samedi 26 octobre 2019

Momies en folie (Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec #4) - Tardi.

 Casterman, 1978, 2009, 2018.

  Paris, 1912. Contactée par un certain Mouginot, Adèle Blanc-Sec a la surprise de voir disparaître peu après la momie égyptienne qui « ornait » son salon. Elle apprend bientôt que celles du Louvre sont pareillement portées manquantes. Elle échappe ensuite à plusieurs tentatives d'assassinat : sous l'horloge de la gare de Lyon, devant le buffet de la gare Montparnasse, à l'entrée de la chapelle de l'hôpital de la Charité et... à bord du Titanic ! Du Muséum national d'histoire naturelle au Cimetière du Père-Lachaise en passant par les catacombes, elle finit par se retrouver mêlée à de sinistres individus hantant les recoins les plus secrets du parc Monceau. 

***

  Après les trois premiers tomes des Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec, Tardi signe ici un quatrième et ultime volume dans ce qui constitue aujourd'hui un premier cycle dans les abracadabrantes histoires d'Adèle. 

  Quelques mois après l'affaire du pithécanthrope, Adèle se tient à bonne distance des monstres et des savants fous. Alors qu'une nouvelle menace se prépare au-dehors, elle reste confortablement installée à son bureau à taper à la machine un futur roman inspiré de ses propres mésaventures, tout en tapant (aussi) la causette (à sens unique) à sa "chère vieille peau", la momie ramenée d’Égypte par son arrière-grand-oncle et qui décore maintenant son salon. En parlant de momie, il se trouve justement que des corps fraichement assassinés et momifiés sont disséminés dans Paris sans que la police ne trouve d'explication à ces macabres mises en scène. Parallèlement, un jeune savant du nom de Mouginot entre en contacte avec la romancière : il a eu vent de l'affaire du pithécanthrope et aimerait qu'Adèle lui présente le professeur Dieuleveult, à qui il souhaiterait soumettre sa théorique méthode de retour à la vie récemment mise au point. Mais comme on l'a dit plus haut, Adèle en a sa claque des savants et envoie paitre le pauvre Mouginot, qui laisse néanmoins à la jeune femme sa carte et... une étrange statuette. Plus qu'étrange, cet artefact semble doué de propriétés diaboliques, notamment celle de ressusciter soudainement... sa momie!

Adèle écrit des romans... et cause à sa momie.

  Si tous les tomes de cette série témoignent jusque là d'une égale qualité, je dois admettre avoir une préférence pour ce quatrième opus, véritable festival à lui tout seul. Momies en folie voit tous les éléments qu'affectionne Tardi atteindre leur apogée, sorte de "clou du spectacle" avant le tomber de rideau. 

  Parmi les codes du roman populaire que l'auteur réemploie à sa sauce, la narration de Momies en folie offre un exemple particulièrement réussi de réappropriation : les cartouches narratifs sont plus présents que jamais, venant appuyer avec grandiloquence et à grand renfort d'effets stylistiques l'action mise en image (un procédé très caractéristique des feuilletons, comme on a pu le voir précédemment). Tardi y apostrophe même le lecteur à plusieurs reprises, le prend à parti, s'amuse avec lui, dans la continuité de cette "aise" qui s'était instaurée avec le tome précédent dans sa façon de développer ses scénarios. A la façon des péripéties parallèles de Adèle et la bête, Momie en folie voit se développer sous cette narration plusieurs intrigues simultanées qui finissent par se recouper, forçant Adèle à jouer de nouveau les détectives pour remonter les différentes pistes qui se présentent. Elle y arrive cependant moins bien que dans Le démon de la Tour Eiffel, tant la complexité des événements la laisse perplexe. Tardi s'amuse même à abattre ce qu'on appellerait au théâtre le "quatrième mur" en faisant dire à son héroïne "J'en ai assez des intrigues compliquées. Je me demande ce qu'en pensent les lecteurs...".

Quand la momie d'Adèle s'enfuit dans la nuit parisienne...

  A la façon des grands romans d'aventure qui lorgnent du côté des inspirations orientales – et comme il l'avait déjà un peu fait dans le tome 2 avec l'univers babylonien – Tardi pioche cette fois dans les mythes de l'Egypte ancienne (et emprunte aussi quelques ressorts scénaristiques à E.A.Poe), associés aux décors d'une géographie parisienne qu'il continue de nous faire visiter. Outre la pyramide du parc Monceau (où se clôturera cette histoire), on nous offre une charmante promenade illustrée à la recherche des monuments pseudo-égyptiens du Père Lachaise. Le coup de crayon très fidèle de Tardi nous emmène aussi dans les effrayantes catacombes parisiennes, auprès des différentes gares de la capitale, ou encore aux pieds des monuments jouxtant le Louvre.

  Nous l'avons vu dans les précédents volumes : l'auteur adore glisser des clins d’œil historiques dans sa BD. Après avoir mis en image des personnalités véridiques (ou des personnages inspirés de personnalités véridiques), il utilise cette fois des événements réels pour en faire, sous sa plume, des tentatives d'assassinat fictive à l'encontre de la pauvre Adèle. Ainsi, on apprend que le naufrage du Titanic était en fait un attentat déguisé en accident, destiné à tuer la romancière après qu'elle ait reçu une invitation à voyager à bord (fort heureusement, la jeune femme avait flairé le mauvais coup, ouf!). Autre fait-divers habilement détourné : l'accident ferroviaire de la gare de Montparnasse (immortalisé à travers de célèbres photographies et également mis en scène dans L'invention d'Hugo Cabret), auquel Adèle échappe là encore de justesse. 

 L'accident ferroviaire de la gare de Montparnasse : la réalité vs la BD.

  Toutes ces tentatives de meurtre trouveront leur source dans une fusion de deux sectes : les adorateurs de Pazuzu (encore lui! Eh oui, Tardi adore les come back, comme on le comprendra au fil de la série) d'un côté, et ceux de Satan de l'autre. Liés également à cette affaire et qui apparaissent très succinctement en fin de volume (au cours de quelques vignettes dont la narration et l'action semblent vouloir parodier les commentaires d'une course automobile) : les personnages issus d'une autre BD de Tardi, Le démon des profondeurs, one shot publié chez Dargaud en 1974. Le temps de ce qu'on appellerait aujourd'hui un court cameo, il a recours au cross-over bien avant que le terme ne soit utilisé en France.

Cross over et mise en abyme : Tardi pousse l'audace jusqu'à se glisser lui-même dans sa propre BD...

  Ce tome permet aussi au lecteur de passer plus de temps en tête à tête avec Adèle, retranchée dans son appartement pour éviter les ennuis qui la guettent dès qu'elle passe la porte de son immeuble (mais en même temps, elle l'avoue elle-même : dès qu'elle reçoit une invitation à un rendez-vous louche qui va probablement la mettre en danger, elle ne peut pas s'empêcher d'y aller, ne serait-ce que par curiosité). Clope au bec et les bottines allongées sur son bureau dans une position boudeuse, on l'accompagne dans ses réflexions et ses remarques tantôt ironiques tantôt caustiques sur le cour des faits. On réalise à quel point, face aux événements fantastiques ou paranormaux auxquels elle est perpétuellement confrontée, elle reste finalement très pragmatique. Peut-être même est-ce cette distance, cette appréhension tellement terre à terre des choses qui nous la rend si sympathique en dépit de son air perpétuellement revêche. Revêche? Tout le temps? Nous qui la connaissions si solitaire, on la voit quand même se réveiller un matin sobrement vêtue d'une robe de chambre chez le savant Mouginot! Aventure d'un soir? Rien n'est véritablement confirmé et peut-être s'agit-il juste d'une interprétation mais en tout cas, c'est une théorie soulevée par l'auteur Nicolas Finet dans son ouvrage analytique Le livre d'Adèle. 


  La fin de ce tome amène aussi (attention, spoiler) la fin... d'Adèle. Même si un retour parait envisageable (peut-être l'auteur veut-il déjà se laisser une éventuelle ouverture narrative pour revenir à Adèle plus tard, mais il semble pour l'instant décidé à faire une pause avec ce personnage), c'est le premier tome de la série à ne pas annoncer le titre du prochain épisode. Momies en folie s'achève sur le corps cryogénisé de l'héroïne tandis que la Grande Guerre commence au-dehors et que le mot "Fin" clôt l'album dans une gravité qui, pour la première fois, n'est pas feinte. 

... Mais qui sera de courte durée, on vous rassure...

En bref : Momies en folie clôture en apothéose le premier cycle des aventures d'Adèle se déroulant à la Belle Époque. Une narration maîtrisée, des rebondissements osés, et toujours cet humour unique, entre le cocasse des situations et le regard pragmatique que vient y poser une héroïne haute en couleurs. On adore!



Et pour aller plus loin...



- Découvrez toute la série :



http://books-tea-pie.blogspot.com/2019/10/adele-et-la-bete-les-aventures.htmlhttps://books-tea-pie.blogspot.com/2019/10/le-savant-fou-les-aventures.html

https://books-tea-pie.blogspot.com/2019/11/le-secret-de-la-salamandre-les.html

4 commentaires:

  1. Si c'est un festival, celui-ci me plairait bien...
    Syl.

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    1. Personnellement, c'est mon préféré ! Le truc, c'est que les tomes de cette série ne peuvent pas trop se lire individuellement étant donné que tout se suit :/

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  2. Si après la lecture de tes billets, je n'emprunte pas le premier tome lors de ma prochaine visite à la médiathèque, ce sera de la faute de ma tête percée, je suis bien tentée! ;)

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    1. J'espère que tu aimeras autant que moi malgré le ton atypiques de cette série. :)

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