vendredi 25 août 2023

La maison aux sortilèges - Emilia Hart.

Weyward
, St Martin's Press, 2023 - Editions France Loisirs (trad. d'A.Delarbre), 2023 - Editions Les Escales, 2023.

    2019. Kate fuit Londres pour se réfugier dans une maison délabrée dont elle a hérité. Avec son lierre dégringolant et son jardin envahi par les mauvaises herbes, ce havre de paix la protège de son compagnon violent. Kate sent toutefois qu'un secret s'y tapit...
    1942. Alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage, Violet est cloîtrée dans le grand domaine familial, étouffée par les conventions sociales. Elle vit avec le souvenir de sa mère, dont il ne lui reste qu'un mystérieux médaillon et une inscription étrange sur le mur de sa chambre.
    1619. Altha connaît les secrets des plantes, savoir ancestral transmis de mère en fille. Nombreux sont les villageois à venir lui demander de l'aide. Pourtant, quand un fermier meurt piétiné par son troupeau, tous la pointent du doigt et l'accusent de sorcellerie.
 
Trois femmes extraordinaires séparées par quatre siècles.
Un roman captivant sur la puissance des femmes et le pouvoir de la nature.
 
***
 
    Annoncé en fanfare pour la rentrée littéraire de 2023, La maison aux sortilèges s'offre le luxe d'une double publication : l'une, officielle, en septembre chez Les Escales et l'autre, en avant-première, chez France Loisirs sous cette superbe couverture. Graphisme à l'esthétique végétale et titre accrocheur ont eu vite fait de retenir notre attention ; quant au résumé, il semblait conjuguer tout ce qu'on peut rechercher et aimer dans la veine du magic realism. Grand succès de la foire de Francfort 2021, ce premier roman de l'Anglaise Emilia Hart s'est apparemment vendu aux éditeurs du monde entier... De quoi susciter notre curiosité.
 

    Verdict ? Si La maison aux sortilèges n'est pas à proprement parler un "mauvais roman", il est loin d'avoir répondu à nos attentes. Doit-on en blâmer la publicité trop insistante, qui encensait littéralement ce livre ? Possible. Toujours est-il que si l'on peut tout à fait se laisser porter par l'histoire de ces trois femmes, on a l'impression d'avoir déjà lu et relu ce livre plusieurs fois (plusieurs fois et en mieux) tant le concept, au final, s'avère éculé.

    Nous en tenons pour preuve L'écho de ton souvenir, de Pamela Hartshorne, ou encore La mer en hiver, de Susanna Kearsley, deux récits d'inspiration historique aux doux relents de fantastique qui racontaient les destins croisés de femmes d’aujourd’hui avec leurs ancêtres du XVIème ou du XVIIème siècles. Alors, bien sûr, Emilia Hart ajoute une troisième période là où les textes de ses deux consœurs ne se concentraient que sur deux temporalités, mais quand bien même, il nous a été impossible de ne pas penser à ces deux titres. Si les thématiques diffèrent, les enjeux de la narration restent identiques. La construction en devient malheureusement très convenue et les ressorts de l'intrigue, prévisibles (à quelques éléments près cependant, nous voulons bien l'admettre). Toujours est-il qu'après quelques chapitres du roman d'Emilia Hart, on devine très vite la tournure des événements à venir et la résolution du livre.


    On pourrait alors objecter que notre ressenti est majoritairement influencé par nos lectures passées et que celles et ceux qui mettraient les pieds pour la première fois dans ce registre littéraire spécifique n'y verraient donc pas les mêmes défauts. Ce serait cependant sans compter les autres reproches que nous avons à formuler, et ce à notre grande déception. Tout d'abord, les différents contextes historiques racontés par l'autrice (l'Angleterre rurale du XVIIème siècle et la vie d'un manoir pendant la Seconde Guerre mondiale) sont restitués sous un jour extrêmement pauvre, qui semble assez peu nourri de recherches. Il n'y a pas de maladresses ou d'incohérences majeures, mais surtout parce qu'Emilia Hart prend peu de risques dans la restitution des différentes époques exploitées, créant par-là peu de possibilité de visualisation ou d'immersion. De la narration d'un procès de sorcellerie à la vie d'une famille d'aristocrates du milieu du siècle dernier, tout est extrêmement simpliste et on y a trouvé un réel manque de consistance. Les références à Shakespeare auraient pu, à ce titre, donner du corps et un souffle particulier au roman, mais là aussi, il semble surtout que l'autrice a vaguement survolé Hamlet et n'utilise que quelques citations placées de façon purement stratégique, sans cerner son essence profonde.


    S'ajoutent à cela des scènes et un enchainement de péripéties à l'élaboration artificielle : les actions et réactions des personnages sont souvent fabriquées, certainement pour permettre à l'autrice de faire avancer son intrigue dans la direction souhaitée, mais au détriment de toute vraisemblance. Cela heurte la fluidité de la lecture et donne souvent lieu à des scènes qui sonnent faux. Cette impression est renforcée par l'écriture : bien qu'il nous est impossible de dire si cela tient au texte original ou à sa traduction, le style de La maison aux sortilège se cherche un genre à grand renfort de métaphores éculées et de grandiloquences faciles mais sans réelle poésie.
 

    Enfin, que dire du propos de fond ? L'intrigue verse dans un féminisme de papier glacé nourri du stéréotype de la gentille sorcière en communion avec la nature et avec les femmes en général ; là encore, tout comme le traitement survolé du contexte historique, tout manque de corps. L'autrice tombe dans tous les écueils possibles, faisant de presque toutes les figures masculine de son roman des monstres de clichés (ou des clichés de monstres, c'est selon). Dans le genre, on est très loin derrière Alice Hoffman et son excellente saga des Ensorceleuses (Practical Magic).


En bref : Surfant sur la vague typiquement anglo-saxonne du magic realism, Emilia Hart nous conte une histoire de femmes et de sorcières sur trois époques différentes qui avait tout de prometteur. Si cette lecture satisfera probablement les néophytes du genre, les aficionados d'Alice Hoffman et les lecteurs de Pamela Hartshorne ou Susanna Kearsley seront, comme nous, certainement très déçus. Malgré de très belles promesses, La maison aux sortilèges tombe dans tous les poncifs possibles, que ce soit dans son scénario ou son écriture, ou encore dans son évocation d'un féminisme de surface. Dommage.
 
 
Et pour aller plus loin...
 

dimanche 13 août 2023

Loch Down Abbey - Beth Cowan-Erskine.


Loch Down Abbey
, Hodder & Soughton, 2021 - Éditions France Loisirs (trad. de A.Espenan), 2023 - Éditions Pygmalion, 2023.

    Écosse, années 30. Depuis six siècles, les hauts murs de Loch Down Abbey abritent la famille Inverkillen. Six siècles d'une vie de privilèges d'apparence immuables. Pourtant les finances sont au plus mal quand Lord Inverkillen est retrouvé mort dans de mystérieuses circonstances. Un accident pour la police, un meurtre pour Mme MacBain, la gouvernante en chef. Alors qu'une mystérieuse épidémie sévit dans le pays et interdit à quiconque d'entrer ou de sortir du domaine, la jeune femme ambitieuse et avisée décide de mener sa propre enquête. A l'étage, les maîtres, oisifs et désœuvrés, au rez-de-chaussée, les domestiques qui continuent à faire tourner la maison... Le coupable est forcément l'un d'entre eux. Mais rechercher la vérité, c'est aussi révéler des secrets et mensonges qui changeront à jamais la vie de la maisonnée. 

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    Repéré lors de sa sortie en VO, Loch Down Abbey, qui a rencontré un joli succès outre-Manche, arrive enfin dans l'Hexagone via une double publication aux éditions France Loisirs et aux éditions Pygmalion. Impossible de ne pas y voir le fils illégitime d'un épisode de Downton Abbey et d'une partie de Cluedo, tant cela semble suggéré par le titre, les visuels et le synopsis. Spoiler Alert : ceci est tout à fait volontaire !
 
 
    Loch Down Abbey est un gigantesque domaine situé en Écosse, sur les rives du Loch Down, aux abords de la rivière Plaid. Propriété de la famille Inverkillen depuis plus de 600 ans, les terres et l'imposant Manoir de Loch Down Abbey rassemblent tous les ans quatre générations de lords et de ladies sous le même toit, à l'occasion du bal de printemps des MacIntyre. Mais nous sommes au cœur des années 30 et en ce début de XXème siècle, la vieille noblesse perd de plus en plus de terrain : financièrement parlant, les coffres sont vides et symboliquement, cette famille ne représente plus rien. Dépassés, démodés et même totalement désabusés, les Inverkillen persistent à vivre comme par le passé, quitte pour cela à "manger la grenouille". Le petit-fils cadet, Fergus, a bien des idées pour remplir le compte en banque familial, mais elles sont jugées trop modernes par son frère ainé Angus et leur père Lors Inverkillen. Aussi, lorsque ce dernier est retrouvé noyé dans la Plaid à la suite d'une partie de pêche, Angus hérite du titre de comte et reprend les affaires de feu le patriarche. La faillite est totale et les Inverkillen courent à la catastrophe : même l'héritage ne sera pas d'une aide suffisante, car les frais de succession, exorbitants, sont très au-dessus de leurs moyens. Alors que les maîtres se chamaillent à l'étage, les domestiques, à l'entresol, s'interrogent : le décès de Lord Inverkillen est-il vraiment accidentel ? Mme MacBain, jeune et perspicace gouvernante, très observatrice, n'a pas manqué de relever quelques éléments qui ont échappé à la police. Mais alors qu'une étrange épidémie oblige tout le monde à se cloîtrer à demeure, le manoir, sous les effets du confinement, voit remonter à la surface de vieux secrets de famille et devient le théâtre d'une véritable crise des classes sociales.
 

    Tout dans ce Loch Down Abbey nous laisse donc imaginer un whodunit à l'Anglaise comme on les aime. Il apparait au fil de la lecture que ce roman est à la fois tout autre chose et aussi bien plus que cela, égrainant au passage quelques belles surprises pour le lecteur qui pensait le registre de ce livre très défini et son cadre, très calibré. S'il y a bien une mort suspecte et une gouvernante qui s'interroge, on est loin d'une enquête classique : le personnage de Mme MacBain ne s'improvise pas détective et le roman ne la suit pas, loupe à la main, à la recherche d'indices. Ce qui est mis au premier plan de cette fiction au regard quasi anthropologique, c'est le clan Inverkillen. L'état des lieu de la famille et la liste des personnages, en début d'ouvrage, est par ailleurs nécessaire pour identifier chacun de ses (nombreux) membres, car les multiples ramifications peuvent rendre difficile la mémorisation de chaque personnage (surtout pour différencier les incalculables sœurs et belles-sœurs). Cette famille particulièrement charismatique, composée d'individus pas tous très fréquentables mais toujours hauts en couleurs, est la thématique première de Loch Down Abbey. Ça, ainsi que les nombreuses conséquences qu'entraîne le décès soudain du patriarche sur ce petit microcosme enfermé dans sa tour d'ivoire : trahisons, disputes, jalousie, dissimulations et autres crises de toutes sortes. L'autrice dissèque les relations familiales d'une noblesse en grande perte de vitesse, offrant des portraits au vitriol que n'aurait pas renié Nancy Mitford.


    La narration est au profit du sujet : choisissant d'entremêler écritures omnisciente et  homodiégétique (un pari on ne peut plus risqué), Beth Cowan-Erskine raconte la vie du manoir comme le ferait un réalisateur avec un long plan séquence. La caméra suit un personnage (son point de vue, ses ressentis, ses émotions) puis en change lorsque deux protagonistes se croisent au détour d'un couloir. Audacieuse et bien menée, cette façon d'utiliser les différents points de vue permet d'approcher chaque membre des Inverkillen et de la domesticité, de croiser les regards et les impressions des uns et des autres tout en permettant progressivement d'en sonder la psychologie. Au rythme du train de vie d'une grande maison de haute noblesse, cela participe à densifier l'impression de fourmilière, très propice aux whodunits à grande échelle aussi bien qu'aux récits mettant en scène les rouages de la domesticité.
 

    Il y a également dans Loch Down Abbey un côté pastiche assumé, dimension que Beth Cowan-Erskine distille cependant avec subtilité pour ne pas sombrer dans la parodie trop facile. Cela se ressent notamment via les jeux de mots (Loch Down signifie "confinement") et les clins d’œil (L'un des chiens de la famille se nomme Grantham), mais surtout par les effets du Covid 19 sur l'intrigue. Écrit en pleine pandémie, Loch Down Abbey raconte un confinement similaire à celui que nous avons connu en 2020, mais que l'autrice imagine dans la région des Highlands où elle situe son histoire. Cloîtrant ainsi ses personnages dans leur manoir, elle accentue l'effet huis clos de quelques scènes sujettes à sourire : le port du masque et les pénuries alimentaires (ou de papier toilette) entrainent chez les Inverkillen des réactions aussi drôles et démesurées que réalistes, que le lecteur reconnaîtra certainement pour peu qu'il ait bonne mémoire.
 
Impossible, également, de ne pas penser à Gosford Park, à la lecture de ce livre !

    Moins idyllique que Downton Abbey pour ce qui est de présenter les relations entre maîtres et valets, Loch Down Abbey relate la fin d'une ère d'une aristocratie incapable de s'adapter au changement, obligée de se salir les mains pour survivre en temps de crise. Tout le sel du roman vient sans doute de là, et des scènes savoureuses que l'autrice prend un plaisir évident à raconter. Davantage roman d'intrigues que roman policier, ce premier livre de Beth Cowan-Erskine offre une chute on ne peut plus inattendue au lecteur, à la hauteur de cette fiction piquante et rythmée.


En bref : Présenté comme un croisement entre Downton Abbey et un jeu de Cluedo, Loch Down Abbey, davantage roman d'intrigues que véritable whodunit, n'en reste pas moins un fabuleux et savoureux portrait d'une noblesse en fin de règne. Imaginant une famille de l'aristocratie écossaise des années 30 cloîtrée chez elle à cause d'une pandémie (toute ressemblance avec des faits réels est fortuitement fortuite), l'autrice dissèque à la fois les effets des crises sociale, sanitaire et familiale qui se superposent, alternant son tableau quasi sociologique entre les upstairs et les downstairs. Un régal relevé d'un humour so british.
 




Et pour aller plus loin...

mardi 1 août 2023

Meurtre à l'anglaise (Les aventures de Lady Eleanor Swift #1) - Verity Bright.

A very English murder (A Lady Eleanor Swift mystery #1)
, Bookouture, 2020 - City éditions (trad. de J.Barsse), 2022 - City poche, 2023.

    Alors qu’elle a passé des années autour du monde, à prendre le thé en Chine, à croiser des alligators au Pérou ou à échapper à des bandits en Perse, Eleanor Swift est obligée de rentrer en Angleterre. Son oncle vient de décéder en lui léguant un vieux manoir familial, avec son personnel attentionné et ses secrets. C’est un changement de vie total dans une campagne bucolique, très tranquille pour une jeune aventurière. Tranquille ? Pas tant que ça. Lors d’une promenade nocturne pour découvrir les environs, Lady Eleanor aperçoit au loin un homme que l’on assassine. Le temps d’arriver sur place, le meurtrier a disparu… et la victime aussi ! Elle est sûre de ce qu’elle a vu, mais un meurtre sans cadavre, n’est pas un meurtre et la police locale prend la jeune lady pour une illuminée. Pas le choix, Eleanor doit découvrir ce qui se trame. Et lorsque sa vénérable Rolls-Royce est sabotée, elle sait qu’elle est sur la bonne piste : le meurtrier l’a dans sa ligne de mire… 
 
Une jeune lady fantasque. Un meurtre carabiné. Un cosy mystery best-seller
 
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     Après Une lady mène l'enquête et Les enquêtes de Ginger Gold, nous continuons notre tour d'horizon des ladies détectives dans la lignée de Son espionne royale et des Folles enquêtes de Phryne Fisher. Au menu aujourd'hui : Lady Eleanor Swift, petite dernière dans la grande famille des cosy mysteries qui mettent en scène une héritière de noble famille britannique prête à défier le crime dans la Grande-Bretagne de l'entre-deux guerres. Commencée en 2020, la série des Lady Eleanor Swift mysteries compte déjà à son actif quinze tome en VO ! Derrière le pseudonyme de Verity Bright se cache en fait un couple d'auteurs qui écrit à quatre mains depuis plus de vingt ans. A l'inverse des livres mettant en scène Olive Belgrave et Ginger Gold, les ouvrages de Verity Bright ne sont pas issus de l'autoédition, mais ont été publiés outre-Manche par Bookouture, filiale britannique de Hachette.
 

    Orpheline depuis l'enfance, Lady Eleanor Swift a grandi en pension avant de voyager de par le monde dans les contrées les plus dangereuses comme les plus inattendues pour le compte d'un éditeur de guides touristiques. Bien loin des mondanités associées de coutume à son titre, la jeune femme doit cependant revenir sur sa terre natale lorsque son oncle Lord Henley décède brutalement, lui cédant au passage le manoir familial et une armée de domestiques à sa tête. Pas très à l'aise dans ce décor qu'elle n'a pas vu depuis son adolescence, Eleanor préfère arpenter le domaine en chaussures de marche que se prélasser en négligé dans le boudoir. A peine arrivée, elle fuit l'austérité du majordome pour une promenade revigorante... en pleine orage. Bientôt égarée, la jeune lady se retrouve au beau milieu d'une carrière où elle assiste à... un meurtre ! De retour au manoir, Eleanor met tout en œuvre pour alerter les forces de l'ordre, mais il semble que le cadavre ait disparu et qu'il ne subsiste aucune trace d'un crime quelconque. Bien décidée à faire la lumière sur ces étranges événements, la jeune héritière s’improvise détective. Sur son vélo, elle parcourt les petites routes de campagne pour interroger les suspects, aidée dans son enquête par deux assistants inattendus : Gladstone, le bulldog du manoir, et Clifford, le pourtant très austère majordome.
 
Vous aussi, vous voyez double ?

    Avec ses lignes Art Déco et cette silhouette Haute Couture élancée, difficile de ne pas penser aux couvertures de Son espionne royale dans leur première mouture. Pour autant, Lady Eleanor Swift n'est pas une pâle copie de Lady Georgiana de Rannoch. Si elle est parfois aussi gauche que son aînée, elle n'a pas ses problèmes financiers et évolue dans un univers beaucoup mois proche de la couronne britannique. Avec son manoir perché sur une butte au-dessus d'un petit village tout ce qu'il y a de typiquement british, on se sent chez Eleanor comme dans un épisode de Downton Abbey (les malfrats en plus). Cette héroïne est moderne, peut-être parfois un peu trop, mais le duo d'auteurs parvient à le justifier en s'appuyant sur le passé hors du commun du personnage. Après ses jeunes années à arpenter le monde pour le compte d'un éditeur de guides touristiques, Eleanor est loin de cocher toutes les cases de la parfait héritière, ce qui est sujet à quelques scènes assez drôles et explique qu'elle se mette souvent dans le pétrin.
 

    Aussi, le background du personnage n'est peut-être pas tout à fait vraisemblable, mais Verity Bright parvient à retomber sur ses pattes et à amener les éléments qui permettent d'y croire. D'un point de vue historique, il y a en effet quelques petites coquilles qui feront tiquer les lecteurs les plus exigeants : alors que l'intrigue se déroule deux ans après la fin de la Première Guerre mondiale, il semble que le paysage anglais regorge d'hommes (parfois même très jeunes), comme si personne n'était parti combattre. L'ombre de la guerre n'est par ailleurs quasiment pas abordée, même si les auteurs se rattrapent au milieu du roman en ajoutant quelques détails en ce sens. La seule autre approximation que nous avons remarquée, c'est Lady Swift qui se rend à une soirée mondaine avec l'une des robes de sa mère, ce qui n'est absolument pas envisageable dans son milieu à une époque où la mode n'a eu de cesse d'évoluer : se présenter à un dîner en 1920 avec une robe de 1900, c'est comme si Miss Fisher allait danser vêtue en corset et col montant en dentelle...
 

    Côté intrigue, il faut passer la première moitié du livre, le temps que se pose le décor, pour que le roman prenne son rythme de croisière. Cela en vaut la peine car après avoir meublé le temps en dialogues à sens unique avec son chien, c'est finalement avec le majordome qu'Eleanor devise du meurtre et poursuit l'enquête. Le roman nous offre alors ses passages les plus savoureux : les dialogues entre la jeune femme et son domestique, flegmatique jusqu'au bout de sa queue de pie, sont un véritable régal. Cela fonctionne d'autant plus que le personnage nous semblait réellement antipathique dans les premiers chapitres et qu'on apprend peu à peu, à l'image de l'héroïne, à revoir notre jugement. Verity Bright tisse également en parallèle de l'enquête une trame de fond concernant les activités de feu Lord Henley, qui attise la curiosité du lecteur et se devine comme leitmotiv à venir des futurs tomes.

 
    L'énigme policière ne relève pas des whodunits auxquels on est habitué dans ce genre d'ouvrage et, en cela, n'est peut-être pas aussi palpitante que les Cluedo qu'on adore. On suit essentiellement Eleanor sur son vélo ou dans la Rolls conduite par Clifford à travers la cambrousse pour tenter de reconstituer les événements de ce crime – qu'on pourrait presque croire complètement imaginé puisqu'il n'en reste aucune trace. Cela a cependant le mérite de renouveler un peu le genre, bien que la construction soit parfois quelque peu laborieuse et que l'enquête manque par moment de fluidité. La révélation finale est cependant bien amenée, grâce à une tactique assez savante du duo d'enquêteurs pour pousser le coupable à se dévoiler.
 

En bref : Une nouvelle lady détective a rejoint les rangs du cosy mystery ! Ni copie de Son espionne royale, ni plagiat des Folles enquêtes de Phryne Fisher, Les aventures de Lady Eleanor Swift nous offrent un premier tome sympathique et rythmé, porté par un duo d'enquêteurs inattendu mais savoureux. On aura grand plaisir à découvrir les futurs tomes de cette série.
 
 
Et pour aller plus loin...
 

Un squelette dans le placard (Une enquête de Ginger Gold #1) - Lee Strauss.


Murder at Hartigan House (A Ginger Gold Mystery #2)
, La Plume Press, 2017 - City éditions (trad. de B.Domis), 2021 - City poche, 2022.
 
    Après des années passées en Amérique, Ginger Gold, jeune veuve un peu excentrique, est de retour à Londres pour vendre sa maison d’enfance. Un séjour banal qui se complique quand Boss, son petit chien, découvre le corps momifié d’une femme dans le grenier. Shocking ! Qui est la victime ? Depuis combien de temps est-elle là ? À ses risques et périls, Lady Gold se lance dans une délicate enquête aux côtés de sa dynamique dame de compagnie et du séduisant inspecteur Basil Reed. Les indices semblent tous converger vers une soirée organisée dans la maison dix années plus tôt. Ni une ni deux, pour enfin lever le voile du mystère, Ginger décide d’organiser une nouvelle soirée, en invitant les mêmes convives que dix ans auparavant. Une idée géniale ? Pas sûr, car avant la fin de la soirée, un nouveau meurtre est commis…
 
Délicieusement british : une irrésistible série de cosy mysteries ! 
 
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    Après Son espionne royale et Une lady mène l'enquête, nous avons décidé de consacrer une partie de nos lectures estivales à ces ladies des années 20 et 30 qui s'improvisent détectives. On avait assisté à l'avènement tardif du cosy mystery dans l'Hexagone grâce à Agatha Raisin : après l'arrivée de cette héroïne à mi-chemin entre Patsy Stone et Barnaby, la recette avait tellement pris qu'on avait pu voir ses doubles et des ersatz divers pulluler un peu partout chez les éditeurs concurrents (Les enquêtes de Vicky Hill, Les mystères de Honeychurch, Les enquêtes de Jody Parker...). Dans la foulée de Son espionne royale, on avait également pu assister en librairie à une éclosion d'héritières londoniennes plus ou moins désargentées prêtes à en découdre avec les criminels. Dans le genre, outre donc les séries de Rhys Bowen et Sara Rosett, nous avions, bien avant cette mode tout à coup omniprésente, savouré Les folles enquêtes de Phryne Fisher, qui jouaient là aussi la carte de la lady détective, mais en Australie. Après avoir hésité à découvrir cette Ginger Gold qu'on avait vu passer maintes fois sur le net en VO puis en VF, nous avons finalement tenté l'expérience.

Booktrailer officiel des romans.

    Angleterre, 1923. Après avoir vécu plusieurs années à Boston en compagnie de sa belle-mère et de sa demi-sœur, Lady Ginger Gold revient finalement sur son sol britannique natal. Entre temps, elle s'est mariée, est devenue veuve, et a même travaillé pour les services secrets pendant la Première Guerre mondiale. Lorsqu'elle débarque à Londres avec son chien Boss et son amie Haley Higgins – infirmière s'apprêtant à entamer des études de médecine – personne n'a remis les pieds dans la maison de feu son père depuis 1913, date à laquelle il l'a fermée pour s'envoler pour les États-Unis. Quelques domestiques de l'époque reprennent leur service auprès de la famille Gold alors que Ginger réinvestit les lieux : Pippins, le majordome, et la cuisinière, Mme Thornton. Mais Hartigan House n'est semble-t-il pas restée inhabitée pendant toutes ces années : dans l'une des chambres des domestiques, on retrouve le cadavre presque entièrement décomposé d'une femme en robe rouge. De rapides vérifications confirment à Ginger qu'il s'agit très probablement d'une des invités de la dernière soirée donnée en ces murs dix ans plus tôt... et que son père pourrait potentiellement être le coupable. Afin de laver l'honneur de sa famille, Ginger s'improvise enquêtrice pour résoudre ce mystère vieux de dix ans. Pour cela, elle provoque une nouvelle soirée à laquelle elle invite tous les convives présents sur les lieux en 1913... ainsi que l'inspecteur Basil Reed, qui n'est pas insensible au charme de la jeune femme...
 

    Autoéditée via la société canadienne La Plume Press (équivalent d'"éditeurs" tels que Librinova ou Edilivre en France), la série des Enquêtes de Ginger Gold rencontre semble-t-il un beau succès outre-Atlantique. Comme beaucoup de séries autoéditées qui le revendiquent comme un label, elle serait par exemple Best-seller du USA Today et rassemblerait une communauté de lecteurs assez importante dans les pays anglo-saxons. Autrice de plusieurs autres séries autoéditée, Lee Strauss, apparemment très productive, compte à sa bibliographie un nombre impressionnant de titres en peu de temps. Mais quantité est-il synonyme de qualité ?
 
 

    A la fin de cette première lecture, nous avouons être un peu mitigé. Abordons tout d'abord la question du packaging : s'il est bien évidemment criminel de juger un livre à sa couverture, il est parfois tout aussi difficile d'ignorer la couverture lorsque celle-là même est criminelle. En l’occurrence, l'éditeur français a choisi de conserver le visuel de l'édition originale. Fausse bonne idée. L'autrice remercie en postface la personne chargée du graphisme de sa couverture pour son "travail impeccable" : on ne discutera pas des goûts et des couleurs, mais on ne peut pas dire que le design respire l'élégance qui sied de coutume à ce type de roman. Une version alternative des couvertures en VO présentait un fond similaire et le visage d'une Ginger Gold très Art Déco dans une pastille, pour un résultat plus stylisé qui aurait sans doute été un meilleur choix.
 

    Après le contenant, abordons la question du contenu. Lee Strauss a avoué à plusieurs reprises avoir été très inspirée par Les folles enquêtes de Phryne Fisher ainsi que leur adaptation en série télévisée (Miss Fisher enquête !), tout en se défendant d'avoir plagié son autrice, Kerry Greenwood. Faute avouée, à moitié pardonnée ? Si certains détails du passé de Ginger s'éloignent de celui de Phryne (Ginger ne cumule pas les amants, a été mariée puis veuve, a travaillé pour les services secrets, etc.), les quelques différences restent minimes. Son retour au bercail en début de roman, son amie médecin, sa femme de chambre, sa relation ambiguë avec l'inspecteur et leur jeu du chat et de la souris... sans oublier une comtesse douairière très à cheval sur les convenances, qui évoque évidement Tante Prudence (et aussi beaucoup Lady Grantham de Downton Abbey). Ceci étant, ces ressemblances restent pour les nostalgiques de Miss Fisher la promesse d'une ambiance similaire et constituent en cela un moteur suffisant à la lecture. L'intérêt se situe alors dans les dialogues et plusieurs scènes habitées d'un humour léger qui garantissent de passer un bon moment.


    La maîtrise du contexte historique est cependant fragile chez Lee Strauss (là où Kerry Greenwood, elle, excelle). Cela se joue à un ensemble de détails, certes, mais Dieu sait que le Diable se cache dans les détails. Porter une robe charleston à une soirée mondaine ? Être titulaire d'un titre de noblesse et ouvrir une boutique comme n'importe quelle roturière ? Se clamer haut et fort membre des Bright Young Things ? Des erreurs scénaristiques qui privilégient le tape-à-l’œil à la véracité et qui témoignent d'une méconnaissance du système de classes britannique et de certains de ses codes au tournant des années 20, et ce bien que l'autrice ait d'après sa postface fait de nombreuses recherches. Ces éléments ne seront peut-être pas remarqués par la plupart des lecteurs, mais les plus exigeants, fins connaisseurs de la culture anglo-saxonne, tiqueront à plusieurs reprises.
 

    Côté intrigue, ce Squelette dans le placard se laisse malgré tout lire sans déplaisir, même si l'énigme est assez transparente. Le concept de rejouer la soirée du meurtre dix ans plus tard est assez romanesque pour en faire un élément capital du roman, bien que l'enquête en elle-même n'échappe pas à certaines invraisemblances : interrogés par Ginger sur les événements de 1913, tous les suspects semblent s'en souvenir comme si c'était hier. Les férus de polars devineront certainement la clef de l'énigme avant sa révélation finale, mais se laisseront quand même porter jusqu'à la fin. A noter que ce premier tome paru en France est en fait le second de la série : quelques informations concernant une enquête menée à bord du paquebot qui a conduit Ginger en Angleterre font en fait référence à l'opus précédent (Meurtre en haute mer, sorti après coup chez City éditions et présenté comme un préquel) ; cela ne gène en rien l'immersion dans cet opus-ci.


En bref : Premier tome à paraître en France des Enquêtes de Ginger Gold, Un squelette dans le placard s'inscrit dans la lignée très en vogue des cosy mysteries mettant en scène une lady qui s'improvise détective. Autoéditée au Canada, cette série souffre de visuels qui ne trompent pas quant à la nature éditoriale de ces romans, mais propose un contenu sympathique à défaut d'être totalement original. Très inspiré de la série Miss Fisher enquête !, ce premier opus de Ginger Gold reste plaisant malgré les approximations dans la reconstitution historique et les nombreux éléments empruntés à l'univers de Kerry Greenwood. Les lecteurs qui cherchent un pure moment de détente seront satisfaits.
 
 
Et pour aller plus loin...