mercredi 7 novembre 2018

Les temps sont durs pour les fantômes - W.J.M.Wippersberg, illustré par Käthi Bhend-Zaugg

Schlechte zeiten fûr gespenster, Benziger Verlag, 1984 - Gallimard, folio cadet (trad. de J.Etoré), 1985.




  Bon sang de bon soir. Sera-t-il dit que personne dans cette épouvantable famille de fantômes n’est capable d’effrayer un humain, même un petit ? Ils nous prennent pour des moins que rien, pour des riens, pour des fous ou pour des chats, nous terribles esprits frappeurs, mais quand il s’agit d’avoir peur, rien, rien, de rien ! Ah, les temps sont durs pour les fantômes !



*** 



  Petit ouvrage dégoté pendant le déménagement d'une amie dont on s'occupait des cartons de livres (hum, comment ça, ça ne vous étonne pas?), Les temps sont durs pour les fantômes est un roman d'origine allemande de Walter Wippersberg, à la fois écrivain et metteur en scène de théâtre, de cinéma, et artiste-photographe autrichien. Auteur de deux essais et de quelques romans pour adultes, il s'est majoritairement consacré à l'écriture de scénarios et de littérature jeunesse, dont ce titre est le seul traduit en Français et son dernier jusqu'à son récent décès en 2016.

  L'histoire nous emmène à la découverte d'une famille de fantômes qui réside dans les ruines d'un château. Le père est esprit frappeur, la mère est une goule, le grand-père perd régulièrement sa tête décapitée, la fille Lili est impitoyable, et le fils Max a peur des humains. Lors d'une visite chez leurs cousins vampire, l'oncle Dracul et le père de Max, emportés par l'alcool (!), se lancent un défi : Max doit montrer de quoi il est capable et prouver qu'il sait faire peur aux humains. Panique à bord: voilà tout l'honneur de la famille qui repose sur les épaules du pauvre petit fantôme. Son père veut lui montrer l'exemple et l'emmène en apprentissage dans la ville voisine mais à l'évidence, plus personne n'a peur des esprits parce que plus personne n'y croit... Le ridicule s'abat sur la famille de spectres qui devient la risée des monstres du secteur. La grand-mère de Max tente elle-aussi de montrer la bonne marche à suivre à son petit fils, mais là encore, leur tentative est tournée en ridicule. Serait-ce la fin des fantômes? Sans parler du fait que le château familial, racheté par un entrepreneur, va être démoli pour être remplacé par un hôtel de luxe...

 Édition originale allemande et réédition actuelle nouvellement illustrée.

  Charmante petite surprise que ce roman tombé dans l'oubli et ce même s'il ne révolutionnera pas la littérature enfantine (il ne l'a d'ailleurs pas révolutionnée : doit-on juger que sa non-réédition depuis 1985 est la preuve d'un manque de succès de ce côté-ci du Rhin?). Pour autant, on a là quelques très bonnes idées que cette famille de revenants qui, finalement, évoquera au petit lecteur n'importe quelle famille ordinaire, de même qu'il pourra se reconnaître dans le personnage de Max. Les disputes des parents, les enfants qui détestent aller dîner chez leurs cousins aristos, la jalousie entre frères et sœurs, le souhait du père de voir son fils lui ressembler et faire honneur à la famille... Même la traduction porte de l'attention à la tournure des phrases (courtes, un peu saccadées, enfantines) pour évoquer le discours d'un enfant. Tout y est donc pour favoriser l'identification, même si l'ensemble est revu au prisme d'un univers fantastique.

Maman se maquille pendant que papa se plaint que tout le monde sera en retard au dîner : 
une famille très normale...

  Cela amène d'ailleurs à des éléments particulièrement drôles dès qu'une chose très commune, recontextualisée dans un mode de vie de vampire, monstre, ou revenant, prend tout de suite une dimension incongrue ( La famille de vampire qui a la bougeotte et se sent obligée de déménager "tous les 200 ans environ" car ne supporte pas de rester au même endroit trop longtemps, ou le grand-père fantôme qui n'a de cesse de parler de sa jeunesse... qui date des débuts du Moyen-Âge!). Les autres éléments humoristiques se situent dans la perte de crédibilité des fantômes auprès des humains : plus personne n'y croit, donc tout le monde les prends pour autre chose (comme des fous échappé d'un asile et habillés dans de grands draps blancs, par exemple).


  Néanmoins, quelques incohérences résident dans certains éléments propres à l'univers imaginé par l'auteur : ces fantômes sont cousins avec une famille de vampires (ce qui, même si on peut dresser un scénario possible pour l'expliquer, interroge quelque peu), les esprits semblent avoir une présence physique et matérielle qu'on ne prête qu'aux humains (ils peuvent boire, manger, et même ressentir les effets de l'alcool... et toucher et être toucher, sauf quand soudainement l'auteur change les règles parce que cela arrange son histoire). Le jeune lecteur, même le plus candide, notera certainement ces quelques contradictions.

Catalogue de jouets pour petits vampires : 
loup-garou en peluche (fourrure véritable), gonflable, ou électronique.


  Notons cependant une dimension illustrée tellement présente que le roman peut être qualifié de "graphique", le dessin complétant ou se substituant souvent au texte. Les illustrations, très amusantes, se présentent d'ailleurs comme des extraits de catalogues ou des notices d'utilisation propres au monde et mode de vie des monstres et fantômes, le tout joliment enluminé. Cette mise en images évoque beaucoup les illustrations de la série Les sorcières d'Astria, également allemande, et que les créateurs/éditeurs auront enrichie d'idées graphiques soufflées par ce roman. Une autre saga jeunesse à laquelle ce petit livre renvoie très fortement : la série du Petit Vampire, best-seller allemand écrit par Angela Sommer-Bodenburg, publiée en France par la bibliothèque rose de 1979 à 1989. Des personnages principaux plus humains que monstrueux, des univers très proches... W.Wippersberg cherchait manifestement à surfer sur la mode lancée par A.Sommer-Bodenburg! Ce roman de fantôme n'en a pas moins rencontré son public en Allemagne puisqu'il a même été adapté sur les écrans sous forme de supermarionation en 1989 (pour la définition du mot barbare, c'est ICI, et pour visionner le film en VO c'est ICI).

Le film adapté du roman.

En bref: Une histoire de gentils revenants qui permet l'identification du jeune lecteur. Une petite histoire fraîche et drôle dans un univers de monstres d'Halloween qui ne font pas peur, et qui évoque beaucoup la série du Petit Vampire d'A.Sommer-Bodenburg. A lire à vos petite têtes blondes par curiosité!

 

3 commentaires:

  1. Oh oui cela semble charmant bien que les dessins ne m'attirent pas trop....mais quand meme

    RépondreSupprimer
  2. L'extrait m'évoque "le fantôme de Canterville". Chouette découverte grâce à toi (et grâce à ton amie qui te laisse déménager ses caisses de livres sans crainte :)). Je me le note pour peut-être me lancer un défi fou, à savoir me donner un an pour le lire en allemand ! C'est amusant la réédition allemande qui passe des "Schlechte Zeiten" aux "Gute Zeiten". Je trouve pour ma part le cousinage avec des vampires amusant, même si c'est pour le moins étonnant. Dommage qu'il y ait des incohérences entre les passages où la famille interagit physiquement avec le monde des humains et ceux où elle présente des caractéristiques plus classiques !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne m'y connais pas en allemand, saurais-tu me dire quelle subtilité apporte le changement de titre de la réédition?
      C'est une gentille histoire de fantômes, ou une histoire de gentils fantômes, c'est selon ;)

      Supprimer