lundi 27 janvier 2020

Meurtre à l'anglaise (une enquête de Voltaire) - Frédéric Lenormand.

Amazon independant publishing, 2016.

  1726. Voltaire a traversé la Manche après un nouveau séjour à la Bastille à cause d’une fâcheuse histoire de coups de bâton assénés sur sa perruque à bouclettes. Miracle ! Il découvre à Londres une société idéale fondée sur le droit, sur le respect des concitoyens et des libertés publiques ! Hélas, comme aucun bonheur parfait ne saurait durer longtemps, les cadavres ne tardent pas à tomber autour de ses dentelles. Contraint à remonter ses finances, il accepte une place de conseiller auprès d’un policier britannique. Le voilà en visite dans tous les endroits louches de la capitale, dans les ruelles mal famées, dans les coffee-houses, dans les clubs les plus sélects, dans les manoirs des duchesses, dans les théâtres où Macbeth succède à Hamlet, plus déterminé que jamais à faire la lumière sur les turpitudes de son siècle, qu’elles soient saupoudrées d’arsenic ou nappées de sauce à la menthe.

  Avec cette novella, Frédéric Lenormand poursuit les aventures policières de son célèbre détective en perruque poudrée, digne prédécesseur d'Hercule Poirot. 

***

  En retard, on est en retard! Alors qu'une toute nouvelle enquête de Voltaire (Comment entrer à l'Académie en évitant les balles) vient de paraître, on n'a pas encore eu le temps de vous parler de cette novella, parue en 2016 et lue l'an dernier.

"Depuis son premier séjour à la Bastille et l'abandon du nom d'Arouet, Voltaire avait l'habitude de s'inventer des pseudonymes dans les endroits désagréables. Soucieux de ne pas compromettre par sa misère momentanée la plus belle signature de la littérature française, il se fit inscrire sous le patronyme passe-partout de "comte Hercule de Perrault"."

"— Un visiteur pour Mister Poirot! annonça l'aubergiste avec une distinction pas du tout irréprochable.
— Perrault! C'est "Hercule de Perrault"! Croit-on qu'il me viendrait à l'esprit de m'affubler d'un nom ridicule? s'exclama Voltaire.

  Habitués que nous sommes à suivre les investigations d'un Voltaire d'âge mûr dans la série Voltaire mène l'enquête publiée chez Lattès, on en oublierait presque que le philosophe a été jeune. D'ailleurs, qu'il s'agisse d'Histoire ou de littérature romanesque, on oublie toujours que Voltaire ait pu un jour être jeune, lui qui est toujours représenté vieillissant, amaigri et coiffé de sa perruque à boucles blanches. Les novellas de Frédéric Lenormand faisant office de préquelles, elles nous emmènent à la rencontre du philosophe tout juste trentenaire. Trentenaire, mais égal à lui même : nous sommes en 1726 et Voltaire vient de sortir de la Bastille, où on l'avait enfermé parce qu'il réclamait un peu trop justice après s'être fait bastonné par le Chevalier de Rohan. Cet épisode réel de la vie de l'écrivain et son départ pour la Perfide Albion offrent à Frédéric Lenormand de la belle matière pour une fiction policière.

 Voltaire à la Bastille composant la Henriade (qu'il essayera de vendre et diffuser une fois en Angleterre).


"Lord Bolingbroke avait sa résidence dans le quartier de Pall Mall et sa campagne à Dawley dans le Middlesex.
— Ce qui ne veut pas dire "le sexe du milieu" précisa le policier.
— Bien sûr, il n'y a pas de sexe du milieu, dit Voltaire en rajustant devant le miroir ses épais rouleaux de cheveux et le mouvement de ses dentelles."

  Liberté d'expression et science newtonienne attendent notre philosophe sur la terre promise d'Angleterre : enfin un pays de tolérance où l'on ne tape pas sur les auteurs! Dans le but de trouver des investisseurs pour faire imprimer son prochain livre, Voltaire en fait des tonnes avec tout le monde et n'a de cesse de louer chez les Anglais tout ce qui fait défaut aux Français. Enfin, Voltaire étant doué pour s'attirer des ennuis (dans la fiction comme dans la vie), pas sûr qu'il trouve l'herbe plus verte outre-Manche bien longtemps...

"— Tant de cultures différentes cohabitent dans votre pays, et pourtant vous vous aimez les uns les autres, malgré vos opinions divergentes!
— Détrompez-vous, nous nous détestons. Mais après tant de massacres, nous avons décidé de ne plus nous entretuer et nous nous tolérons.
  La tolérance! Quelle belle idée! Cela consistait à se détester sans s'étrangler!"

  Avec Meurtre à l'anglaise, Frédéric Lenormand nous montre une fois encore tout le potentiel romanesque et fantaisiste qu'on peut tirer de l'Histoire. Grâce à des connaissances doublées d'une bonne dose de talent, il parvient à réemployer pour les besoins de sa novella tellement d'éléments issus de la réalité historique qu'on ne sait plus distinguer le vrai du faux. D'ailleurs, on s'en moque : tout fait superbement illusion et c'est très bien. Pour l'anecdote et afin de corroborer nos dires, on vous renvoie à l'extrait des vrais mémoires de Voltaire publié en postface : le philosophe y raconte un fait-divers aussi sanglant qu'incroyable (mais vrai) qu'a fort bien exploité Frédéric Lenormand pour les besoins de sa fiction.

 Théâtre anglais au XVIIIème siècle.

"— Mais qu'est-ce que c'est que ces promontoires? demanda Voltaire.
— Cela sert à trotter.
— Quelle merveilleuse invention! Nous devons absolument importer ces "trottoirs" à Paris dès que nous aurons décidé d'empierrer la chaussée."

  S'amusant à travers son personnage de comparaisons comiques entre la culture française et la culture anglaise (leur nourriture, leur littérature, leur théâtre... mais aussi leur roi, leur police ou leurs criminels), on laisse F.Lenormand et Voltaire nous emmener dans cette promenade londonienne mieux que dans n'importe quel City Tour en bus à étage. Du Théâtre de Drury Lane aux manoirs perdus dans la lande, on flirte tantôt avec Shakespeare, tantôt avec le gothique anglais (certains personnages sembleraient presque être des clins d’œil aux œuvres de Stevenson, Wilde ou Stocker), sans oublier les notes d'humour comme seul l'auteur sait en glisser, puisqu'il sera même question... des Beatles!

"Voltaire descendit la rue et cria aux porteurs qui le suivaient de se hâter :
— I've got a ticket to ride!"

En bref : Des trois novellas qui font voyager Voltaire dans sa jeunesse (prochains arrêts : Dieppe et Rouen) parues à ce jour, Meurtre à l'anglaise est à la fois la plus réussie tout en étant la plus fantaisiste. Bijou d'humour, ce roman allie à merveille la drôlerie qu'on connait à cette série et à la plume de l'auteur avec l'esprit so British de circonstance! 

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