My Darling Dreadful Thing, Poisoned Pen Press, 2024 - Éditions Hachette, Le Rayon Imaginaire (trad. de C. Desserrey), 2024.
L’étrangeté s’épanouit comme une fleur vénéneuse dans la vie de Rose :
affamée, maltraitée, forcée de mener pour la cruelle Mama des séances de
spiritisme où le surnaturel le dispute au sordide, elle n’a pour
réconfort que Ruth, un esprit-compagnon revenue du royaume des ombres
sur l’appel de son sang versé. Morte depuis des siècles, affectueuse et
tyrannique, cruelle et tendre, Ruth est son soleil noir et sa boussole,
son indéfectible amie. Leurs destins liés basculent lorsqu’une veuve
étrange et secrète les entraîne dans sa demeure isolée. Agnes, seule
entre tous à voir Ruth. Agnes, douce à aimer peut-être, alourdie d’un
chagrin, d’un secret, de chaînes qu’on pourrait briser ? Prenez gardes,
jeunes filles, si les esprits-compagnons sont votre consolation, ils
pourraient aussi être votre malheur. À moins que tout ceci ne soit que folie ?
Johanna van Veen, jeune pousse des lettres néerlandaises, signe ici un premier roman prometteur, entre gothique et horreur, romance, enquête psychologique et thriller. Inclassable et réjouissant.
Johanna van Veen, jeune pousse des lettres néerlandaises, signe ici un premier roman prometteur, entre gothique et horreur, romance, enquête psychologique et thriller. Inclassable et réjouissant.
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Avec sa couverture aux reflets métallisés carmin, on reconnait bien là le dernier né du Rayon Imaginaire : depuis quelques années, ce label des éditions Hachette s'est démarqué grâce à ses visuels à la fois épurés et incontestablement reconnaissables. Après le merveilleux de Golden Age (Fabrice Colin) et le fantastique philosophique de Sauvage (Joan Mickelson), nous sommes très heureux de découvrir ici une nouvelle pépite de cette collection.
Hollande, années 1950. Rose vit avec la terrible Mama, à qui son père l'a confiée plusieurs années auparavant avant de disparaître. Depuis lors, son horrible tutrice la contraint à se mettre en scène chaque jour devant les clients qui viennent la consulter dans le cadre de séances de spiritisme factices. Au cours de ces représentations, Rose doit jouer le rôle de la possédée et activer les différents mécanismes secrets permettant de faire croire à la manifestation des esprits. Pour autant, sa vie n'en est pas moins étrange : si aucun des spectres invoqués en séance n'est réel, Rose est en revanche accompagnée de Ruth, le fantôme d'une jeune fille devenu son "esprit-compagnon" et qui la possède de temps à autre pour donner aux clients le spectacle qu'ils sont venus chercher. Liées l'une à l'autre par un pacte que personne de saurait briser, Rose et Ruth se protègent et s'entre-aident comme un seul être. Un jour cependant, Agnès Knoop, une jeune veuve d'origine asiatique se présente chez Mama. Loin d'être dupe de la supercherie, la cliente s'intéresse en revanche tout particulièrement à Rose – et pour cause, elle aussi est en mesure de voir Ruth. Lorsqu'elle convie la jeune fille à devenir sa demoiselle de compagnie, Rose se persuade d'être enfin libérée des chaînes qui l'empêchaient jusque-là de s'épanouir. Mais c'est sans compter les mystères qui planent à La Roseraie, le manoir familial des Knoop. Entre les murs gorgés d'humidité et le domaine en plein délabrement, il est possible que le danger soit plus vivant que mort...
Première incursion du Rayon Imaginaire dans la littérature horrifique d'inspiration gothique, Les Possédées est le premier roman de Johanna Van Veen, jeune autrice néerlandaise que l'on devine passionnée de lettres britanniques. Titulaire (entre autres) d'une maîtrise en littérature anglaise, elle invite en effet dans son livre une atmosphère que n'aurait pas renié le Londres de l'époque victorienne. Car bien que l'intrigue se situe dans la Hollande des années 50, il est difficile, à la lecture, de se représenter un cadre spatio-temporel précis, l'histoire pouvant tout-à-fait prendre place dans l'Angleterre du XIXème siècle. Cette impression est fortement suggérée par les thématiques principales, le spiritisme en tête, ainsi que les nombreuses références au Tour d'écrou d'Henry James.
Pour autant, si Le tour d'écrou est souvent cité, ce n'est pas forcément à cette œuvre que l'on pense le plus au fil de la lecture. L'arrivée de cette jeune fille dans ce grand manoir, la veuve au passé trouble et le fantôme du défunt mari qu'entretient sa sœur à moitié folle, tout cela n'est décidément pas sans évoquer une version inversée de Rebecca ou de Jane Eyre, la présence des spectres décharnés en plus nous rappelant tout en même temps le Crimson Peak de Guillermo del Toro (qui avait d'ailleurs revendiqué les deux romans cités ci-dessus comme des influences majeures). La romance, tout d'abord subtile, tout juste perceptible, puis charnelle, qui se tisse progressivement n'est quant à elle pas sans rappeler l'univers de l'écrivaine Sarah Waters, grande autrice que l'on sait aussi férue d'ère victorienne que de ghost stories.
L'intelligente construction du roman vient semer le doute dans l'esprit du lecteur quant à la véracité des événements, faisant ainsi d'une histoire d'horreur un thriller à la dimension psychologique réussie. Au récit de Rose s'alternent des compte-rendus psychiatriques datés de quelques années plus tard, laissant entendre que la jeune fille a été internée dans l'attente d'un jugement pour meurtre. L'avis médical vient évidemment interroger sa santé mentale et sa prétendue capacité à voir les esprits. Le don de double-vue de Rose ne serait-il que la résultante d'un trouble schizophrénique ? Ou pire, un mensonge afin de pouvoir plaider la folie ? La double-temporalité du roman génère un effet particulièrement réussi de suspense, le lecteur désirant plus que tout connaître l'issue de l'affaire. En diagonale de ces récits qui s'entrecroisent pour mieux se réunir à la fin, plus que les fantômes réels ou imaginaires, Les Possédées nous invite à questionner la solitude des personnages comme creuset où faire germer les esprits-compagnons susceptibles de les aider à affronter l'adversité. Peut-être le deuil serait-il ainsi le véritable sujet du roman...
En bref : Au croisement d'un roman gothique victorien et d'un livre de Sarah Waters, Les Possédées, nouvelle pépite du Rayon Imaginaire, nous invite à frissonner autant de peur que de désir. Grâce à une double temporalité brillamment amenée, le texte instaure une tension dramatique qui tient le lecteur en haleine en même temps qu'elle l'amène à questionner la véracité des faits ainsi que la frontière entre réalité et folie. S'amusant à entremêler horreur, romance et fantastique, Johanna Van Veen parvient tout en même temps à nous toucher profondément en abordant la thématique douloureuse du deuil face à la solitude.
Un grand merci au Rayon Imaginaire pour cette découverte !
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