The land of lost things, Hodder & Stoughton, 2023 - Éditions de l'Archipel (tard. de P. Brévignon), 2024.
Phoebe, 8 ans, est dans le coma. À son chevet, sa mère, Cérès, lui lit les contes qu’elle affectionne dans l’espoir qu’elle se réveille. Mais il est difficile de garder espoir, si difficile... Non
loin de l’hôpital où Cérès passe ses soirées se dresse une vieille
demeure. Poussée par une force étrange, la jeune femme pénètre dans la
maison et se retrouve propulsée dans un monde fantastique.
Le périple
de Cérès dans ce « Pays des choses perdues » sera ponctué de rencontres
avec des personnages effrayants ou bienveillants, qui tour à tour
l’aideront ou tenteront de la détourner de sa quête : rejoindre l’esprit
de sa fille pour la ramener dans le monde des vivants.
On retrouve dans ce roman les ingrédients qui ont fait le succès du Livre des choses perdues
: l’univers sombre et fantastique de Connolly, son imaginaire
foisonnant, son style vif et incisif, sa malice… Un conte qui est aussi
un hommage aux livres, aux histoires qu’ils contiennent et à la lecture.
Dans la veine du Livre des choses perdues,
traduit dans 24 pays et vendu à plus de 1 million d’exemplaires, Grand
Prix de l’Imaginaire - Étonnants Voyageurs - Prix Imaginales
« Une immersion dans un monde fantastique de contes de fées, un beau voyage au cœur de la condition humaine. » The Irish Times
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"Les livres ne sont pas des choses tout à fait mortes, mais contiennent une puissance de vie en eux qui est aussi active que celle de l'âme dont ils sont la progéniture."
(John Milton, Areopagitica).
Il y a plus de dix ans, on découvrait le très sombre et en même temps très émouvant Livre des choses perdues, best-seller inattendu de John Connolly. Hommage aux contes traditionnels dans ce qu'ils ont de plus noir et de plus profond, ce roman, véritable exception dans la bibliographie de l'auteur, avait séduit les lecteurs du monde entier et récolté de nombreux prix. Dix-sept ans après sa publication originale, alors que le romancier irlandais n'avait jamais envisagé de donner naissance à une suite – car selon lui et malgré les nombreuses demandes en ce sens, il était jusque-là persuadé qu'elle n'avait pas lieu d'être –, il a réalisé avoir accumulé assez d'idées pour s'y essayer. Fait est qu'il n'avait jamais vraiment cessé d'écrire sur l'univers du Livre des choses perdues, même si c'était alors sous forme de notes éparses et de brouillons. Le résultat, Le pays des choses perdues, paru en 2023 outre-Manche, est sorti ce mois-ci aux éditions de l'Archipel.
"C'était une impression fugace, comme une silhouette à demi remémorée aperçue sur un quai de gare au passage d'un train : sitôt vue, bientôt oubliée."
"Pour qu'un roman fonctionne, il doit jeter un sort au lecteur ; non pas le convaincre de croire en l'impossible ou de renoncer à distinguer le vrai du faux, mais au moins de baisser sa garde, d'accepter de rester suspendu entre deux univers."
On y rencontre Cérès, mère courage et célibataire portée par la magie des contes, des mythes et des langues anciennes transmise par son défunt père, éminent et passionné professeur. Un passé d'enchantements relégué aux oubliettes depuis que sa fille, Phoebe, victime d'un accident, est plongée dans un profond coma. La fillette transférée dans un hôpital spécialisé à la campagne, Cérès s'installe dans une vieille maison de famille située non loin du centre de soins afin de ne pas être séparée de Phoebe. Là, peu à peu, elle se surprend à imaginer pour elle des contes qu'elle lui narre, assise à son chevet, sans comprendre d'où lui vient l'inspiration. Il s'avère que l'hôpital a justement été construit à proximité de la maison d'un célèbre écrivain aujourd'hui disparu, auteur d'un roman intitulé Le livre des choses perdues. Alors que Cérès se procure l'ouvrage, des événements étranges surviennent chez elle : les plantes grimpantes envahissent l’extérieur et l'intérieur, au point de la rendre inhabitable. Quelque chose se passe qui dépasse l'entendement, Cérès le ressent dans l'air comme dans sa chair. Un soir, poussée par quelque chose qu'elle est incapable d'expliquer, elle pénètre dans la maison abandonnée de l'écrivain. Attaquée par une force invisible, elle tente de prendre la fuite et, à l'arrière de la bâtisse, change brusquement de réalité. Elle émerge dans une forêt qui ne ressemble en rien à l'univers qu'elle vient de quitter et réalise avoir retrouvé ses seize ans. Bloquée malgré elle dans cet espace-temps parallèle qui ressemble étrangement à celui du Livre des choses perdues, Cérès se met en quête d'une issue...
"Les livres gardent les traces de tous leur lecteurs sous forme de fragments de peau, de poils minuscules invisibles à l’œil nu, de graisses des doigts, et même de sang et de larmes, de sorte que, comme le livre finit par se confondre avec le lecteur, ce dernier finit aussi par se confondre avec le livre. En véritable archiviste des vivants et des morts, chaque volume garde le souvenir de ceux qui l'ont feuilleté."
"— Les gens prétendaient que la maison était hantée, c'est pour ça qu'ils n'ont pas voulu rester. Trois contrats de location ont été annulés avant que le projet soit abandonné.
— Hantée ? Vous voulez dire, par des fantômes ?
— Ou par des souvenirs, ce qui est peut-être pareil."
Le projet est plus ambitieux et risqué qu'il n'y parait : après le succès du Livre des choses perdues, comment envisager une suite qui ne donne pas l'impression d'une redite ? Toute la réussite de ce nouveau roman tient à la fois au sentiment de familiarité de croiser ici et là des éléments clef du précédent titre, mais, surtout, à la façon dont John Connolly parvient à les détourner, à les faire évoluer et à les éclairer d'une lumière nouvelle. On retrouve avec émotion le personnage du Garde forestier, qui sort d'un profond sommeil dès lors que Cérès fait irruption dans son monde. Et pour cause, tout laisse à penser que ce pays, ce royaume, ne prend vie que lorsqu'il est visité et, ce faisant, qu'il s'adapte et se modèle à l'image de son visiteur. C'est en tout cas ce que suggère plus d'une fois l'intrigue, se peuplant de nouveaux personnages et d'inspirations issues des mythes et légendes que Cérès tient de son enfance.
"Il faut être prudent avec nos pensées et se méfier de nos rêves, sans quoi les pires risquent d'être entendus ou vus, et quelque entité peut décider de les mettre en pratique."
"Faites attention à ce que vous souhaitez et à la façon dont vous le formulez, comme un avocat rédigeant un document en l'expurgeant de toute faille exploitable par l'adversaire, de toute clause dont la signification pourrait être contestée ou retournée contre vous."
"David avait trouvé un moyen de transformer sa douleur en roman, et ce roman avait en retour aidé certains lecteurs à surmonter leur propre douleur. Les histoires qui nous importent ont cet effet-là : elles nous aident à comprendre les autres, et elles peuvent aussi nous donner l'impression d'être compris, et un peu moins seul au monde."
"Il y avait une différence entre être seule et être solitaire. Les livres l'avaient aidée, alors, car une personne avec un bon livre ne peut jamais se sentir seule."
Aussi s'éloigne-t-on ici progressivement des contes traditionnels pour glisser lentement dans l'imaginaire hérité du folklore des vieilles terres britanniques : ses dryades, ses hobgobelins et ses faés, bestiaire encore plus ancien que le Temps lui-même, suggéré par les histoires que Cérès tenait de son père et façonné par son propre univers de références dans un jeu de glace aussi séduisant que déroutant, pour l'héroïne comme pour le lecteur. Cette dynamique imprègne jusque dans la forme du récit, puisque chaque titre de chapitre puise dans d'anciennes langues et de vieux dialectes aujourd'hui disparus, ces patois qui ont transmis et raconté ces mêmes mythes et donnés vie à ces mêmes créatures. A moins que ce ne soit l'inverse ?
"Quand un politicien stupide ou un de ces souriants donneurs de leçons se plaignaient des livres recommandés par l'école parce qu'ils osaient traiter les adolescents de façon respectueuse ou considérer que les questions de race, de sexualité et de genre pouvaient être pertinentes dans leur cheminement vers l'âge adulte, son père faisait toujours le même commentaire : Ne te méfie pas des gens qui lisent, mais de ceux qui ne lisent pas."
"Passé et présent se déroulaient simultanément, presque en parallèle, ne se frôlant qu'en des lieux anciens, là où la terre contenait les souvenirs comme les cimetières contiennent les morts. Ces souvenirs s'insinuaient dans la terre et la pierre, le métal et le bois, imprégnant de leur essence des matériaux inanimés. Les mythes et les légendes accouraient autour de tels lieux, et engendraient des histoires, des livres, des récits, de sorte que la marge séparant le réel de l'irréel se rétrécissait de plus en plus, chaque narrateur en extrayant ses propres strates de signification et y ajoutant de nouvelles vérités. La vérité se faisait brumeuse, confuse, et le monde s'en trouvait altéré."
Si l'on retrouve donc suffisamment d'éléments connus pour se sentir dans ce livre comme chez soi (l'ombre de l'Homme Biscornu n'est jamais loin), l'auteur parvient à apporter assez de nouveauté pour qu'on ne soit pas tenté de jouer au jeu des comparaisons. Époque différente, quête différente, héroïne différente, ce Pays des choses perdues se veut avant tout un témoignage sur le pouvoir des histoires, mais aussi une fable furieusement évocatrice sur le deuil autant que le rapport à l'enfance, et sur le lien viscéral qui unit une mère à sa fille. La plume, puissante, marque et émeut le lecteur.
"C'est ainsi que l'on perd les gens, parfois : pas d'un seul coup mais petit à petit, comme le vent souffle les grains du pollen sur une fleur."
"Les images de démons provenant de différentes cultures présentent souvent des détails communs, comme si chaque artiste avait, à un moment donné, fait le même cauchemar."
En bref : Une suite aussi inattendue que réussie. John Connolly y distille suffisamment d'éléments familiers et de clins d’œil pour qu'on y retrouve l'étrange étrangeté du Livre des choses perdues et, tout en même temps, engendre un "livre-monde" bien assez nouveau pour éviter tout sentiment de redite. Son univers évolue au filtre de ses personnages et des enjeux à l'oeuvre, la quête cette fois nourrie du désespoir d'une mère face à l'impossible deuil de sa fille prisonnière quelque part entre la vie et la mort. Le style, les symboles, les inspirations aussi anciennes que le monde, tout dans ce livre résonne en nous. Une réussite.
Un grand merci aux éditions de l'Archipel pour cette lecture !
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"Peut-être certains mythes sont-ils si essentiels à notre existence, si cruciaux pour nous aider à comprendre le monde et la place que nous y occupons, que nous les engendrons naturellement avant de les transmettre aux générations suivantes."
"Ces souvenirs nous enseignent ce que nous devons craindre, de sortes que nous pouvons en avoir conscience dès que nous venons au monde. Ainsi, nous savons que certains bruits, certaines odeurs sont des signes de danger. Nous pensons que les animaux transmettent cette faculté, pourquoi pas les humains?"
"C'était une sorte d'alchimie, l'invention d'histoires à partir de rien. Et comme pour toute magie, mieux ne valait ne pas examiner les procédés de trop près. Son père aurait appelé cela : trancher la gorge de l'alouette pour voir comment elle chante. Tuer ce que l'on cherche précisément à comprendre."
"Dès lors, rien d'étonnant à ce que, dans son adolescence, elle ait connu un bref engouement pour les histoires d'horreur – et plus elles étaient glauques, mieux c'était. Quand les poils apparaissent à des endroits inattendus et que son propre corps est en proie à des mutations – parfois sanglantes –, comment ne pas avoir envie de lire des histoires de vampires, de loups-garous, de monstres et autres créatures métamorphes ?"
"Quand on crée des monstres, on ne doit pas s'étonner qu'ils se comportent comme tels."
"La vie de chacun est faite d'histoires : un entassement permanent d'histoires. Nous ne sommes pas des créatures de chair et de sang, pas plus qu'un livre n'est une créature d'encre et de papier. Nous sommes des êtres constitués de contes et de fables. Nous existons en tant que récits. C'est par ce prisme que nous comprenons le monde et que nous devons être compris."
"Le passé ne nous emprisonne pas : on peut décider de rester prisonnier mais on peut aussi choisir d'ouvrir la porte de sa cellule et de reprendre sa liberté. Même si cette porte est verrouillée, car nous avons toujours la clé sur nous. Il s'agit juste de trouver la bonne poche."
"Un élément crucial à saisir pour comprendre les gens et leurs motivations : dans les histoires comme dans la vie, il n'existe pas de personnages secondaires. Chacun de nous occupe le centre de son propre univers, les autres personnes étant les planètes et les lunes qui gravitent autour de nous, corps célestes tour à tour repoussés ou attirés par notre force gravitationnelle et – parfois – étoiles brillantes qui deviennent de façon provisoire ou définitive, nos astres jumeaux."
"Parfois, dans la vie comme dans les rêves, le monde essaie de nous communiquer une vérité, mais d'une façon si subtile qu'il nous faut du temps pour la saisir."
"Un livre est comme une maison (...) et les histoires sont les âmes qui l'habitent. Un livre sans histoire n'a pas d'âme"
Et pour aller plus loin...