jeudi 29 février 2024

Leçons de chimie - Bonnie Garmus.

Lessons in Chemistry
, Doubleday, 2022 - La brillante destinée d'Elizabeth Zott, éditions Robert Laffont (trad. de C. Gaillard-Paris), 2022 - Leçons de Chimie, éditions Pocket, 2023.
 
    Brillante ? Elizabeth Zott l’est. En tout. Mais dans l’Amérique patriarcale des années 1960, rares sont les hommes qui s’en aperçoivent. À l’Institut de chimie où elle travaille, les remarques sexistes fusent à son passage. Quand on ne lui vole pas ses recherches, tous la renvoient à cette cuisine dont elle n’aurait jamais dû sortir… Alors elle y reviendra. D’une manière tout à fait inattendue : elle devient la vedette de télévision d’une émission culinaire très populaire. Son anticonformisme étonne, détonne, secoue les ménagères… Reste trouver la délicate alchimie du bonheur…
 
    Faites la connaissance de l’anticonformiste et intransigeante Elizabeth Zott. Votre capacité à tout changer commence ici et maintenant.
 
***
 
     Paru tout d'abord en France sous le titre La brillante destinée d'Elizabeth Zott, Lessons in chemistry a très rapidement bénéficié d'une réédition sous celui, plus littéral, de Leçons de chimie. La raison ? Probablement commerciale, pour faciliter le lien avec l'adaptation télévisée alors en cours de production. Ce qu'il y a à en retenir ? En peu de temps, du nombre de ventes à l'achat des droits pour le petit écran – en passant par la réédition et les réimpressions – l'ouvrage témoignait de tous les signes du phénomène littéraire. Et, de fait, Leçons de Chimie est ce qu'on pourrait qualifier de petit bijou.
 

"En 1961, à l'époque où les femmes portaient des robes chemisiers, adhéraient à des clubs de jardinage et conduisaient des voitures aux sièges envahis d'enfants sans ceinture de sécurité, et avant même de savoir que les années 1960 seraient le terreau d'un mouvement culturel qui ferait date dans l'histoire, et encore moins que ses participants passeraient les soixante années qui suivraient à en faire la chronique ; à cette époque où les grandes guerres étaient terminées et où des guerres secrètes étaient sur le point d'éclore et où les gens commençaient à penser différemment et à croire que tout était possible, la mère de Madeline Zott, trente ans, se levait à l'aube tous les matins, certaine d'une seule chose : sa vie était finie. Malgré cette certitude, elle n'oubliait jamais de passer dans son laboratoire pour préparer le déjeuner de sa fille."

     Années 1960, États-Unis : Elizabeth Zott, jeune mère célibataire totalement en marge de sa génération de femmes au foyer disciplinées, se voit proposer par le plus grand des hasards l'animation d'une émission culinaire quotidienne à la télévision. Dans un premier temps, Elizabeth refuse : elle cuisine excellemment bien ? Oui, mais parce qu'elle est chimiste, et que la cuisine n'est ni plus ni moins que de la chimie. Alors jouer les épouses parfaites en tablier à fleurs devant les caméras, jamais. Quelques temps plus tard, moyennant quelques concessions des deux parties (mais surtout de la chaîne de télévision, car Elizabeth n'est pas femme à se laisser marcher sur les pieds), la voilà qui présente l'émission de cuisine la plus regardée du pays. L'origine de son succès ? Parler de gastronomie sous l'angle de la science, expliquant la subtile réussite d'une recette par la chimie des aliments. Ainsi, très certainement, que son franc-parler, son honnêteté, et son grand respect des téléspectatrices qui la regardent, n'en déplaise aux sponsors de la cuisine industrielle qu'elle n'a pas peur de dénoncer à une heure de grande écoute. Et, par-dessus tout, tout en s'exposant devant une plaque de cuisson, Elizabeth Zott invite en fait toutes ces femmes qu'on a cantonnées à des rôles de bonnes à tout faire à sortir de la cuisine. Dix ans plus tôt, années 1950 : Elizabeth Zott est une jeune laborantine aux compétences bien au-delà des missions qui lui sont confiées. Blacklistée des perspectives d'un doctorat parce qu'elle a dénoncé l'agression dont elle a été victime par son directeur de thèse, constamment rabaissée par ses collègues masculins parce qu'elle est bien plus intelligente qu'eux et critiquées par les femmes qui ne comprennent pas cette arriviste qui ne sait pas rester à sa place, Elizabeth n'en est pas moins la plus douée de tous. Dix années séparent donc la prometteuse (mais incomprise) chimiste de la présentatrice télévisée adulée de ses contemporaines (mais détestée du patriarcat). Du laboratoire au studio d'enregistrement, il n'y a qu'un pas... qui peut se faire dans les deux sens ?
 
 " La vie n'était pas une hypothèse que l'on pouvait tester et tenter de démontrer à plusieurs reprises sans conséquence – quelque chose finissait constamment par lâcher."
 

"Ainsi, le sujet de la famille était comme une pièce dans une demeure historique dont l'entrée était fermée à la visite par un cordon. On pouvait toujours y jeter un coup d' œil pour avoir la vague impression que Calvin avait grandi quelque part (dans le Massachusetts ?) et qu'Elizabeth avait des frères (ou était-ce des sœurs ?), mais il était impossible de pénétrer à l'intérieur et de jeter un coup d’œil furtif dans l'armoire à pharmacie."

    Petit bijou. Gourmandise. Délice. Merveille. Difficile de trouver le mot qui qualifie le mieux Leçons de chimie. Aussi difficile que de répondre à cette question : à quoi tient l’inimitable saveur d'un roman ?  A l'audace de la recette ? A l'ordre dans lequel on ajoute les ingrédients ? A l'arrière-goût que la préparation laisse sur les papilles ? Probablement à tout cela à la fois. On pourrait poursuivre la métaphore culinaire à l'infini, tant elle se prête bien, dans le fond comme dans la forme, à tout ce qui fait le sel de ce livre doux-amer. Premier roman de l'autrice américaine Bonnie Garmus, 66 ans, dont le tout premier manuscrit avait été refusé par 98 éditeurs, Leçons de chimie rassemble des éléments qui font l'unanimité. Une héroïne atypique, l'atmosphère rétro des années 60, un message féministe. Oui, mais encore faut-il avoir le tour de main pour éviter les écueils classiques du genre : en littérature, comme en cuisine – et comme en chimie – il suffit d'un faux pas pour que le soufflé retombe ; tout est une question de dosage.
 

"— Si je peux me permettre, dit-il poliment en montrant sa carte de presse, qu'est-ce que vous aimez dans cette émission ?
 — Être prise au sérieux.
 — Et les recettes ?
Elle lui jeta un regard incrédule. « Parfois, répondit-elle lentement, je pense que si un homme devait passer une journée à être une femme en Amérique, il ne réussirait pas à survivre au-delà de midi. »
La femme de l'autre côté lui tapota un genou :
— Préparez-vous à une révolution."

    Car Leçons de chimie aurait pu n'être qu'une simple romance ou un sage feel good book. D'ailleurs, on ne comprend qu'à moitié les critiques et articles qui résument le livre à ces deux étiquettes. Comme les avis qui le vendent sous la seule bannière du féminisme, label malheureusement devenu plus commercial que significatif d'une véritable intrigue de fond, parce que thématique dans l'air du temps et donc revendiquée à foison. Mais, voilà, Lessons in chemistry est bien plus que tout cela. Il y a tout d'abord l'écriture (et son excellente traduction en VF !), qui parvient à restituer avec une ironie mordante les années 1960, entre image d’Épinal et tableau au vitriol, mais aussi à donner corps aux différents protagonistes avec une étonnante justesse, jusqu'au personnage (car c'est un personnage) du chien, qu'on rêve tous d'avoir comme animal de compagnie. Cette justesse concerne bien sûr Elizabeth elle-même, qu'on ne se risquera pas à mettre dans une case, mais dont la personnalité très neuro-atypique élève le message du roman non pas seulement à la question de la place des femmes dans un monde d'hommes, mais à la place de tous ceux qui nagent à contre-courant dans un monde un peu trop bien ordonné. Un monde qui n'aime pas qu'on sorte du rang, bien entendu.

"La discrimination fondée sur la couleur de la peau n'est pas seulement scientifiquement ridicule, c'est aussi un signe de profonde ignorance."


"Le problème, quand on était pasteur, c'est qu'il fallait mentir plusieurs fois par jour. En effet, les gens avaient besoin d'être constamment rassurés sur le fait que tout allait bien ou que tout allait s'arranger, plutôt que d'être confrontés à l'évidence de la réalité, à savoir que les choses allaient mal et allaient empirer. La semaine précédente, par exemple, il avait célébré un enterrement ; l'un de ses fidèles était mort d'un cancer du poumon. Le message qu'il avait alors adressé à la famille , dont tous les membres fumaient comme des pompiers, était que l'homme était mort non pas parce qu'il fumait quatre paquets par jour mais parce que Dieu avait besoin de lui. La famille, soulagée, l'avait remercié pour ses paroles."

     Contre toute attente, parmi les autres éléments les plus réussis, il y a la construction de l'intrigue et ses revirements de situation, qui semblent toujours tomber à point nommé. Bonnie Garmus abuse-t-elle du Deux Ex Machina ? Très certainement. Et pourtant, sa maîtrise du tour de passe-passe ôte tout sentiment de facilité. Parce qu'elle parvient à intégrer parfaitement bien les hasards, coïncidences et petits miracles au canevas de son scénario, le tout s'apparente à un puzzle dont les pièces attendaient en fait depuis le début d'être assemblées les unes au bout des autres, comme une évidence. Et puis, parce que ce qu'elle raconte ne verse jamais dans le conte de fée, rien dans l'écriture de Leçons de chimie ne semble trop commode.


"C'est une chose d'être brillant, mais être brillant sans opportunité, c'en est une autre."

    En effet, loin de servir une histoire lisse, Bonnie Garmus n'hésite pas parler de traumas et à semer des embûches dans le parcours de ses personnages – car il est bien connu que la route de celles et ceux qui se sentent trop à l'étroit dans le costume des conventions est rarement bordée de roses. En dépit de l'originalité de son intrigue et du caractère parfois extraordinaire de certains rebondissements, l'autrice, probablement aussi pragmatique et réaliste que son héroïne, nous parle finalement de la vie telle qu'elle est : un chemin long et souvent sinueux, mais avec aussi de belles étapes et une ligne d'arrivée. Elizabeth Zott, attachante malgré elle, devient une héroïne inspirante qui nous donne envie de croire à la résilience aussi bien qu'à nos ambitions.
 

"La chimie est inséparable de la vie. Par définition, la chimie, c’est la vie. Mais comme votre tourte, la vie nécessite une base solide. Dans votre maison, c’est vous, la base. C’est une énorme responsabilité, le travail le plus sous-estimé au monde et qui, pourtant, assure la cohésion de l’ensemble."


En bref : Véritable coup de cœur, Leçons de chimie est un roman à la fois délicieux et inattendu. Chroniques aigres-douces d'une jeune femme aussi charismatique que neuro-atypique et à total contre-courant des patriarcales années 60, ce roman nous parle bien entendu de féminisme mais surtout de différence, d'irrévérence, et de résilience. Héroïne résolument inspirante, Elizabeth Zott nous invite à sortir de la case trop étroite dans laquelle on nous a enfermé (quelle qu'elle soit) pour prendre notre destin en main. La chimie comme la cuisine deviennent alors des métaphores pleines de sens, portées par une écriture dont la maîtrise force l'admiration. Une pépite à bien des égards, un livre qui touche comme il enchante.

vendredi 23 février 2024

Les journaux (pas si intimes) de Marion 2 : Ma vie géniale - Faustina Fiore.

Éditions Poulpe Fictions, 2024.

    Marion adore écrire et inventer des histoires, alors quand on lui propose de devenir la correspondante d’un élève étranger en remplacement de ses devoirs d’anglais, elle saute sur l’occasion : récolter une bonne note juste en rédigeant quelques courriers, c’est le bon plan assuré ! Et surtout, c’est une occasion rêvée de réinventer complètement son quotidien pas toujours passionnant. Dans ses lettres, Marion peut être qui elle veut : star de la musique ou orpheline en cavale, elle n’a qu’à choisir un personnage ! Son correspondant n’ira jamais vérifier qu’elle dit bien la vérité, n’est-ce pas ? Pourtant, plus le temps passe, plus elle se retrouve emmêlée dans ses mensonges... Avoir une double vie, ce n’est pas si facile !

***

    Tout récemment, nous avons partagé notre avis sur Les journaux (pas si intimes) de Marion, par Faustina Fiore. Après avoir mené deux journaux intimes en parallèle (le faux, à destination de sa mère, dans lequel elle se fait passer pour une petite fille modèle, et le vrai, où elle consignait ses noirs desseins et confiait ses plus mauvaises pensées), la jeune Marion Mirabelle s'est enfin assagie. Enfin, disons presque, sans quoi il n'y aurait pas d'histoire...
 


    Dans l'idée de bénéficier de points bonus pour faire remonter sa moyenne (pas très haute), Marion accepte de participer à un programme de correspondance avec des collégiens étrangers. La voilà donc contrainte d'envoyer régulièrement des mails à Béla, une adolescente hongroise qui s'efforce d'améliorer son français. Mais dès les premiers échanges, c'est le drame : Béla semble issue d'une famille d'aristocrates et vit à l'année dans un véritable palace, entourée de serviteurs ! Marion et sa vie de collégienne tout ce qu'il y a de plus commune ne peuvent décidément pas faire le poids. Aux grands maux les grands remèdes : Marion s'invente une vie de rêve. Se racontant fille de stars, richissime et cultivée, elle espère ainsi rabattre le caquet de cette insupportable petite princesse hongroise ! Mais jusqu'où ses mensonges la conduiront-elle ?


    Entreprise difficile que d'imaginer une suite au premier opus, tant il relevait d'un concept bien spécifique. Impossible aussi de servir aux lecteurs du réchauffé : le double journal intime n'ayant plus d'intérêt après la résolution du précédent roman, comment poursuivre les aventures de Marion ? Sans faire dans la redite, mais tout en restant dans la même veine (et dans la dynamique du personnage), Faustina Fiore imagine de nouvelles péripéties à double entrée. Exit le faux journal intime destiné à convaincre sa mère qu'elle était devenue la fille parfaite, cette fois, c'est à travers les mails à sa correspondante étrangère que Marion affabule. L'enjeu est donc, là aussi, différent, puisqu'il s'agit de tenir la comparaison avec une aristocrate apparemment bien plus chanceuse qu'elle.


    Du côté du lecteur, le suspense reste le même – mais c'est là la marque de fabrique de l'autrice : l'héroïne va-t-elle réussir à se tirer du pétrin dans lequel elle s'est embourbée toute seule ? Pour convaincre sa correspondante de ses mensonges, il faut lui envoyer photos et selfies la mettant en scène dans les situations idylliques qu'elle dit vivre tous les jours. Elle prétend rouler en voiture de collection ? Pas de souci : elle accompagnera son beau-père à son salon de l'automobile annuel pour s'y faire photographier à bord d'une antique Bentley ! Elle raconte qu'un grand bal costumé va avoir lieu en son honneur ? La solution est toute trouvée : elle s'invitera au cours de danse historique de sa super copine Nina pour y être filmée en plein quadrille ! Mais... et si toutes ces manigances l'amenaient finalement à faire de nouvelles découvertes ? Moins peste mais toujours aussi drôle, Marion surprendra lecteurs et lectrices plus d'une fois !
 

    Côté mise en image, on avait trouvé très chouette le design du premier tome, s'amusant de la mise en page façon journal intime avec gribouillis, surlignages colorés et fond à carreaux. Ce second tome joue là encore la carte du graphisme immersif : outre les aspects conservés du journal quand Marion se confie, les fenêtres de mails sont reproduites comme on les verrait à l'écran, avec adresses, objets et pièces jointes. Les dessins survitaminés de Sess sont toujours de la partie, avec des illustrations qui cherchent plus encore une complémentarité avec le texte. Extra !
 

En bref : Alors que le premier opus ne semblait pas appeler de suite, ce second tome des Journaux (pas si intimes) de Marion parvient à renouveler le concept avec efficacité. A notre sens meilleur que le précédent tome (si, si !), Ma vie géniale nous laisse même espérer une troisième aventure de cette héroïne qu'on adore détester !

Un grand merci à Poulpe Fictions pour cette lecture !



Et pour aller plus loin...

mercredi 21 février 2024

Les journaux (pas si intimes) de Marion - Faustina Fiore.

Editions Poulpe Fictions, 2023.
 
 
    Horreur : Marion a surpris sa mère en train de lire son journal intime ! Si c’est comme ça, elle aura deux carnets : un rose, officiel, dans lequel elle sera sage comme une image… et un noir, secret, où elle pourra enfin exprimer ce qu’elle a sur le coeur et raconter sa vraie vie. Sauf que son personnage de petite fille modèle devient vite difficile à gérer ! Comment faire pour inviter chez elle une (prétendue) meilleure amie qu’elle déteste, ou organiser un spectacle de théâtre… qui n’existe pas ?
 
Un roman drôle et décapant porté par une héroïne irrévérencieuse !
 
*** 
 
 
    Alors que vient de sortir la suite de ce roman paru chez Poulpe Fictions il y a déjà presque un an, on prend enfin le temps de sortir le premier opus de notre PAL. Le nom de l'autrice ne vous sera certainement pas inconnu : de Faustina Fiore, nous avons déjà lu et chroniqué les précédents romans, à savoir Les oiseaux noirs, mais surtout les deux tomes de la Famille Alonzi : Bobards et compagnie et Amours et compagnie (sans oublier ses nombreuses traductions de littérature jeunesse étrangère). Dans une interview qu'elle nous avait accordée en décembre 2022, elle nous parlait déjà de Marion et de son journal intime, sans savoir que son (anti) héroïne s'apprêtait à rencontrer un fort beau succès en librairie...
 

 
    Marion est une peste, ça ne fait aucun doute ; le genre de gamine à faire de mauvaises farces aux enfants dans les parcs ou à piquer de l'argent dans le porte-monnaie de ses parents. Bon, pour autant, cela ne justifie absolument pas que sa mère lise en douce son journal intime, n'est-ce pas ? Car quand la préado au caractère bien trempé la découvre plongée dans ses confessions les plus intimes couchées sur le papier, elle concocte un plan diabolique : elle tiendra un double journal intime. Un rose, que lira sa mère, dans lequel elle se fera passer pour le parfait petit ange, et un noir, dans lequel elle continuera d'exprimer ses côtés les plus obscurs. Si sa petite affaire fonctionne assez efficacement au début, les choses se compliquent progressivement : s'étant inventée une nouvelle meilleure amie d'une camarade de classe qu'elle déteste, comment faire lorsque sa mère lui propose de l'inviter à passer une nuit à la maison ? Quand à l'atelier théâtre fictif qu'elle utilise comme couverture pour sortir en douce, comment retomber sur ses pattes maintenant que sa mère (encore) insiste pour venir la voir jouer sur scène ? Tout semblait pourtant si simple...
 

    Avec le personnage de Marion, Faustina Fiore confirme son goût (et son imagination) sans fin pour les enfants facétieux et débrouillards. Ici, son héroïne est peut-être un cran (plusieurs ?) moins bien intentionnée que la fratrie Alonzi, toujours désireuse d'aider son prochain. Marion, elle, pense avant tout à sa poire – et après elle le déluge ! Marion est drôle, mais Marion mériterait aussi quelques baffes. Pourtant, on adore très rapidement la détester, peut-être aussi parce qu'elle incarne tout ce à quoi on ne se serait pas laissé aller enfant, parce que c'était mal. En cela, cette proche cousine de Mortelle Adèle a quelque chose de jubilatoire !
 

    Comme dans les romans de La famille Alonzi, l’héroïne de Faustina Fiore se met ici dans de beaux draps et tout l'enjeu du livre tourne autour de la question suivante : Marion va-t-elle réussir à retomber sur ses pattes ? Malgré les aspects les plus insupportables du personnage, on en vient finalement à espérer qu'elle s'en tire indemne. Si l'on se doute qu'elle finira par entrer dans le rang à vouloir composer entre vrai et faux journal intime, on brûle d'envie, à la lecture, de découvrir par quelles astuces ou pirouettes.
 

    Toute la facétie de cette histoire est parfaitement mise en image par les illustrations cartoonesques de Sess, dont les dessins et graffitis ornent ce livre mis en page à la façon d'un journal intime stabiloté ici ou là de rose fluo sur fond de feuille à carreaux. Un format qui n'est pas sans évoquer Journal d'un dégonflé  ou Journal d'une peste, deux séries face auxquelles Les journaux (pas si intimes) de Marion mérite largement son succès.

 
En bref : Deux journaux intimes et une gamine au caractère bien trempé sont les éléments fort de ce livre aussi tordant qu’irrévérencieux, habilement mis en image pas Sess. Avec Marion, on retrouve toute la fantaisie qui faisait déjà le sel des précédents ouvrages de Faustina Fiore.

samedi 10 février 2024

Mort en coulisses (Les enquêtes de Posie Parker #1) - L.B. Hathaway.

Murder offstage : A Posie Parker mystery #1
, Whitehaven Man Press (autoédition), 2014 - Éditions Eyrolles (trad. d'E. Urien & E. Plisson), 2024.
 
    Londres, 1921. Quand son ami d'enfance, après s'être fait dérober un diamant très particulier, devient le principal suspect dans une affaire de meurtre, la détective Posie Parker jure qu'elle blanchira son nom. Aidée de son assistant Len, Posie se rend vite compte que les apparences sont trompeuses, et que le monde glamour du théâtre et des boîtes de nuit londoniennes s'avère bien plus dangereux qu'elle ne l'aurait imaginé. Qui est exactement la dangereuse Lucky Lucy Gibson ? Et qui a-t-elle tué dans le hall de l'hôtel Ritz ? Et plus important encore, qui a bien pu kidnapper Mr Minks, son chat adoré ?
    Plongez dans une première enquête palpitante, en compagnie de l'irrésistible Posie Parker. Entre rires et frissons, vous deviendrez complètement accro !

***

    Son espionne royale, Une lady mène l'enquête, Les aventures de Lady Eleanor Swift, Les enquêtes de Ginger Gold... alors que les damoiselles de l'aristocratie anglaise des années 20 et 30 se réinventent si souvent apprenties détectives, la nouvelle représentante du cosy mystery british, elle, n'a pas de titre de noblesse ni de nom de famille à particule. Repérée de longue date en V.O., la série des Posie Parker mysteries semblait rencontrer un joli succès outre-Manche : écrite et initialement autoéditée par la Britannique L.B. Hathaway depuis 2014, elle met en scène une jeune enquêtrice professionnelle dans le Londres de 1921. Voilà qui nous change des héritières ! Très curieux de découvrir cette nouvelle héroïne, nous avons donc sauté sur l'occasion lorsque la sortie en V.F. a été annoncée chez Eyrolles et que la possibilité de découvrir ce premier tome s'est présentée.
 

    Chez Posie, donc, pas de palais ni de secrets d'alcôve, pas de bals ni de réceptions en grandes pompes chez les nantis. Cette jeune femme tout ce qu'il y a de plus prolétaire a ouvert son agence de détective privée après la Grande Guerre : son frère et son fiancé morts sur le front, son père décédé également, Posie ne peut compter sur personne d'autre qu'elle-même pour subvenir à ses besoins ; elle a donc investi toutes ses économies dans cette entreprise pourtant on ne peut plus risquée. Aidée de son assistant Len, c'est principalement grâce aux talents de ce dernier que le duo gagne tout juste de quoi vivre : expert en filature, il résout les cas de tromperie et d'adultère plus vite que son ombre. Posie, elle, rêve de grands mystères à élucider. L'occasion se présente enfin lorsque Lord Rufus Cardigon, amie d'enfance de son frère, l'appelle au secours. Accusé du meurtre d'un inconnu dans le somptueux décor du Ritz, le jeune homme s'est par-dessus le marché fait voler un très couteux diamant. La caillou se trouvait au doigt de sa fiancée, laquelle semble s'être évaporée dans la nature. Tandis que la presse à scandale s'empare de l'affaire et que la réputation des Cardigon est traînée dans la boue, Posie promet de laver l'honneur de son ami, mais aussi de retrouver la future épouse et le bijou.
 

    Alors que chaque éditeur tente de trouver "son" cosy mystery, cette nouvelle série, comme nous l'avons évoqué plus haut, a le mérité de s'affranchir du modèle désormais récurent de la lady détective. Bien qu'Agatha Christie soit mentionnée dans la bio de l'autrice comme étant l'une de ses grandes inspirations (mais pour quel auteur de romans policiers ne l'est-elle pas ?), l'ombre de la Grande Dame du Crime ne plane pas sur le livre de L.B. Hathaway. Si l'intrigue s'ancre bien dans le Londres des années 20, l'atmosphère et les rebondissements rappellent davantage le pulp à l'américaine (quoi que vu sous un jour plus léger). En effet, l'enquête conduit rapidement Posie dans le milieu des spectacles de variétés où l'envers du décor dissimule bien plus que les loges des artistes. Trafic de diamants, enlèvements et cabarets clandestins rythment ce premier opus.


    Mené tambour battant et assez bien construit, Mort en coulisses se laisse lire avec plaisir. On regrette qu'il ne donne pas plus à voir Posie dans sa toute première affaire, au moment de l'ouverture de son agence (lorsque le livre commence, la jeune détective est déjà installée et son premier "gros" dossier est résumé dans les premiers chapitres). La situation de l'héroïne est assez peu crédible au regard de son époque, surtout s'il faut rémunérer un assistant et une secrétaire en plus de se verser son propre salaire ; quand bien même l'autrice explique plusieurs fois que l'agence pourrait couler à tout moment, on n'aurait pas été contre voir Posie se débattre un peu plus dans le lancement certainement complexe de sa société pour finalement connaître les premiers honneurs.
 

    On pourrait reprocher à ce premier tome ses personnages encore un peu trop lisses, comme en attente de voir leurs contours s'affirmer. A ce stade de la série, ils sont davantage des silhouettes que de vrais protagonistes, exceptés Dolly, la costumière au caractère bien trempé qui vient en aide à l'héroïne dans son enquête et, surtout, l'antagoniste principal, qui a tout d'un Napoléon du Crime à la Moriarty (la révélation finale et la fin ouverte sont à ce titre parmi les meilleurs éléments de ce livre). Quant à Posie, elle présente à coup sûr un potentiel romanesque qu'on a hâte de voir se développer au fil des prochains tomes !


En bref : Une nouvelle série de cosy mysteries qui a le mérite de s'affranchir des modèles trop souvent lus et relus dans le genre. Exit les ladies détectives et les héritières désargentées : Posie est une jeune femme de son temps qui tente le tout pour le tout en ouvrant une agence professionnelle au cœur du Londres des années 20. Ce premier tome, qui évoque davantage le pulp américain ou le roman noir que le polar british traditionnel, réserve néanmoins son lot de surprises et se lit avec plaisir. On poursuivra la série avec joie !


Un grand merci aux éditions Eyrolles pour cette lecture !
 
 
 
Pour aller plus loin...
 

mercredi 7 février 2024

Nos adieux à Gwendalavir : bilan de nos fêtes dans les pas d'Ewilan...

 
En route pour 2024 !

    Alors que nous avons probablement repoussé jusqu'à leurs dernières extrémités les prolongations décemment envisageables pour des festivités hivernales, nous prenons enfin la résolution de clôturer nos publications thématiques, le programme des lectures à l'agenda étant arrivé à son terme.
    
    Comme décidé en toute dernière minutes il y a plusieurs semaines de cela, nous avons célébré Noël et l'entrée dans la nouvelle année aux couleurs d'Ewilan, héroïne dont les éditions Rageot fêtaient le vingtième anniversaire. La magie de Pierre Bottero a donc occupé le Terrier de mi-décembre à fin janvier (oui, enfin, en débordant un peu sur début février, mais qui s'en plaindra ?), à la fois dans le fond et dans la forme, c'est à dire autant dans nos lectures que dans la traditionnelle décoration annuelle...


    Après un article introductif, nous avons donc replongé dans les deux première trilogies de l'auteur (relisant tout exprès le premier tome, qu'on avait pourtant déjà chroniqué il y a dix ans) :
 

La quête d'Ewilan :




Les mondes d'Ewilan :



    Enfin, nous avons conclu ces chroniques thématiques par notre avis détaillé du guide officiel Sur les traces d'Ewilan, livre hommage dirigé par Tom Lévêque.


    Parmi les articles "hors série", nous avons partagé nos impressions sur Sherlock Holmes, l'aventure musicale, spectacle parfait pour les plus jeunes à l'occasion des fêtes. Toujours dans un autre registre, nous vous avions annoncé l'ouverture d'un concours d'écriture co-organisé par Bayard et l'école Généapsy, pour lesquels votre humble serviteur avait rejoint le jury de délibération. Le jury a justement délibéré il y a une quinzaine de jours et les résultats viennent d'être mis en ligne ICI. Nous vous laissons découvrir les textes des lauréats, plongées immersives dans leurs souvenirs de repas de noël, quelque part entre intimité et universalité.


    Le grand moment de ces festivités était bien sûr, comme tous les ans, notre article d'entre-deux fêtes et de vœux, célébrés comme prévu dans l'univers de Gwendalavir et de la première trilogie d'Ewilan, reconstitués sous forme de paper art.
 

 
    Pour la petite anecdote, nos créations ont suscité l'intérêt d'Andarta Pictures, la société de production qui adapte actuellement La quête d'Ewilan en série animée. L'équipe nous a contacté via instagram en janvier pour échanger avec nous et a relayé nos photos sur la page officielle de la série. Un grand merci à Andarta Pictures pour cette mise en lumière !


    Avant de vous quitter, nous remercions celles et ceux qui ont suivi le blog et ont pris plaisir, tout comme nous, à redécouvrir l'univers unique de Pierre Bottero. Et bien entendu, nous remercions chaleureusement Mya Rosa de Mya's Books, pour l'organisation du Challenge Christmas Time et pour la centralisation des liens des nombreux contributeurs (en particuliers des retardataires, hum).

    A l'année prochaine pour de prochaines fêtes hivernales au Terrier !

 

dimanche 4 février 2024

Sur les traces d'Ewilan - Un guide dirigé par Tom Lévêque.

Editions Rageot, 2023.

    Vingt ans déjà  ! En 2003, le premier tome de La quête d’Ewilan, D’un monde à l’autre, paraît chez Rageot. Deux tomes suivent, puis trois trilogies (Les mondes d’Ewilan, Le pacte des Marchombres, L’Autre) et plusieurs one-shots viennent élargir l’univers d’Ewilan et de Gwendalavir jusqu’à la disparition de Pierre Bottero en 2009. Depuis, son influence ne cesse de grandir. Aussi ce Guide explore les empreintes durables de ce succès et donne la parole à toutes celles et ceux, artistes, professionnel.le.s du Livre ou simples lecteur.rice.s, qui se revendiquent de ce formidable héritage. Ce livre anniversaire est plus qu'un hommage à cette première trilogie et à cet auteur incontournable dans le paysage de la littérature ado : c'est une quête sur les traces d'Ewilan et de Pierre Bottero. A travers une exploration de l'oeuvre, des témoignages de lecture, des réflexions sur les thématiques du livre et de nombreuses surprises, cet ouvrage analyse le pas sur le côté fait par le premier livre en 2003 (l'univers étendu sur plusieurs trilogies, la place prépondérante des personnages féminins, le territoire de l'Imagination ouvert par le Dessin...) et l'héritage que Pierre Bottero confie aux lecteurs et lectrices, auteurs et autrices, aujourd'hui.

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    Impossible de fêter les vingt ans de la saga Ewilan sans vous parler de cet ouvrage anniversaire paru tout spécialement pour l'occasion. En effet, l'événement, célébré comme il se doit par les éditions Rageot, a notamment donné naissance à ce livre porté par Tom Lévêque. Tom Lévêque, connu pour le binôme qu'il forme de longue date avec son jumeau Nathan, leurs blogs littéraires respectifs et, surtout, leur publication En quête d'un grand peut-être, consacré à la littérature ado. Déjà, dans ce dernier titre, les deux jeunes blogueurs/booktubeurs/bookstagrameurs/auteurs/éditeurs ne cachaient pas leur amour pour la saga de Pierre Bottero et Tom Lévêque a souvent évoqué Ewilan parmi les cycles qui l'avaient personnellement marqué. Nous ne sommes donc pas surpris de le retrouver à la tête de ce projet titanesque.
 

    Titanesque ? Oui, car bien plus que de proposer une relecture de l'oeuvre au filtre de ses souvenirs ou de sa seule appréciation, Tom Lévêque coordonne ici un travail quasi-universitaire, invitant plusieurs spécialistes de littérature jeunesse, enseignants chercheurs ou encore auteurs à analyser chacun une dimension du travail de Pierre Bottero selon l'angle de leur spécialité. Deux docteures en littérature, deux maîtres de conférence, une linguiste, une éditrice... et bien sûr, également, THE éditrice, Caroline Westberg, qui publia en son temps le premier tome d'Ewilan et qui accompagna Pierre Bottero dans cette grande aventure. N'oublions pas son épouse, probablement sa première partenaire et relectrice, qui fait également plusieurs incursions dans ce guide.
 

    Chaque intervenant s'emploie ainsi à montrer, à la lueur de son champ de compétences, en quoi Ewilan a révolutionné la littérature de fantasy jeunesse française : dans un contexte où chaque éditeur cherchait un peu son Harry Potter, Rageot est peut-être la première maison hexagonale à être parvenue à s'infiltrer dans la brèche ouverte par J.K. Rowling sans verser dans la redite. Comment ? La magie ne saurait y être étrangère, à moins que seule l'Imagination (avec ou sans majuscule ?) de l'auteur soit à l'origine de ce petit chef-d’œuvre aujourd’hui best-seller, une exception en matière de littérature jeunesse francophone.
 
    Outre la genèse de la saga, les différents chapitres de ce guide interrogent tour à tour ses spécificités, les inspirations de l'auteur, son style inimitable et ses envolées poétiques (ses bien nommés "botterismes"), la culture et la langue de Gwendalavir, le traitement de l'adolescence ou de la place des femmes... On réalise assez vite le caractère avant-gardiste de nombreux éléments, qui participent d'ailleurs certainement à rendre cette œuvre toujours aussi actuelle, même vingt ans plus tard. Les contributeurs évoquent la modernité de Pierre Bottero, que ce soit à travers le personnage de Salim (même si, à notre sens, le personnage antérieur de Bonnaventure dans la saga Arkandias d'Eric Boisset est ici quelque peu minimisé) ou la mise en avant des minorités en général.
 

    Ponctué ici et là de témoignages de lecteurs, Sur les traces d'Ewilan traite aussi des nombreux blogs, sites et forums nés sur la toile dans la foulée de la publication des romans et de l'impressionnante communauté de fans qui s'est alors créée, témoignant ainsi du rayonnement de l'oeuvre et des univers de l'auteur. Auteur qui, proche de ses nombreux admirateurs, n'hésitait pas à interagir avec eux via lesdits forums ou par mail, répondant aux questions et conseillant même avec chaleur ceux que la plume et la muse taquinaient. Parmi ceux-ci, de futurs auteurs en devenir, aujourd'hui publiés : l'occasion pour le guide d'aborder la littérature de fantasy française qui s'est développée dans la continuité d'Ewilan, marquant ainsi très distinctement un avant et un après Pierre Bottero.
 

    Rageot ne néglige pas la forme de cet ouvrage : le design de Sur les traces d'Ewilan n'est à ce titre pas sans rappeler celui d'En quête d'un grand peut-être, de même que la mise en page aérée et ses portraits d'intervenants. Coloré et agrémenté de nombreuses images, l'ensemble est visuellement réussi, très agréable à lire et à parcourir.
 

En bref : Un très bel ouvrage anniversaire pour fêter les vingt ans de La quête d'Ewilan, œuvre qui a fait date dans la littérature jeunesse de fantasy francophone. Dirigé par le passionné Tom Lévêque, ce livre propose, grâce à l’œil de nombreux spécialistes, une analyse approfondie de l'oeuvre de Bottero et de ce succès livresque tout hexagonal. Entre l'hommage et le commentaire universitaire, Sur les traces d'Ewilan est une fascinante plongée dans l'univers d'un auteur qu'on regrette profondément.
 
 


Et pour aller plus loin...

samedi 3 février 2024

Les mondes d'Ewilan #3 : Les tentacules du mal - Pierre Bottero.

Éditions Rageot, 2004, 2007, 2015, 2017 - Le livre de poche, 2013.
 
    Ewilan et ses compagnons poursuivent leur périple vers Valingaï avec une triple mission: rendre Illian à sa famille, retrouver Altan et Élicia Gil’ Sayan et anéantir la méduse qui s’étend dans l’Imagination. Ils traversent avec difficulté le désert Ourou et gagnent Hurindaï, une cité qui ne tarde pas à être attaquée et détruite par les armées de Valingaï. Les Alaviriens échappent de peu à la mort et reprennent leur voyage.  C’est à Valingaï, sur le sable des arènes, que le destin d’Ewilan, celui de ses amis, d’Éléa Ril’ Morienval et de la méduse, se croiseront une dernière fois dans une confrontation sans pitié. Une confrontation où la lumière sera faite sur le passé et où se jouera l’avenir du monde.

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    Le second cycle s'achève : après La forêt des captifs et L’œil d'Otolep, Les mondes d'Ewilan prend fin avec ce tome au titre évocateur, Les tentacules du mal. L'apothéose espérée sera-t-elle au rendez-vous ?
 

    On retrouve Ewilan et ses amis alors qu'ils traversent la Mer des Brumes et se préparent aux multiples dangers qui les attendent sur l'autre rive. Grâce à la première expédition de Bjorn et Mathieu à Valingaï, le groupe possède déjà quelques informations pour faire face aux embûches qui se dresseront sur leur chemin, notamment la connaissance des territoires et des créatures, encore plus sanguinaires qu'à Gwendalavir. Mais plus effrayant encore que les monstres, le conflit qui anime les peuples de cette surprenante contrée sera probablement le principal obstacle. Alors que les armées de Valingaï terrassent tout sur le passage, Ewilan et les siens doivent gagner la cité qui voue un dangereux culte au démon Ahmour, la méduse qui occupe désormais l'Imagination. Le pouvoir donné par l’œil d'Otolep à Ewilan sera-t-il suffisant pour faire face à cet ennemi d'un genre peu commun ?


    C'est avec un mélange de tristesse et d’excitation qu'on se lance dans ce dernier opus. Excitation car le suspense impeccablement maîtrisé par l'auteur depuis le début de cette seconde trilogie nous enthousiasme au plus haut point, en faisant un véritable page turner. Tristesse car avec ce titre se clôt l'une des meilleures sagas de littérature jeunesse jamais écrite. Il restera la trilogie Ellana à (re)découvrir, certes, mais le décès de Pierre Bottero nous rappelle que ses univers ont une fin et qu'on s'en rapproche dangereusement. C'est d'autant plus regrettable que ce tome, nous faisant voyager de l'autre côté de la Mer de Brume, amène à élargir la carte conçue pour la première trilogie et nous laisse rêveur face à toutes ces terres à explorer et à ces histoires que l'auteur ne pourra jamais raconter.
 
 
    Dense, riche en intrigues, particulièrement rythmé, Les tentacules du mal témoigne de la capacité de l'auteur a faire toujours mieux que l'opus précédent, challenge ici particulièrement ardu à relever que la secte d'Ahmour, le peuple de Valingaï et Ahmour elle-même s'imposaient depuis déjà deux tomes comme des ennemis invincibles. Challenge pour les personnages comme pour Pierre Bottero, d'ailleurs, la victoire se devant d'être à la hauteur des embûches qu'il a lui même semées. En la matière, il faut reconnaître que l'auteur use ici et là de quelques facilités et tours de passe-passe pour retomber sur ses pattes alors que tout semblait définitivement perdu pour les protagonistes. Ce n'est pas une nouveauté, cela lui est déjà arrivé par le passé et, comme à son habitude, il parvient à le faire avec assez de subtilité pour que le tout ait du sens, voire même que cela serve les intérêts de l'histoire. Comme toujours, son talent de conteur l'emporte.


    Outre la tension dramatique et le sentiment d'urgence qui habitent cet ultime tome, la psychologie des personnages prend plus de place encore ici que dans les opus précédents. L'auteur explore notamment les relations dans le groupe ou au sein des couples anciennement ou récemment formés : Mathieu et Siam, Ewilan et Salim, Ellana et Edwin, mais aussi les parents d'Ewilan, dont ce tome dévoile un secret particulièrement inattendu en lien avec Elea Rill' Morienval. Si cette révélation amène son lot de surprises, elle reste un ressort scénaristique peut-être un peu trop éculé. On sent la volonté de l'auteur d'épaissir le personnage de la sentinelle félonne, mais la situation qu'il tente de raconter ici aurait gagné à être amenée progressivement sur plusieurs tomes. Elle aurait également eut davantage de résonance si Pierre Bottero avait joué de l'effet miroir qui se dessine pourtant naturellement avec le triangle Ewilan-Salim-Liven.


    Cette légère inégalité dans le traitement des intrigues secondaires liées aux histoires sentimentales des personnages n'empêche en rien de profiter de l'aventure (ou des aventures, en l’occurrence) et le final tient ses promesses : nous l'avons, notre apothéose ! L'affrontement qui se tient à Valingaï est probablement l'une des meilleurs scènes de combat de toute la littérature de fantasy : chaque personnage y fait preuve d'un talent qui lui est propre pour mener le groupe à la victoire, non sans sacrifices, mais non sans humour non plus. Les ultimes chapitres, finement construits, nous permettent de reprendre notre souffle et nous apportent le baume nécessaire pour dire au-revoir à chacun d'entre-eux.
 

En bref : Final aussi explosif qu'émouvant, Les tentacules du mal vient clore la trilogie des Mondes d'Ewilan en apothéose. Outre une scène de combat particulièrement ingénieuse et mémorable qui mène les personnages à la victoire, on retient de ce livre la capacité de Pierre Bottero à toujours faire mieux que le tome précédent et à ne jamais craindre d'explorer des territoires inconnus, au sens propre comme au figuré. Pas de doute : le cycle d'Ewilan a mérité son succès.
 
 
 
 
Et pour aller plus loin...