dimanche 22 octobre 2023

Buffy, baroque épopée - Fabien Clavel.

Editions Mnémos, 2023.

    Buffy contre les vampires (1997-2003) est un mystère. D’un côté, depuis vingt ans, des téléspectateurices enthousiastes font de cette série féministe, portée par un groupe de personnages hyper attachants, un jalon des cultures de l’imaginaire. De l’autre, beaucoup plissent le nez devant des épisodes kitsch, étranges, ironiques, sans comprendre d’où vient cet engouement. Cet essai, l’un des tout premiers en français consacrés au sujet, se propose d’élucider ce mystère. La série repose en effet sur une tension originale entre un aspect épique (Buffy, une héroïne, lutte contre les forces du mal) et un aspect baroque (tout est instabilité, mouvement, métamorphose et illusion dans Buffy, notamment à travers la figure du vampire). Il semble que ce soit ce second aspect qui déroute bon nombre de personnes. En même temps, cette esthétique est aussi ce qui assure la profondeur, la richesse et la complexité de la série. Tenons-nous-le pour dit : Buffy est à la fois baroque et épique. Une baroque épopée.
 
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    De Fabien Clavel, nous connaissions les romans et la prolifique bibliographie. Il y a un peu plus d'un an, nous partagions notamment avec vous notre lecture de La revanche des Méchants, qui s'amusait avec audace et originalité des codes et symboles du conte de fées. Fantasy, bit-lit, science fiction... littératures de genre et littératures de l'imaginaire sont ses terrains de jeu favoris. Ses inspirations ? Elles sont multiples, mais allez donc fouiller sur le net à la recherche d'anciennes de ses interviews, ou traquer les clins d’œil et les références disséminés dans ses livres : vous trouverez souvent évoquée la populaire série de Joss Whedon, Buffy contre les vampires.
 

    Buffy, c'est à fois une madeleine de Proust pour beaucoup de téléspectateurs et une série qui a su rester furieusement actuelle. Pourquoi ? Parce qu'outre le concept du "démon de la semaine", elle était l'une des premières série à s'élaborer autour d'axes narratifs plus longs, complexes et fouillés, sujets à enrichir une vraie mythologie. Parce qu'elle renversait les codes classiques du film d'horreur (la blonde n'était plus la victime, mais la chasseresse). Parce que c'était à fois sombre, furieusement drôle, et intensément psychologique. Souvent évoquée comme une série d'avant-garde, notamment pour son propos féministe avant-l'heure, Buffy a généré outre-Atlantique tout un courant d'études académiques dans le champ universitaire lié à l'analyse culturelle et fictionnelle : les Buffy studies.


    En France, à part quelques articles dans des revues spécialisées, autant dire que les Buffy Studies sont quasi-inexistantes. Par ailleurs, quand la série est décortiquée, c'est le plus souvent à la lumière de l'analyse sociale. Avec Buffy, baroque épopée, premier essai francophone sur la célèbre tueuse de vampires, Fabien Clavel propose une étude calquée sur les principes de l'analyse littéraire. Son présupposé ? Buffy tient à la fois de l'épopée et se réclame d'une inspiration baroque (oui, rien que ça). Pour le prouver, il s'est lancé dans un énième visionnage complet de la série et, armé de son bloc-note, a chassé les indices comme Buffy, les démons. Quoi de plus facile, nous direz-vous, pour un ancien professeur de littérature... 
 
 
    Dans une première partie, l'auteur s'attache à démontrer la dimension épique de la série, puisant pour cela ses exemples et les potentiels modèles au Buffyverse dans les épopées antiques. A la lumière de ses allers et retours entre la création de Whedon et les grands récits mythologiques, Fabien Clavel parvient à révéler le parcours de Buffy à l'aulne des voyages de grands héros tels qu'on en croise dans l'Odyssée ou l'Eneide. Si les récits antiques constituent un premier point de comparaison, Fabien Clavel élargit par la suite son propos aux textes bibliques et aux mythologies nées de courants littéraires ultérieurs. Puis l'auteur s'amuse à disséquer la question des genres et des registres dont se réclame la série : fantasy urbaine ? horreur ? Science fiction ?... Comédie musicale ? Ou comédie tout court ? Ni tout à fait ça, et en même temps tout cela à la fois, Buffy se dévoile à la fois complète et complexe. Ce trouble dans le genre, comme le nomme si bien l'auteur, est par ailleurs le temps de quelques chapitres le tremplin à une lecture quasi-psychanalytique de la série et de ses personnages. La dimension baroque est analysée en dernière partie, à la fois la plus aboutie et la plus passionnante de l'ouvrage à notre sens. Esthétique, métamorphose, faux-semblants ou encore architecture du récit à l'échelle des sept saisons sont passés à la loupe par l'auteur pour étayer sa thèse.
 

    Si le concept de cet ouvrage vous effraie, laissez vos inquiétudes à la porte : Buffy, baroque épopée se savoure comme un bon film. Tout d'abord parce que Fabien Clavel instaure d'emblée une atmosphère de camaraderie par ses apostrophes au lecteur (qu'il tutoie à de nombreuses reprises dans le corps du texte ou en note de pas de pages), n'hésitant pas à glisser ici ou là quelques traits d'humour. Ensuite parce que les scènes ou les exemples tirés de la série font surgir une explosion d'images, quand les dialogues relatés ne font pas résonner à nos oreilles les voix des comédiens. En dépit de l'approche très intellectuelle qui pourrait rebuter de potentiels lecteurs, Fabien Clavel nous prend par la main et nous emmène en terrain connu, ce qui rend la totalité de son propos totalement accessible même aux moins familiers de l'analyse littéraire. Le tout, à la fois distrayant et très érudit, témoigne de l'imaginaire collectif immémorial qui précède à toute bonne histoire pour peu qu'on sache les raconter, telle que Whedon et son équipe ont su le faire avec Buffy.
 

En bref : Analyser une série populaire par le filtre de l'analyse intellectuelle, traiter la pop culture comme n'importe quelle culture, c'est le défi relevé ici par Fabien Clavel. Premier essai de l'auteur et à la fois premier essai francophone sur le Buffyverse, Buffy, baroque épopée s'affranchit des autoroutes bien fréquentées en matière d'analyse de l'iconique série de Joss Whedon et privilégie une lecture inspirée de l'approche littéraire. En montrant que Buffy tient autant des grands récits épiques que du mouvement baroque, Fabien Clavel apporte sa pierre à l'édifice des Buffy studies avec un texte de haute volée qui ne détonnerait pas dans une publication universitaire.

1 commentaire:

  1. Fan de la série, j'ai aussi acheté ce livre mais je n'ai pas encore pris le temps de le lire :D

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