La panique s'est emparée de certaines maisons de Londres. Depuis
quelques nuits, de vieux garçons se réveillent affolés : sous leurs
draps, ils découvrent un sabre, un carquois ou pire : un crochet ! Ces
messieurs très distingués ne sont autres que les Enfants Perdus du Pays
Imaginaire, les compagnons de Peter Pan. Et quelque chose s'est déréglé
dans le pays de leur enfance. Ils doivent y retourner. C'est le début
d'une incroyable aventure au cours de laquelle les Enfants Perdus
retrouveront Peter et Clochette... mais aussi un étrange directeur de
cirque.
***
"Les vieux Garçons prirent leur agenda et, sous la rubrique "A faire", ils écrivirent :
- Cesser d'être un adulte ;
- Réapprendre à voler ;
- Trouver de la poudre de fée ;
- Inventer un mensonge pour ma femme."
Dans la continuité de nos récentes lectures et chroniques sur l'univers de Peter Pan, il était difficile de ne pas aborder le cas de L'habit rouge de Peter Pan, un ouvrage qui a une place particulière dans toute la bibliographie qui a proliféré autour du personnage de James Barrie. En effet, on a pu vous parler au cours des années passées de livres comme Moi, Peter Pan (sublime!), Peter et la poussière d'étoiles, ou encore Le journal de Peter, mais le présent roman se distingue de ces réécritures, suites et préquelles par son caractère officiel. En effet, rappelons que les droits d'auteur de Peter Pan appartiennent tout entier au Great Ormond Street Hospital, hôpital pour enfants londonien auquel James Barrie lui-même les a cédés en 1929 ; ainsi, aucune publication ou adaptation de son œuvre ne peut voir le jour sans l'aval de l'établissement. Mais en 2004, peut-être influencés par la récente sortie au cinéma du Peter Pan de P.J.Hogan ou par le centenaire de la pièce de Barrie, les responsables de l'hôpital décident d'autoriser l'écriture d'une suite officielle à l'histoire originale et organisent pour cela un grand concours sous la forme d'un appel à textes. Geraldine McGaughrean, femme de lettres britannique et déjà auteure de plus de 120 livres pour la jeunesse, remporte la compétition sur la base d'un synopsis complet et du premier chapitre de ce qui deviendra L'habit rouge de Peter Pan, publié deux ans plus tard.
Couvertures originales illustrées par David Wyatt
"Un jeu échappe parfois à celui qui l'a inventé. Au Pays Imaginaire, c'est toujours le cas et les jeux ne sont pas des jeux, mais la réalité. C'est formidable. Ça met votre cerveau en ébullition, ça vous envoie des jets d'adrénaline et ça vous ôte la salive de la bouche. Tous les oiseaux sont des sorcières, les rondins des canons, les rideaux des fantômes et les bruits des monstres. Ce sont les moments les meilleurs, ceux dont on se souvient toute sa vie... Mais sacré nom, qu'est-ce que ça fait peur!"
L'histoire nous entraîne dans le Londres de 1929 : tous les personnages de Peter Pan, du moins les enfants Darling et les garçons perdus revenus vivre avec eux, ont grandi. Ils sont devenus clarinettistes, banquiers, médecins, parents... ou vieux garçons. Mais voilà que depuis quelques temps, leur vie bien rangée souffre de quelques réminiscences on ne peut plus intrusives : comme surgissant du passé, des bribes du Pays Imaginaire percent la frontière entre les deux mondes et apparaissent dans leur quotidien, rappelant la seconde étoile à droite à leur humble souvenir. sabres, longues-vue, tricornes... des objets sommes toutes anodins, mais quand un crocodile en chair et en os surgit de nulle part, les vieux garçons ne peuvent plus nier l'évidence. Tous décident de demander conseil à dame Wendy, devenue mère d'une petite Jane. La jeune femme est persuadée que les étranges manifestations sont la preuve d'un dérèglement du Pays Imaginaire et que tous doivent s'envoler pour aller voir ce qui s'y passe. Mais comment faire, quand on est devenu un adulte? Wendy a sa petite idée : puisqu'il est bien connu que "L'habit fait le moine", tous se rendent à Kensigton Garden vêtus des habits de leurs enfants, cherchant la fée qui naitra du rire d'un bébé en promenade avec sa nanny pour s'envoler à l'aide sa poussière magique. Aussitôt dit, aussitôt fait : les voilà redevenu enfants, dans un Pays Imaginaire qui a bien changé. L'été n'est plus et a cédé la place aux couleurs d'automne... Même Peter est désormais revêtu de feuillage écarlate. Car oui, Peter est toujours là, caractériel et immature! Mais peu importe, la bande à nouveau formée, tous oublient le but de leur voyage (car il en est ainsi de la mémoire, au Pays Imaginaire) et décident de partir en quête du trésor de feu le capitaine Crochet. Pour se faire, la joyeuse troupe monte à bord du bateau du défunt pirate et Peter, qui ne peut s'empêcher de jouer les chefs de bord, choisit de porter la redingote rouge de son pire ennemi... Et si, là aussi, "l'habit faisait le moine"?...
" Chaque fois qu'un homme souffre, son ombre augmente. N'avez-vous pas remarqué que je traîne derrière moi une ombre digne d'une fuite dans une usine d'encre?"
A voir tous les romans qui ont réinventé ou prolongé l'univers de James Barrie, on pourrait vraiment se demander ce que celui-là apporte de plus (outre son caractère officiel), ou en tout cas, en quoi il a retenu l'attention du jury. Il suffit du premier chapitre, proposé tel quel pour le concours, pour le comprendre : Geraldine McGaughrean est probablement la meilleure des faussaires. Pas de méprise, il s'agit ici d'un vrai compliment ; Peter Pan, outre son histoire, est un chef d’œuvre avant tout pour son écriture unique, le sens inné de James Barrie à faire vivre des images abstraites et donner corps à des métaphores. Ce talent qu'on pourrait croire inimitable, G.McGaughrean arrive à se l'approprier avec une aisance et une virtuosité qui laisseront interdits tous les admirateurs de Barrie...
Les retrouvailles entre Peter et Wendy, par D.Wyatt.
" Enfin, il leur donna des grades : Vice-Amiral, Vertu-Amiral, Quartier-Maitre, Kilo-Maitre, Gardien de Butin, Mousse, Lichen."
Il ne fait aucun doute que c'est cette incroyable capacité à se glisser dans les chaussons de l'auteur qui aura convaincu les relecteurs de lui accorder la lourde mission d'écrire cette suite officielle, hommage véritable et réussi à l'original. L'intrigue et ses péripéties s'inscrivent dans la lignée de l'imagination propre à James Barrie, à travers de nombreux clins d’œil ; en affirmant, contrairement au vieil adage, que "l'habit fait le moine", la romancière trouve là un leitmotiv de choix et vient parachever ce que l'auteur suggérait à la fin de son Peter Pan : le garçon qui ne voulait pas grandir, en s'attribuant la redingote écarlate de son ennemi, voit sa personnalité changer... jusqu'à devenir cet autre qu'il haïssait tant? Pour le savoir, il vous faudra lire le livre...
Illustration de D.Wyatt.
"A partir du moment où un enfant répond à la question : "Qu'as-tu envie de devenir quand tu seras grand?", il a déjà fait la moitié du chemin. Il a trahi l'enfance et s'est tourné vers l'Avenir. Il a rejoint le rang des employés de bureau, plumeurs de poulets et metteurs en boîtes qui scrutent les petites annonces dans les colonnes "Recherche d'emploi"."
Multipliant les surprises et offrant au lecteur de nouveaux éléments dignes du Pays Imaginaire (on savait jusqu'ici que les garçons perdus étaient les enfants tombés des landaus que poussaient leurs nourrices... on apprendra ici ce que sont devenues lesdites nounous!), G.McGaughrean, tout en restant respectueuse de l'ouvrage original (à UNE grosse erreur près : elle confond la main droite et la main gauche du Capitaine), n'oublie pas d'imaginer aussi des rebondissements et protagonistes plus actuels ou proches d'autres univers afin que ce texte, aussi officiel soit-il, ne soit pas qu'un simple exercice de style. Aussi le personnage d'Effilo, étrange directeur de cirque comme échappé d'un roman de Lemony Snicket ou d'un film de Burton, peut-il surprendre au départ, avant de prendre tout son sens dans cette nouvelle aventure.
Peter et Effilo, par D.Wyatt.
" Sa voix pénétrait en elle goutte à goutte, comme du sirop de mélasse sur un pudding."
Le tout est superbement mis en image par David Wyatt, dont l'édition française a conservé les silhouettes façon ombres chinoises en tête de chaque chapitre, comme un autre hommage de choix : le grand illustrateur Arthur Rackham, qui a en son temps illustré Peter Pan, affectionnait tout particulièrement cette technique. Il est impossible, vous en conviendrez, de ne pas voir la ressemblance, tant elle saute aux yeux...
Illustration de A.Rackham
"Même si grandir est un fléau et une malédiction, les adultes ont néanmoins un mérite : ils ne peuvent pas s'empêcher de se faire du souci pour ceux qu'ils aiment"
Illustration de D.Wyatt.
En bref : De l'écriture à l'intrigue en passant par le traitement des personnages, G.McGaughrean fait merveille avec cette suite qui aurait probablement suscité la fierté de James Barrie lui-même. Sans oublier d'imaginer sa propre histoire et de suivre ses propres idées, elle parvient à se glisser dans les chaussons de l'auteur et à s'emparer de sa plume pour un résultat enchanteur, troublant, profond et confondant de fidélité.
Et pour aller plus loin...