dimanche 5 septembre 2021

Elémentaire, mon cher Voltaire (Voltaire mène l'enquête #5) - Frédéric Lenormand.

Éditions J.C.Lattès, 2015 - Le masque, Le livre de poche, 2016.



    Qui en veut à la marquise du Châtelet ? Sa servante assassinée, la voilà aux prises avec la police. Voltaire vole à son secours pour dénouer une intrigue où s’entremêlent la couture, l’horlogerie et le commerce des poupées. Prêt à tout, virevoltant, multipliant les mots d’esprit, notre San Antonio des Lumières nous entraîne une nouvelle fois dans une folle sarabande. Depuis les salons parisiens jusque dans les taudis sous les ponts de la Seine, il déjoue la mécanique du crime, tire son épingle du jeu et démontre une fois de plus que, pour un philosophe comme lui, découvrir la vérité n’est qu’un jeu d’enfant.
 
 
***
 
 
    Voilà un petit temps qu'on n'avait pas pioché dans notre PAL (Pour les néophytes : Pile à Lire) voltairienne : bien qu'on ait rattrapé la publication des Enquêtes de Voltaire, série dérivée du même auteur sous forme de novellas, on reste furieusement en retard dans notre lecture de sa série souche chez Lattès : Voltaire mène l'enquête. Après un quatrième tome délicieusement gastronomique dévoré il y a deux ans déjà, on reprend la saga avec ce cinquième opus au titre furieusement holmésien...
 

"Un cadavre, un philosophe, c'était trop, il fallait se débarrasser de l'un des deux, et Voltaire était plus néfaste que les morts, il bougeait davantage."

    On y retrouve un Voltaire en fuite depuis la publication de ses Lettres anglaises, l'objet du délit le forçant à se tenir éloigné le plus possible de Paris et de sa Bastille. Réfugié depuis quelques temps au château de Cirey, propriété de la marquise du Châtelet, le philosophe y est sous bonne garde : sa muse et compagne le sait impétueux et frondeur, elle veille donc à ce que domestiques et cuisiniers ne le quittent pas d'une semelle, afin d'éviter de sa part tout geste ou publication risquant de le mettre en danger. Mais voilà : Voltaire s'ennuie. Et, plus que tout, il sait sa chère et tendre Émilie occupée à Paris à des expériences scientifiques avec le mathématicien Maupertuis, un savant dont la connaissance des chiffres n'a d'égale que sa tendance au libertinage. Vite, il faut aller la sauver des mains baladeuses de cet impertinent ! Grâce à un audacieux subterfuge, Voltaire parvient à s'enfuir de Cirey et à regagner Paris... où un meurtre l'attend. En effet, à l'hôtel particulier de la marquise, le corps d'une petite bonne est retrouvé dans le placard des cuisines. Émilie est embarquée manu militari par le lieutenant de police Hérault pour un interrogatoire sous haute surveillance, avant qu'on comprenne finalement qu'à défaut d'être une meurtrière, c'était peut-être elle la potentielle victime visée par cet assassinat. La marquise est donc gardée au frais par un Hérault transit d'amour depuis qu'il a vu les chevilles de la noble scientifique, laquelle n'est pas mécontente de voir arriver son fripon de philosophe pour la sortir de là. L'amateur de lettres anglaises, obligé de se cacher sous le costume d'une vieille veuve pour rester incognito, mène donc l'enquête de concert avec la Divine Émilie et ce diable de Maupertuis pour résoudre le crime. Leur seul indice ? Une maison de poupées livrée chez la marquise et contenant de multiples pièges et mécanismes mortels...
 
"Elle sentit qu'on allait lui causer des tracas. Il existait deux méthodes : celle des marquises consistait à prendre de haut, celle de Voltaire nécessitait une porte, une fenêtre, ou toute autre ouverture donnant sur l'arrière de la maison."
 

"Dès son retour, Émilie avait recommandé aux domestiques de ne plus mourir chez elle, cela ne lui attirait que des tracas."

    On retrouve dans Élémentaire, mon cher Voltaire l'univers des Lumières reconstitué made in Lenormand, avec toute sa verve, son esprit et son humour. On s'y plonge comme on rentre chez soi après un long voyage, on y rejoint le cercle du philosophe et de la marquise comme on y retrouverait des amis chers. Des amis fantasques qui joueraient une pièce de théâtre en miniature, entre intrigue et vaudeville...
 
Le Châtelet, à Paris.
 
"— Pourquoi ne cessez-vous pas de produire cette littérature inutile?
— L'art est inutile mais il est indispensable, répondit Voltaire."
 
    Fidèlement à ses précédents opus, l'auteur s'inspire d'un contexte historique tout ce qu'il y a de plus véridique lié à la biographie de Voltaire, puis le pimente d'un meurtre et de quelques rocambolesques aventures, toujours prétextes à mettre en scène la société, les us et les coutumes du XVIIIème (à moins que ce ne soit l'inverse). Outre nos héros habituels, on croise donc ici moult personnages ayant réellement existé, de la marquise du Deffand au comte d'Argental en passant par le ministre François Victor de Breteuil (cousin d’Émilie), le célèbre penseur Montesquieu, et Jacques Vaucanson, expert en mécanique qui avait tout du personnage de roman...

 Jacques Vaucanson, expert en mécanique et créateur d'automates...
 
"Il ne fallait pas rire des rêveurs : ils se transforment parfois en visionnaires, d'aucuns écrivaient même des traités d'un modernisme magistral."

    On suit Voltaire faisant du porte à porte auprès de cette galerie de grands et petits personnages, se cherchant un abri discret pour enquêter à Paris en secret avant de se résoudre à porter robes et dentelles pour passer inaperçu sous les traits d'une veuve inoffensive. Quelques années avant Loulou Chandeleur, Frédéric Lenormand mettait donc déjà en scène un enquêteur forcé de troquer les pantalons contre les jupes pour investiguer sans se faire repérer. Mais voilà : Voltaire n'étant pas d'une nature discrète, le subterfuge est surtout propice à des scènes et des dialogues toujours plus cocasses, comme le romancier en a le secret.
 
Poupée de mode du XVIIIème siècle.
 
"Ce dernier découvrait avec ravissement que les fanfreluches pour dames pouvaient être aussi seyantes que celles dont il avait l'habitude. Le corset vous faisait une taille de guêpe que vous n'aviez plus depuis l'époque de vos études chez les jésuites."

    L'intrigue policière est complexe et parfois capillotractée mais rappelons-nous qu'en fait de polar au sens stricte du terme, Voltaire mène l'enquête est avant tout une série de pastiches qui se savoure pour son personnage et pour son style. Le scénario est sujet à nous immerger dans l'univers des artisans et fabricants de maisons de poupées et autres miniatures, en particuliers des poupées de mode. Habile et intelligente façon de faire connaître les créations des modistes au-delà des frontières, les poupées de modes portaient en modèle réduits les tenues des grands couturiers afin que de potentiels client puissent passer commande de la robe grandeur nature. Faisant d'une de ces poupées un objets criminel, F.Lenormand élargit son intrigue à l'univers des automates, lesquels faisaient fureur au XVIIIème siècle et dont on imagine aisément les nombreux détournements meurtriers possibles (un ressort scénaristique qu'il utilisera à nouveau quelques années plus tard dans Panique à Rouen).
 
 Vaucanson et ses automates...

    "Les créatures de ce petit laboratoire de l'enfer étaient des appareils à commettre des meurtres. S'agissait-il d'un armement sophistiqué destiné à tuer à distance ? Cela n'avait pas de sens : qui songerait à assassiner les gens avec des poupées ?
— Le directeur du séminaire de Rouent, répondit Linant. Il nous disait toujours : "Méfiez-vous des jolies poupées!" Je comprends à présent ce qu'il voulait dire.
    Ce qu’Émilie ne comprenait pas, c'était la propension des génies comme Voltaire à s'entourer d'abrutis. Ce phénomène la dépassait."
 
En bref : Une nouvelle enquête virevoltante de Voltaire comme on les aime (mais est-on encore impartial?), sujette à nous faire découvrir les petites curiosités du XVIIIème siècle qui font tout le sel de cette série. Il nous tarde déjà de retrouver le philosophe et sa divine marquise dans un prochain titre.
 
 
    "Ils découvrirent un tiroir à fermeture qu'ils eurent envie d'ouvrir.
— Il faudrait forcer délicatement cette serrure avec l'aide d'un passe, dit Émilie. Si vous me trouviez une baguette en fer assez fine je devrais pouvoir la tordre...
    Ils s'écartèrent juste à temps pour laisser l'abbé, armé d'une hache, fondre avec un cri de guerre sur le tiroir, qu'il fendit de telle manière que la serrure sauta en l'air.
— Ou alors on peut tout casser, conclut Voltaire." 
 
*
 
Et pour aller plus loin...
 
-Découvrez la série originale de F.Lenormand chez Lattès, Voltaire mène l'enquête : le tome 1 ICI, tome 2 ICI, le tome 3 ICI, le tome 4 ICI, et les autres à venir...
 

-Lisez les autres novellas des Enquêtes de Voltaire: à Londres ICI, à Dieppe ICI, à Rouen ICI, à l'Académie française ICI...

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