I am half-sick of shadows, Random House Doubleday, 2011 - Editions 10/18 (trad. de H.Hiessler), 2015 .
Tout n’est pas pour le mieux à Buckshaw, la demeure des de Luce… Avec
des finances dans un état précaire, le père de Flavia se voit contraint
de louer le manoir familial à une société de films. Naturellement,
réalisateur, équipe de tournage et stars de cinéma ne font rien pour se
faire aimer de la maisonnée- et encore moins des domestiques; jusqu’à ce
qu’un lourd rideau de neige coupe Lacey Bishop de tout contact avec le
monde extérieur. Les acteurs sont alors priés de monter un spectacle
dans la grande salle paroissiale. Mais de vieilles jalousies refont
surface et l’actrice principale est assassinée. Flavia de Luce, qui a
été mise à contribution en coulisses, se retrouve prise jusqu’au cou
dans cette sordide affaire!
***
" Bien qu'il soit délicieux de penser au poison à n'importe quelle saison, Noël a quelque chose de spécial..."
Lorsque les éditions du Masque ont officialisé l'arrêt de la série des Étranges talents de Flavia de Luce en France au bout de trois tomes, de nombreux lecteurs ont crié au scandale. Heureusement, c'était pour mieux apprendre quelques temps plus tard que 10/18, qui publiait en poche les romans d'Alan Bradley, poursuivrait la traduction de cette série maintes fois primée et encensée dans les pays anglophones et à l'étranger. Bon, qu'on ne se réjouisse pas trop : après cet opus, même 10/18 ne poursuivit pas l'aventure Flavia, dont les volumes suivants sont désormais disponibles en VO uniquement. J'avais donc mis de côté ce quatrième et ultime tome français pour une lecture de Noël à venir et l'ai exhumé de ma PAL cet hiver...
Trailer pour la sortie du livre en VO.
On retrouve Flavia aux veilles de Noël, dans un Buckshaw encore plus triste et froid que d'habitude. Alors que le manoir s'effrite chaque année un peu plus de vétusté et que la famille croule sous les factures, le père de la jeune et impétueuse fillette décide de regonfler ses finances en louant la demeure ancestrale des De Luce à la société de production Illium Films pour en faire le décor d'un film à gros budget. A quelques jours des fêtes, voilà donc que scénaristes, mécaniciens, cameramen, et acteurs fendent les murs de neige qui se dressent sur les routes de Bishop Lacey pour installer leurs quartiers au manoir de Buckshaw. Au milieu de ce qui représente déjà un événement en soi dans un petit village reculé de l'Angleterre, un autre événement : la participation au film de la grande star Phyllis Wyvern, adulée des sœurs de Flavia et de leur âme romanesque. Flavia, jusque là occupée à la conception d'une substance chimique qui piègera le Père-Noël la nuit du 24 Décembre (il est en effet grand temps de capturer cet individu qui parvient chaque année à passer inaperçu en dépit de la charge et de la difficulté de son entreprise!), créé un lien étrange avec Phyllis Wyvern, tantôt mystérieuse et agréable, tantôt froide et antipathique. Sa présence attise bien évidemment la curiosité de tout le village, aussi le révérend en profite-t-il pour proposer à Phyllis de bien vouloir participer à un spectacle de charité local... Ni une, ni deux, on organise la représentation dans le grand hall de Buckshaw, où tous les villageois se retrouvent piégés à la suite d'une tempête de neige d'une rare violence. C'est dans ce huis-clos glacial que l'on retrouve le corps de Miss Wyvern, assassinée dans une macabre mise en scène. Et puisque personne n'est entré et que personne n'est sorti, le meurtrier se trouve obligatoirement parmi les habitants de Bishop Lacey réunis à Buckshaw... et Flavia est bien décidée à lui mettre la main dessus. Avant de mettre la main sur le Père Noël.
Couvertures d'éditions étrangères.
"J'avais déjà remarqué que le surpeuplement, même dans les espaces les plus spacieux, vous donnent l'impression d'être différent. Peut-être que quand on respire l'haleine des autres, quand les atomes tourbillonnants dans leurs corps se mêlent aux nôtres, nous absorbons quelque chose de leur personnalité, à l'instar des flocons de neige. Peut-être que nous devenons un peu plus et pourtant un peu moins nous-mêmes."
Alan Bradley nous offre encore une fois une intrigue pleine d'intelligence et de mordant, dont la complexité s'adresse aussi bien à un lectorat adulte passionné de cosy mysteries vintage qu'à un public plus jeune. En situant son histoire en plein hiver, l'auteur renouvelle son atmosphère habituelle : plus de grandes ballades à vélo dans la campagne telles que Flavia les aime, plus d'investigation dans les quatre coins du village. Cette fois, tout le monde se trouve bloqué dans le manoir de Buckshaw, piégé au beau milieu d'un blizzard. A l'instar de tous les personnages présents, le lecteur lui-même se retrouve groggy et se laisse porter par le rythme, beaucoup plus lent que celui des autres tomes mais autrement agréable. Moins centré sur les aspects policiers de son histoire, l'auteur s'attarde ici sur la psychologie de son héroïne et sur les réminiscences que l'hiver provoque dans les couloirs glacials du manoir : bien que l'humour reste omniprésent, jamais le fantôme d'Harriet, la défunte mère de Flavia, n'aura été aussi présent. Flavia, d'ailleurs, étrange et fascinante fillette indubitablement précoce, mais qui oscille sans cesse entre la logique scientifique de l'adulte et les croyances fantaisistes de l'enfance.
" C'est ainsi que les fantômes se rappellent à nous : ils surgissent aux moments les plus inattendus, dans les lieux les plus incongrus."
Buckshaw sous la neige?
Le titre "Je suis lasse des ombres" (traduction littérale du titre VO) m'a renvoyé à toute une réflexion, certainement délibérément provoquée par l'auteur, même si la référence parlera davantage aux lecteurs anglophiles. En effet, il s'agit d'un extrait du poème La dame de Shalott, mythe arthurien médiéval anglais ; il raconte l'histoire d'une jeune fille prisonnière d'une pièce d'où elle ne peut observer le monde extérieur qu'à travers le reflet que lui renvoie un large miroir. Une légende qui évoque directement au mythe de la caverne de Platon, dans lequel des individus prisonniers d'une grotte sont persuadés que les ombres projetées sur les murs depuis le monde extérieur sont des expressions du réels et non de simples illusions. Ces deux histoires assez proches dans leur symbolique sont devenues des métaphores des arts offrant une imitation de la réalité, à l'image des arts scéniques tels que les pantomimes, le théâtre ou... par extension le cinéma, ces deux derniers ayant une importance toute particulière dans le roman d'Alan Bradley! Des clins d’œil très littéraires et toujours pertinents, comme cet auteur nous y a habitué dans ses œuvres.
"Si on considère que le théâtre a quelque chose du mesmérisme de masse, Shakespeare est certainement le plus grand hypnotiseur qui ait jamais existé."
Flavia et sa bouille toujours pleine d'assurance?
Ce quatrième opus de Flavia de Luce évoque aussi par de nombreux points le roman Le miroir se brisa d'Agatha Christie, qui pourrait être une des inspirations possibles : on y retrouve en trame de fond le tournage d'un film dans un manoir de village anglais, avec la présence d'une grande actrice qui suscite la curiosité des habitants et... une histoire criminelle qui met en relief des liens insoupçonnés entre la comédienne et certains des humbles villageois. Pour couronner le tout, le titre "Le miroir se brisa" était également extrait d'un vers de... La dame de Shalott! Que la littérature est amusante!
"Est-ce que c'est mal de prendre plaisir à côtoyer les morts?"
En bref : Un quatrième tome de Flavia de Luce absolument délicieux qui se déroule dans l'atmosphère gelée de l'hiver anglais, sujet à faire de cet opus un titre plus intimiste que les précédents. Un roman pimenté par l'introduction du milieu extravagant du cinéma dans la demeure des De Luce et cette ambiance unique de superproduction vintage, le tout parsemé de références culturelles et littéraires toujours intelligentes. On adore Flavia et on continuera de la lire, même en anglais!
Ton billet m'a rappelé le premier titre, depuis longtemps dans ma PAL. Je l'ai feuilleté tout à l'heure et ne doute pas que je l'en sortirai très rapidement :) Intéressant de voir ces allusions qui donnent de la profondeur au roman. Je croyais que c'était une série plus légère que ça et suis maintenant impatiente de la découvrir (même si je n'aime pas avoir à changer de collection en cours de route !).
RépondreSupprimerC'est ce qui est génial avec Flavia : la légèreté est toujours contrebalancée par l'épaisseur qu'apportent tantôt les références littéraires, tantôt la psychologie des personnages, ou encore tantôt la noirceur de l'intrigue... lesquels sont alors à leur tour contrebalancé par les notes de légèreté qu'apporte Flavia. C'est une histoire d'équilibre, comme il peut y en avoir dans les Agatha Christie lorsque Poirot apporte de la fantaisie à une intrigue pourtant sombre. Le fait que l'héroïne soit une fillette mais que ces romans s'adressent à un public adulte (mais aussi jeunesse, même si cela n'est pas évident devant la complexité des intrigues) apporte un petit quelque chose tout spécial dans l'aura de cette série.
Supprimerj'avais oublié qu'il s'agissait d'une série ! le 1er tome m'avait bien plu, en tout cas...
RépondreSupprimerJ'ai adoré le premier tome ! J'ai beaucoup aimé les suivants, mais ce quatrième est celui que je préfère après le tout premier.
SupprimerEt tiens, pour l'anecdote :
http://books-tea-pie.blogspot.fr/2015/09/gourmandise-litteraire-la-tarte-la.html