protagonistes.
 
Bruxelles by night (bis).
 
"Ce qui est pire encore c'est de mépriser quelqu'un et de l'admirer en même temps. C'est aberrant mais possible."

    Si notre avis est donc mitigé, il n'en reste pas moins que la plume d'Amélie Nothomb est ensorcelante à plus d'un titre. Le ton autant que les ressorts de son intrigue sont aussi déroutants que féroces et nous invitent à poursuivre notre redécouverte de sa bibliographie dans un avenir proche.
 
"Tout grand texte contient une expiation et des meurtres."

En bref : Un roman qui peut laisser perplexe le lecteur dans le traitement de ses thématiques ou dans son dénouement, mais qui reste à découvrir pour sa qualité littéraire et pour ses personnages inattendus, comme échappés d'un songe grinçant.

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