Comme je l'avais annoncé dans mon article de présentation et conformément à l'année Emilie(s) consacrée à la Grande Marquise du Châtelet -première femme de sciences française et physicienne des Lumières, traductrice de Newton et muse de Voltaire avec qui elle vécut en couple plus de quinze ans- le terrier s'est rhabillé en son honneur pour les fêtes! Par ici toiles de Jouy, moulures baroques et chandeliers : c'est un Noël au XVIIIème siècle que nous allons fêter...
... ou que nous avons fêté. Car comme chaque année, je viens vous présenter mes traditionnels vœux d'entre-deux fêtes :
Joyeux Noël
(avec un léger différé)
et
Bonne année
(avec une petite avance)!
Que le nouveau cycle qui commence vous apporte de palpitantes lectures (la joie et la santé viendront certainement avec)! Et puisque nous sommes là à papoter, je vous offre une petite visite guidée des quartiers de la Marquise : le tout en bleu et jaune, ses couleurs fétiches...
Tout d'abord un sapin d'inspiration XVIIIème siècle, tel que présenté à Versailles à Noël 1738 par la Reine Marie Leczinska, fille du roi Stanislas et épouse de Louis XV : cette mode importée d'Europe de l'Est et déjà bien répandue en Alsace et Lorraine pour les fêtes de fin d'année avait vu naître les premiers sapins décorés, à l'époque de rubans et de pommes.
Comme je le disais dans mon article de présentation, il y a de fortes chances qu’Émilie, avant-gardiste comme elle l'était, ait entendu parler de cette coutume nouvellement importée et même qu'elle ait voulu la suivre. Connaissant la divine Marquise et son goût prononcé pour les froufrous et les dorures, elle aurait très certainement ajouté une petite touche personnelle à son propre sapin... voilà donc quelques pommes scintillantes, clochettes dorées, et une couronne éclatante d'or et de diamants en guise d'étoile (car chacun sait que la Marquise était loin, très loin, d'être dévote... -demandez donc à Voltaire- donc on l'imagine sans peine troquer l'étoile de Bethléem pour un colifichet symbolique de son rang).
Compas, sablier, astrolabe, balance... un cabinet de physique digne de la Marquise!
"Jamais une femme ne fut si savante qu’elle, et jamais personne ne mérita
moins qu’on dît d’elle : c’est une femme savante. […] Elle ne parlait
jamais de science qu’à ceux avec qui elle croyait pouvoir s’instruire,
et jamais n’en parla pour se faire remarquer."
(Voltaire)
Car avant tout, et même avant d'être la maîtresse de Voltaire, la Marquise est une scientifique dans l'âme! Enfant précoce éduquée par son père comme un garçon (ce qui signifie à l'époque avoir droit aux meilleurs précepteurs et un enseignement complet, dont l'escrime), elle fait à l'âge de sept ans des merveilles en mathématiques et en physiques, déplorant en devenant adulte qu' on lui refuse le statut de scientifique parce qu'elle est femme. Elle écrit pourtant quelques œuvres aujourd'hui reconnues dont un mémoire sur la nature du feu et, surtout, traduit du latin (qu'elle parlait couramment, tout comme l'anglais et plusieurs autres langues) les Principes mathématiques de Newton en les corrigeant. Sans la qualité de ses travaux, Einsten n'aurait jamais pu mettre à jour son célèbre E=Mc2! Dans son château de Cirey où elle vit presque maritalement avec Voltaire, elle passe des nuits entières sans dormir à travailler dans le laboratoire que lui a offert son amant, composé de nombreuses pièces achetées au physicien l'abbé Nollet.
Non contente d'être une scientifique, la divine Émilie est aussi philosophe : elle travaille sur un discours sur les religions et une étude approfondie de la bible, ainsi que sur un très moderne discours sur le bonheur encore disponible aujourd'hui en librairie.
Mais la femme de sciences était aussi une femme de goût : outre le bleu et le jaune or qu'elle adorait ( couleurs du blason des Breteuil, sa famille de naissance), un autre de ses symboles et qu'elle plaçait absolument partout était l’œillet : les archives de son château de Cirey témoignent de commandes de semences et de gerbes, elle aimait poser pour ses tableaux un œillet à la main, et en avait même fait broder sur les tentures de sa chambre... bleus sur fond jaune, évidemment.
Les archives font aussi preuve d'achat de graines et nourritures pour perroquets. Avoir des oiseaux exotiques (perroquets, perruches...) était une grande mode de l'époque, en lien avec l'intérêt pour les chinoiseries et turqueries ou l'attrait global des arts pour la culture orientalisante. Évidemment, Émilie du Châtelet ne faisait pas exception à la règle et en possédait un qu'elle emmenait partout.
Mais la Marquise aime aussi le divertissement. Plus que ça, elle souffre d'une réelle dépendance aux jeux d'argent! Combien n'a-t-elle pas perdu aux tables de biribi, cavagnolle, roulette et autres jeux de cartes et de hasard ... La dame n'en n'était pas moins écolo puisqu'elle recyclait lesdites cartes à jouer en feuilles de notes et de pense-bête : l'ancêtre du post-it!
"Son esprit est très philosophe et son cœur aime les pompons" disait Voltaire, qui avait surnommé sa muse "Mme Pompons-Newton". Car si elle ambitionnait d'être considérée comme l'égale de l'homme, Émilie prouvait par tous les possibles qu'elle était aussi une femme, une vrai, parant coiffures et robes de pompons, diamants, broches et pierreries dont elle se couvrait et recouvrait littéralement. On devine des lettres envoyées par Madame de Graffigny, célèbre épistolière qui logea quelques temps chez elle, que la divine Émilie devait avoir un côté blingbling : "Elle m'a montré son bijoutier (...), des montres de jaspe, avec des diamants des étuis, des choses immenses! des bagues, des pierres rares, des breloques sans fin et de toute espèce."
Une anecdote amusante raconte qu'à Paris, prise dans un embouteillage de deux-mille carrosses, elle n'hésita pas à sortir "couverte de diamants" pour appeler à l'aide, remonter la rue sans même se faire détrousser et aller commander une poularde chez le rôtisseur du coin en attendant que la circulation reprenne. Imaginez un peu le cocasse de la scène!
Parmi ses bijoux les plus célèbres dont les textes, archives, et inventaires ont laissé trace, on a entre autre connaissance d'un "collier de diamants estimé à trois mille livres" mais surtout d'une broche, "un nœud de diamants à quatre bouts", qu'elle porte sur certains tableaux et, par dessus tout, d'une bague de cornaline (pierre de la famille des Du Châtelet) offerte par son époux. Le chaton de la bague dissimule un espace où l'on peut glisser une miniature... Émilie avait pris l'habitude d'y placer le portrait de son amant en cours (que personne ne se moque : la photo de qui choisit-on le plus souvent en fond d'écran de smartphone?...Ah, vous voyez qu'elle était furieusement avant-gardiste! ;) ). Aussi, le jour de sa mort, Voltaire s'était empressé d'aller faire chercher la bague pour y ôter son portrait... lequel avait déjà été remplacé par celui du Marquis de Saint-Lambert, dernier soupirant en date de la Marquise. Toujours philosophe, Voltaire aurait déclaré "Ainsi va la vie : un clou chasse l'autre!".
"Nous sommes au temps, j’ose le dire, où il faut qu’un poète soit philosophe, et où une femme peut l’être hardiment."
" J'ai perdu un amy de vingt-cinq années, un grand homme qui n'avait de
défaut que d'être une femme, et que tout Paris regrette et honore"
(Voltaire à propos d’Émilie)
Parce qu'elle aimait autant les fanfreluches que la mode en général, il était difficile de ne pas penser aux nombreuses tenues que devait compter sa garde-robe (l'inventaire après son décès à Lunéville recensait presque trente robes, et il ne s'agissait que de celles qu'elle avait emportées en voyage!), d'où cette création unique, pièce-maîtresse de cette crèche made in Émilie : un corset cousu d'après un patron de l'époque et des paniers, structure que l'on portait alors sous les robes à la française (les matériaux d'origine n'étant plus disponibles pour leur fabrication, je vous laisse deviner comment ceux-là ont été faits ;) les paris sont ouverts!).
Voilà pour ce petit tour au pays de Noël d'une marquise féminine, féministe et érudite du Siècle des Lumières. Nous espérons que le voyage vous aura plu, en attendant quelques gourmandises littéraires de Noël chères à Émilie à venir. En attendant, la fine équipe du terrier et votre humble serviteur vous souhaite de nouveau de belles fêtes de fin d'année...
"- Mais c'est Noël?
- Ma chère, à Cirey, ce sera tous les jours Noël..."
(Emilie et Voltaire dans le film biopic Divine Emilie).