" Bienvenue chez moi ! Entrez librement et de votre plein gré (...). Entrez librement et sans crainte. Et laissez quelque chose de ce bonheur que vous apportez."
C'est avec ces quelques mots que le comte Dracula accueille Jonathan Harker, clerc de notaire, lorsque ce dernier se présente à sa porte, par une sombre nuit succédant aux fêtes de Walpurgis. Ainsi, en ce jour tout aussi symbolique de Samain, nous vous proposons, tout comme le jeune Harker, de franchir le seuil de son château.
Mais d'ailleurs, sommes-nous sur ses terres natales des Carpates ou quelque part dans l'une des ses acquisitions anglaises, à Carfax,Whitby ou Exeter ? Peu importe, le mal est là, en sa demeure. Animal sauvage, brume ou brouillard, "présence obsédante", comme le décrira si bien Wilhelmina Murray, épouse Harker, au terme de leur aventure, il est là. Ou il fut.
Autel à la gloire du monstre, musée des horreurs de cette sombre histoire ou tout simplement vestiges d'une affaire classée, nous avons-là de quoi évoquer sa mémoire. Sur une tapisserie évoquant quelques motifs à la William Morris pervertis (ou légèrement corrigés, dirons-nous) se dressent quelques humbles témoignages d'une aventure qui, à la fin du XIXème siècle, aurait pu faire passer les crimes de Jack l'éventreur pour une simple anecdote.
"Le comte gisait là, mais il paraissait à moitié rajeuni, car ses cheveux
blancs, sa moustache blanche étaient maintenant d’un gris de fer ; les
joues étaient plus pleines et une certaine rougeur apparaissait sous la
pâleur de la peau. Quant aux lèvres, elles étaient vermeilles que
jamais, car des gouttes de sang frais sortaient des coins de la bouche,
coulaient sur le menton et sur le cou. Les yeux enfoncés et brillants
disparaissaient dans le visage boursouflé. On eût dit que cette horrible
créature était tout simplement gorgée de sang."
Apparence physique et localité laissent à penser qu'en l'étrange personne du comte Dracula se cache ni plus ni moins que le terrifiant Vlad Tepes, seigneur des Carpates, qui fit couler autant d'encre que de sang. Aussi la présence en ces murs de ce portrait du prince sanguinaire de Valachie n'a-t-elle rien de surprenant. Impossible, dîtes-vous ? Tout porte pourtant à le croire. Quant à savoir par quel miracle (ou quelle malédiction), le triste sire en est venu à gagner l'immortalité, c'est une autre histoire...
"Mon ami,
Soyez le bienvenu dans les Carpates. Je vous attends avec
impatience. Dormez bien cette nuit. La diligence part pour la Bukovine
demain après-midi à trois heures ; votre place est retenue. Ma voiture
vous attendra au col de Borgo pour vous amener jusqu’ici. J’espère que
depuis Londres votre voyage s’est bien passé et que vous vous
féliciterez de votre séjour dans mon beau pays.
Votre ami,
DRACULA"
Cette lettre tout à fait cordiale attendait le jeune Harker à l'hôtel de la Couronne d'Or, l'une de ses premières étapes sur la route menant au château du comte. Laissée à son attention par Dracula lui-même, elle est à ce jour le seul témoignage que nous ayons de sa personne, la seule trace palpable qu'il ait laissée. Peut-être aussi la seule qui nous invite à croire que cette étrange affaire est tout ce qu'il y a de plus réelle et qu'elle ne se résume pas à une de ces hystéries collectives dont ne cessent de parler tous ces aliénistes...
"Journal du Dr Seward
5 juin
Le cas de Renfield devient de plus en plus intéressant au fur et à
mesure que je comprends mieux l’homme. Sont très développés chez lui :
l’égoïsme, la dissimulation et l’obstination. J’espère arriver à saisir
pourquoi il est à ce point obstiné. Il me semble qu’il s’est proposé un
but bien défini, mais lequel ? Cependant, il aime les animaux, bien
qu’il y ait sans doute une étrange cruauté dans cet amour qui va à
toutes sortes de bêtes différentes. Pour le moment, sa manie est
d’attraper les mouches. Il en a déjà une telle quantité qu’il m’a paru
indispensable de lui faire moi-même une observation à ce sujet. À mon
grand étonnement, il ne s’est pas mis en colère, comme je le craignais,
mais, après avoir réfléchi quelques instants, il m’a simplement demandé
sur un ton fort sérieux :
— Vous m’accordez trois jours ? En trois jours, je les ferai disparaître."
Confrère de Jonathan Harker, Renfield a rencontré le comte plusieurs semaines avant le jeune clerc de notaire. Le pauvre homme en est revenu changé : de retour en Angleterre, il est désormais interné en asile psychiatrique pour son comportement des plus déroutants et son obsession des insectes. Et si Dracula n'était pas tout à fait innocent à cet état ?
"Tout en parlant, il me tendit trois feuilles de papier et trois
enveloppes. C’était du papier très mince et, comme mon regard allait des
feuilles et des enveloppes au visage du comte qui souriait
tranquillement, ses longues dents pointues reposant sur la lèvre
inférieure très rouge, je compris, aussi clairement que s’il me l’avait
dit, que je devais prendre garde à ce que j’allais écrire car il
pourrait lire le tout. Aussi, décidai-je de n’écrire ce soir-là que des
lettres brèves et assez insignifiantes, me réservant d’écrire plus
longuement, par après et en secret, à M. Hawkins ainsi qu’à Mina. À
Mina, il est vrai, je pouvais écrire en sténographie, ce qui, et c’est
le moins qu’on puisse dire, embarrasserait bien le comte s’il voyait cet
étrange griffonnage. J’écrivis donc deux lettres, puis je m’assis
tranquillement pour lire, tandis que le comte s’occupait également de
correspondance, s’arrêtant parfois d’écrire pour consulter certains
livres qui se trouvaient sur sa table. Son travail terminé, il prit mes
deux lettres qu’il joignit aux siennes, plaça le paquet près de
l’encrier et des plumes, et sortit. Dès que la porte se fut refermée
derrière lui, je me penchai pour regarder les lettres. Ce faisant, je
n’éprouvais aucun remords, car je savais qu’en de telles circonstances,
je devais chercher mon salut par n’importe quel moyen."
Wilhelmina Murray, surnommée Mina, promise de Jonathan Harker. Fleur de printemps tout juste sortie de l'adolescence, cette jeune préceptrice attend chacune des lettres de son fiancé avec impatience, sans imaginer l'horreur qui se prépare. Convoitée par Dracula, on a longtemps spéculé sur les causes de cet intérêt porté à la jeune femme par le vampire. Simple hasard ? Certains ont pu supposer qu'elle serait la réincarnation de la défunte épouse du comte, du temps où il était encore le tyran des Carpates. Rien n'est moins sûr.
"Comme je ne sais trop ce qu’il faut penser de tout cela, j’ai fait ce
qu’il me semblait le plus indiqué : j’ai écrit à mon vieil ami et
maître, le professeur Van Helsing, d’Amsterdam, grand spécialiste des
maladies de ce genre (...). Il peut, en certaines circonstances, paraître
despotique, mais cela tient au fait que, mieux que personne, il sait ce
dont il parle. C’est en même temps un philosophe et un métaphysicien,
réellement un des plus grands savants de notre époque. C’est, je crois,
un esprit ouvert à toutes les possibilités. De plus, il a des nerfs
inébranlables, un tempérament de fer, une volonté résolue et qui va
toujours au but qu’elle s’est proposé, un empire admirable sur lui-même,
et enfin une bonté sans limite, telles sont les qualités dont il est
pourvu et qu’il met en pratique dans le noble travail qu’il accomplit
pour le bien de l’humanité."
Pour autant, c'est Lucy Westenra, meilleure amie de Miss Mina, qui est la première victime de la créature dès lors qu'elle a posé le pied sur le sol anglais. Soudain anémiée et sensible à la lumière du soleil, la pauvre enfant, fraîchement fiancée, se meurt peu à peu. Afin d'élucider le mystère de cette mystérieuse maladie, son ami et médecin le Dr John Seward fait appel à son mentor, le charismatique (et tout aussi énigmatique) professeur Van Helsing...
" En regardant autour de moi, je m’aperçus que le professeur n’avait pas
renoncé à utiliser les fleurs d’ail : il en avait encore frotté les
fenêtres, dans cette chambre comme dans l’autre ; partout, on en sentait
fortement l’odeur ; et, autour du cou de la jeune fille, par-dessus le
mouchoir de soie qu’il voulait qu’elle gardât tout le temps, il en avait
à la hâte tressé une nouvelle guirlande. Lucy n’avait jamais paru aussi
mal. Sa respiration était stertoreuse, sa bouche ouverte laissait
continuellement voir ses gencives exsangues. Ses dents paraissaient plus
longues, plus pointues encore que le matin même et, à cause d’un
certain effet de lumière, on avait l’impression que les canines étaient
encore plus longues et plus pointues que les autres dents."
Les méthodes du professeur sont plus qu'inhabituelles : fleurs et gousses d'ail sont parmi les premiers remèdes qu'il propose au mal dont souffre la jeune Lucy. Selon lui, la plante a la particularité de tenir à l'écart le Nosferatu. Le mal en question, bien plus que n'importe quel virus, c'est bel et bien le comte Dracula. Utilisé dans les légendes populaires pour éloigner les vampires, l'ail est également connu pour faire coaguler le sang... un rapport de cause à effet, peut-être ?
"Arthur prit le pieu et le marteau, et une fois qu’il fut fermement
décidé à agir, ses mains ne tremblèrent pas le moins du monde,
n’hésitèrent même pas. Van Helsing ouvrit le missel, commença à lire ;
Quincey et moi lui répondîmes de notre mieux. Arthur plaça la pointe du
pieu sur le cœur de Lucy, et je vis qu’elle commençait à s’enfoncer
légèrement dans la chair blanche. Alors, avec le marteau, Arthur frappa
de toutes ses forces. Le corps, dans le cercueil, se mit à trembler, à se tordre en
d’affreuses contorsions ; un cri rauque, propre à vous glacer le sang,
s’échappa des lèvres rouges ; les dents pointues s’enfoncèrent dans les
lèvres au point de les couper, et elles se couvrirent d’une écume
écarlate."
Si les bons soins du professeur Van Helsing se sont avérés insuffisants pour sauver Lucy des griffes (et des crocs) du monstre, il n'est pas trop tard pour sauver son âme. Réunissant une équipe de fiers et courageux jeunes hommes, l'éminent médecin les convie à l'intérieur du caveau de la défunte afin de vaincre la créature qu'elle est devenue. Missel, crucifix, marteau et pieu ne sont pas de trop pour revenir vivant de cette terrible nuit...
"Je le vis très pâle ; ses yeux exorbités et brillants à la fois, de
frayeur et d’étonnement, semblait-il, restaient fixés sur un homme grand
et mince au nez aquilin, à la moustache noire et à la barbe pointue,
qui, lui aussi, regardait la ravissante jeune fille. Il la regardait
même si attentivement qu’il ne nous remarqua ni l’un ni l’autre, de
sorte que je pus l’observer tout à mon aise. Son visage n’annonçait rien
de bon ; il était dur, cruel, sensuel, et les énormes dents blanches,
qui paraissaient d’autant plus blanches entre les lèvres couleur rubis,
étaient pointues comme les dents d’un animal. Jonathan continua
longtemps à le fixer des yeux, et je finis par craindre que l’homme ne
s’en aperçût et ne s’en formalisât : vraiment, il avait l’air
redoutable."
Mais à peine cette première frayeur passée, l'ombre du monstre plane toujours au-dessus de nos courageux personnages. Ne serait-ce pas le comte que viennent de voir Mina et Jonathan en ville ? Et si, finalement, Dracula vivait toujours à Londres ?
Dans l'attente de répondre à cette effrayante question, nous vous souhaitons bien évidemment le plus Joyeux des Halloween. Que vous passiez cette soirée à réclamer des sucreries ou à chasser les mauvais esprits, n'oubliez pas de sortir avec votre nécessaire de survie : eau bénite, pieu et crucifix seront vos meilleurs amis...
Les festivités n'étant jamais aussi plaisantes que lorsqu'on les fait durer, nous vous proposons, comme chaque année, de jouer les prolongations. Continuons de traquer le vampire ensemble pendant ce mois de novembre ! Il nous reste encore un certain nombre de lectures à chroniquer et de monstres à exorciser...
Alors, prêts à poursuivre l'aventure en notre compagnie ?
Encore une belle chronique, et mille bravos pour le fabuleux papier peint aux chauves-souris roses!
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