Il y a quelques jours, nous avons partagé avec vous notre chronique du premier opus de La ligue des écrivaines extraordinaires, Ann Radcliffe contre Dracula. Extension de l'univers déployé au XIXème siècle par Paul Féval dans son roman La ville-vampire (réédité depuis sous le titre Ann Radcliffe contre les vampires), cette collection éditée par les Saisons de l'étrange (ancien label des Moutons électriques éditeurs qui a, depuis, pris son indépendance) voit chacun de ses tomes confié à une autrice française différente pour... mettre en scène une illustre autrice gothique du temps passé confrontée à sa propre créature.
Bénédicte Coudière, journaliste et écrivaine de l'imaginaire, a eu la difficile mission d'ouvrir le bal avec ce premier volume, qui est tout en même temps la suite directe du roman de Féval. Challenge tout aussi fascinant qu'ambitieux qu'elle a relevé avec fantaisie et dont elle a eu l'extrême gentillesse de nous parler au cours de cet entretien.
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Pedro Pan Rabbit : Comment êtes vous entrée dans l'aventure de La ligue des écrivaines extraordinaires ?
Bénédicte Coudière : Par
hasard, à l'origine. Ou plutôt, par l'entremise des éditeurs qui sont
venus me demander si un tel projet pouvait m'intéresser. Difficile de
dire non à une proposition disant : du pulp, des autrices, des
écrivaines et une sorte de version gothique des Avengers ! J'ai même eu
le luxe du choix, entre les différentes écrivaines encore disponibles
(je n'étais pas la première sur le projet).
PPR :
Le concept de la collection semblait déjà défini avant que les autrices
ne s'emparent des différents sujets. Comment était présenté le cahier
des charges ? Vous a-t-on remis un synopsis avec la mission d'en faire
un livre ? De quelle marge de manœuvre avez-vous pu bénéficier ?
BC : C'est
justement sur le concept même de la collection que l'équipe s'est
montée. Le cahier des charges était assez simple : confronter les
écrivaines à leurs créations, à leurs monstres personnels. Pour Ann
Radcliffe, c'est Dracula, figure tutélaire du vampire, pour la simple et
bonne raison qu'elle est l'inventrice du roman gothique et que l'on
retrouve dans ses écrits les contours précis de la figure du vampire,
même s'il ne s'appelait pas ainsi dans ses pages. Pour le reste, ma
contrainte était un poil différente des autres autrices : Ann Radcliffe
contre Dracula est, en quelque sorte, la suite de Ann Radcliffe contre
les vampires. Je devais donc partir du récit de Féval pour ensuite
continuer avec mon histoire. La marge de manœuvre était gigantesque,
puisqu'à condition de faire la "suite", je pouvais faire ce que je
voulais d'une certaine façon. Tant que je respectais l'esprit général.
PPR :
On sent dans l'écriture de ce roman que vous vous êtes appropriée le
style caractéristique des romans feuilleton, la "patte" de Féval.
Etait-ce une volonté de votre part pour vous inscrire dans une forme de
filiation avec le texte original, ou est-ce que cela s'est imposé malgré
vous en écrivant le manuscrit ?
BC : Quitte
à faire une suite, autant le faire à fond. L'avantage du côté
feuilleton, avec beaucoup de rebondissements, c'est qu'on s'approche
aussi du côté pulp voulu par la collection. J'ai forcément été influencée
par l'écriture de Féval, et même celle d'Ann Radcliffe elle-même, j'ai
essayé de faire en sorte que cela se fasse naturellement de façon à ce
que cela serve le récit. Je dirais donc un peu des deux !
PPR :
Il semble que vous ayez également fait quelques recherches sur la
véritable Ann Radcliffe, afin de contextualiser ce roman dans sa
biographie (notamment en lien avec son voyage dans la vallée du Rhin en
1794). Comment avez-vous appréhendé cet exercice et qu'appréciez-vous
dans la figure de cette écrivaine, "mère" du roman gothique ?
BC : Déjà,
je pense qu'on peut enlever les guillemets à mère. Ensuite, je suis
historienne de formation et journaliste de métier. Il est (pour moi du
moins) impensable de me lancer dans n'importe quel projet impliquant une
personnalité réelle sans faire de recherche. C'est mon biais personnel,
une nécessité qui, si je ne l'avais pas fait, m'aurait bloqué dans
l'écriture. J'ai donc lu Les mystères d'Udolphe qui pose les bases de la
figure du vampire telle qu'on la connaît et telle que Bram Stocker l'a
reprise par la suite. J'ai même eu la chance, par hasard, d'en discuter
avec une personne ayant fait sa thèse sur l'écriture d'Ann Radcliffe.
Pour le récit de voyage, quelques recherches sur la bibliographie d'Ann
m'ont appris l'existence de ce récit de voyage, ainsi que sa
particularité : il s'agit d'une sorte de récit de voyage à deux, Ann
Radcliffe y fait mention de son époux. Un terreau parfait pour mon
voyage ! Et un clin d'œil que je trouvais assez sympa à faire. J'y ai
mêlé des éléments historiques, des batailles qui ont lieu dans cette
partie du monde. L'exercice était aussi plaisant que complexe : parce
que je ne connaissais pas Ann Radcliffe. Mais c'est aussi ce qui m'a plu
: découvrir une femme de lettres, découvrir son œuvre et sa vie, sa
contribution méconnue à la littérature...
PPR :
Il y a aussi (on a envie de dire "évidemment") un peu de Stoker dans
votre livre. Comment avez vous mélangez ces différentes influences
(Féval, Radcliffe, Stoker... et peut-être d'autres que nous n'avons pas
repérées) ?
BC : J'ai
un aveu à faire : je n'ai jamais lu Bram Stoker. S'il y a des éléments
de Stoker dans mon roman, c'est par hasard. En m'apercevant que la
pionnière du roman gothique était Ann Radcliffe et qu'une grande partie
de ses figures littéraires avaient été reprises par Bram Stoker et qu'il
avait, par la force de son Dracula, éclipsé la mère du genre, j'ai pris
la décision de ne pas le lire, de ne pas m'en inspirer et de rester
collée au texte d'Ann Radcliffe et de Paul Féval (puisqu'il s'agit d'une
suite). Pour la partie sur le personnage Dracula, je me suis inspirée
de la véritable histoire de Vald Tepes, des tortures documentées que
l'on a de ce souverain puissant, craint et violent. Pour les scènes de
recherches dans le château et d'exploration, c'est du côté du jeu vidéo
que l'on peut retrouver mes influences : Alone in the dark ; mais aussi
les Monkey Island, non pour l'aspect drôle (mon roman ne l'est pas
vraiment) que pour l'aspect presque "point and click" de la création de
ces scènes. En effet, j'ai imaginé l'exploration comme une succession
d'actions dans un environnement hostile. Certaines actions déclenchent
des réactions, certains choix (prendre la hache par exemple) ouvrent des
possibilités. La hache, d'ailleurs, n'était pas prévue au départ : j'en
ai eu l'idée en voyant la couverture de Melchior Ascaride, qui est
celle que l'on connaît, et qui m'a fait réaliser que ce serait plutôt
chouette de jouer sur le poids, le son de l'arme sur le plancher, etc.
Bien sûr, ce ne sont pas les seules influences, il y en a beaucoup
d'autres, que ce soit dans la façon de créer, ou même dans les
personnages...
PPR : En tant qu'autrice de l'imaginaire, quelle place occupe dans votre écriture ou dans vos inspirations la figure du vampire ?
BC : Honnêtement,
le vampire ne m'intéresse pas forcément. Ce n'est pas lui qui
m'intéresse, mais ce que je peux en faire. De quelle façon je peux
détourner les codes, jouer avec, comment me les approprier ou les
contourner. Je pense aussi qu'il y a des périodes où on est complètement
submergés de récits sur une créature. Il y a la période vampire, la
période zombie... Ma seule réponse a été de jouer avec pour tenter d'en
faire autre chose. Et puis le côté pulp est aussi un excellent vecteur
d'aventures. J'ignore si j'y reviendrais un jour, mais ce que je sais
c'est que les thèmes de la mémoire, de l'immortalité et de l'Histoire me
passionnent toujours. Reste à savoir si ce sera via cette figure
littéraire ou une autre...
PPR : Quels sont vos futurs projets d'écriture ?
BC : J'ai publié un roman, Ce que le destin nous refuse, en 2022 (et dont la version numérique est sortie en 2023). Je continue à écrire des nouvelles, publiées aux éditions Malpertuis dans leur anthologie annuelle. J'ai aussi plusieurs romans sur le feu, que ce soit en correction ou en écriture. A côté de cela, comme il s'agit aussi d'écriture, je continue mon métier de journaliste en écrivant énormément pour plusieurs magazines, après avoir intégré l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Le reste appartient au futur : on n'est pas à l'abri d'une surprise, mais c'est prématuré d'en parler pour l'instant.
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Un grand merci à Bénédicte Coudière d'avoir répondu à nos questions ! En attendant ses prochaines publications, vous pouvez suivre son actualité sur son site officiel, ICI.
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