Mary who wrote Frankenstein, Tundra Books, 2019 - Éditions de la Pastèque (trad. d'E.Fontaine), 2019.
Mary est une rêveuse. Le genre de fille à imaginer des choses qui n’ont jamais existé.
Voici l’histoire de Mary Shelley et de la manière dont une écrivaine vient au monde et une légende est forgée.
Une histoire à vous glacer le sang, un château, une
créature morte. Une découverte scientifique. Une nuit d’orage. Cette
histoire raconte comment une jeune fille de dix-huit ans a tout réuni
pour créer un des plus grands romans de tous les temps…
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Chez Books, Tea Time & Sweet Apple Pie, on aime beaucoup lorsque la littérature jeunesse – notamment les albums – met la grande littérature à disposition des plus jeunes. Dans cette mouvance, on a par exemple pu partager avec vous nos lectures illustrées du Fantôme de l'Opéra d'après G.Leroux, La dame de pique d'après A.Pouchkine, Dracula d'après B.Stoker, ou encore le recueil d'histoires de Dickens paru chez Usborne. Dans un registre approchant, les albums jeunesse racontant la vie de grands auteurs méritent aussi qu'on s'y attarde : ils représentent un pourcentage moindre mais n'en résultent pas moins d'une volonté on ne peut plus honorable de transmission et de devoir de mémoire, un peu à la façon du très beau J'aimerais te parler d'elles, florilège de portraits historiques féminins récemment chroniqué. Si, lorsqu'on évoque cette étroite mais bien réelle ligne éditoriale, on pense en premier lieu à Miss Charity (merveilleux ouvrage graphique adapté de la vie de l'auteure et illustratrice Beatrix Botter), Mary, auteure de Frankenstein, dernier né de cette mode littéraire, ne pouvait que retenir notre attention.
Découvert il y a quelques temps grâce à la page Jane Austen lost in France, ce magnifique album retrace en une quarantaine de pages la vie tumultueuse, onirique et passionnée de Mary Shelley, l'écrivaine anglaise qui inventa Frankenstein (dont nous avons déjà chroniqué le film Mary Shelley et la biographie analytique, Mary Shelley, au-delà de Frankenstein). Cet ouvrage, publié en langue originale en 2019 (soit quelques mois avant sa traduction française), s'inscrit donc dans la lignée du biopic sorti l'année précédente et dans une volonté de rappeler aux lecteurs actuels le souvenir de cette femme de talent. En effet, plus qu'une simple mode lancée par les 200 ans de l'écriture de Frankenstein célébrés en 2018, raconter la vie de Mary Shelley est une nécessité : au même titre qu'on confond régulièrement le nom de la créature avec celui de son créateur (Frankenstein étant celui du savant, et non du monstre), on oublie souvent le nom de la romancière au profit du roman, dont le scénario puise pourtant tout son génie dans la vie de sa créatrice.
Qui savait en effet, jusqu'à ce que le cinéma et des livres comme celui-là viennent le rappeler, que l'auteure de Frankenstein était une jeune adolescente qui avait eu à lutter dans l'Angleterre éditoriale patriarcale et bien pensante pour faire publier son ouvrage? Qui savait qu'elle avait grandi sans mère, cette dernière, pionnière du féminisme, étant décédée quelques jours après l'accouchement? Qui aurait imaginé qu'elle avait appris à lire en déchiffrant les lettres gravées sur la pierre tombale de la défunte? Qui connaissait le nombre de pertes et de deuils qu'elle avait eu à traverser? Des sujets bien sombres pour de la littérature jeunesse, direz-vous? Pourtant, cela fonctionne à merveille.
Mary et les protagonistes de sa vie : sa sœur Claire, Percy, Byron, Polidori et... la créature...
Si les plus grands éléments de sa vie sont relatés (certains relevant même du détail biographique, comme l'évocation du poème La complainte du vieux marin, découvert petite et qui la marqua à vie), cet album n'est jamais morbide ni mortifère grâce à l'importance que Linda Bailey, dans son texte, accorde à la force de vie de Mary et à sa créativité. En mettant en exergue ces deux atouts, elle parvient à raconter la célèbre romancière sans jamais tomber dans le pathos, prouvant à quel point cultiver son imagination peut devenir un but en soi et un moyen d'affronter ou même de sublimer les expériences difficiles. Ainsi, à la question "Comment une histoire vient-elle au monde?" sur laquelle s'ouvre l'album, le jeune lecteur comprendra progressivement que les aléas de la vie et la capacité à les surmonter pourront être pour beaucoup dans le processus de création.
En introduisant une Mary enfant animée par le rêve et la lecture, Linda Bailey choisit l'angle d'approche et d'accroche qui fait mouche. Elle retient ainsi l'attention de son lectorat, dont on suppose que le goût pour les livres (car il en faut bien un, préexistant ou cultivé par l'environnement du jeune lecteur, pour qu'il se retrouve avec celui-là entre les mains) permettra de dresser un parallèle d'identification appelant à poursuivre la découverte de cet album. On suit Mary de la triste Angleterre à ses heureuses années en Écosse puis dans sa fugue endiablée à travers l'Europe au bras du poète maudit Percy Shelley. Animée par sa soif de découverte et son désir de révolte, Mary Shelley est alors décrite avec ironie comme "un gros problème pour sa famille", façon à la fois décalée, fantaisiste et pourtant furieusement vraie de montrer à quel point une femme qui pense et qui souhaite se construire en-dehors du cadre qu'on lui assigne était alors mal perçue. L'album raconte aussi bien évidemment le célèbre épisode de la Villa Diotati, à l'occasion duquel Mary imagina l'histoire de Frankenstein à la suite d'un cauchemar et d'un concours d'écriture à l'initiative du poète Lord Byron. Si cet événement, de l'aveu même de Mary Shelley, est significatif dans la genèse de son œuvre, le fait que l'album ne s'en contente pas et retrace les années précédentes vient là encore montrer que le processus d'écriture a été nourri par tout son parcours.
La chevauchée imaginaire illustrée par J.Sarda évoque furieusement cette scène de G.Méliès, non?
Du côté des illustrations, comment ne pas tomber sous le charme des dessins de Julia Sarda? Cette illustratrice espagnole fait ici un travail admirable. A l'image du texte qui ne censure pas les événements sombres de l'histoire de Mary, l'artiste utilise des couleurs qu'on n'imaginerait pas privilégiées dans un ouvrage pour la jeunesse : tout l'album n'est qu'un dégradé (mais quel dégradé!) de teintes automnales et ténébreuses. Bordeaux, gris, noir et ocre prennent les formes d'arbres squelettiques ou de maisons londoniennes se découpant dans un ciel de brume. Le paysage de la lande écossaise battue par les vents n'en est pas moins sublime, de même que les chevauchées fantastiques qui apparaissent dans le ciel ne manqueront pas d'évoquer à certains connaisseurs une scène visuellement célèbre des Quatre cent farces du diable de George Méliès. La perspective volontairement approximative des dessins de Julia Sarda contraste avec les hautes silhouettes pâles quasi "burtoniennes" de ses personnages et Mary, dessinée souvent échevelée au milieu de la végétation luxuriante qui entoure la tombe maternelle, n'est pas sans rappeler quelques héroïnes préraphaélites. Visuellement, en tout cas, c'est étrangement enchanteur.
En bref : Mary, auteure de Frankenstein est un magnifique album pour la jeunesse. Objet de transmission qui a pour objectif de raconter l'histoire de Mary Shelley aux plus jeunes, cet album évite les écueils posés par la réelle histoire de la célèbre romancière en n'omettant pas de raconter les événements difficiles de sa vie, mais sans jamais tomber dans le pathos. Également porté par de superbes illustrations, Mary, auteure de Frankenstein est une ode à l'imagination, esthétique et envoutante.
(Édit : Étrange coïncidence, nous nous rappelons ce soir que nous fêtons aujourd'hui l'anniversaire de Mary Shelley, née le 30 août 1797!)
Et pour aller plus loin...
(Édit : Étrange coïncidence, nous nous rappelons ce soir que nous fêtons aujourd'hui l'anniversaire de Mary Shelley, née le 30 août 1797!)
Et pour aller plus loin...