Baba, macarons, Parfait Amour... Nous n'avons pas encore fini d'explorer les gourmandises d’Émilie du Châtelet, femme de sciences et de lettres des Lumières. Petit rappel : Émilie, longtemps restée dans l'ombre de Voltaire dont elle fut la maîtresse, était une femme avant-gardiste à plus d'un titre : scientifique et philosophe, elle était aussi une féministe avant l'heure dont les connaissances et les capacités intellectuelles surpassaient de beaucoup les hommes de son époque. La redécouverte de ses archives privées en 2012 a permis de la replacer sur le devant de la scène et de mettre en lumière qu'elle n'avait pas seulement été la muse de Voltaire mais, par bien des côtés, son pygmalion... et ce même si l'Histoire (ou ceux qui l'ont écrite) a depuis inversé les rôles.
La marquise du Châtelet, d'après M.Loir.
Émilie était aussi une femme de goût, dont la publication des archives a pu révéler un peu plus l'art de vivre au quotidien, en particulier en son château de Cirey. Or, en ce domaine, les archivistes ont pu mettre à jour les nombreuses factures alimentaires et le cahier de recettes du château, venant ainsi nous renseigner sur tout un pan de l'histoire domestique de la divine Émilie.
Parmi ces feuillets, toute une page est consacrée aux confitures, dont une toute particulière : le cotignac...
Mais parlons d'abord de confitures. Les toutes premières confitures apparurent probablement dans l'Antiquité : elle se préparaient à l'époque en cuisant des fruits dans du miel, du sirop, ou du vin ; il s'agissait davantage d'une méthode de conservation des fruits qu'une recette en elle-même. Ce n'est qu'avec le temps que la confiture est apparue comme une gourmandise à part-entière : le terme nait au Moyen-Âge ou à la Renaissance pour désigner toutes les confiseries cuites (dont les ancêtres des bonbons qui, préparés à l'époque à base de fruits et/ou de plantes, visaient un objectifs médicinal) avant d'être associé dès le XVIIème siècle à des pâtes à tartiner de fruits cuits.
Planche de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.
C'est au XVIIIème siècle que l'attrait pour la confiture telle qu'on la connait explose. En effet, les produits venus de Nouvelle France viennent affiner la recette "définitive" : le miel, jusque là utilisé, est remplacé par le sucre venu des colonies. Dès lors, la confiture devient un produit de luxe que l'on s'arrache dans les palais : pâtes de fruits, fruits confits, et confitures, ces mets aux confections très proches relèvent désormais du plus grand chic culinaire!
Et le cotignac, me direz-vous? A la base, il s'agirait d'une gelée de coing inventée au Moyen-Âge dans la ville de Cotignac (Var), par un apothicaire d'après une recette médicinale antique. Il aurait perfectionné sa recette quelques temps plus tard, après s'être installé dans la ville d'Orléans où il l'aurait largement diffusée. Ainsi serait né LA spécialité de la ville, le cotignac d'Orléans, pâte de coing aussi appelée confiture d'Orléans, dans laquelle le fruit est mélangé à du vin doux et parfois à du colorant de cochenille pour lui donner une couleur rubis.
Mais comme toutes les recettes traditionnelles et autres spécialités régionales, celle du cotignac voyage et connait des évolutions. Ainsi, de la célèbre quiche lorraine sont nées quantités de quiches différentes par delà l'Europe ou encore, la traditionnelle madeleine de Commercy dut très tôt livrer concurrence aux madeleines de Liverdun. Il en va de même pour le cotignac, dont la recette s'est certainement transmise dès sa création de cuisinière en servantes, et de servantes en pâtissiers à travers le pays.
Aussi trouve-t-on une variante de la confiture d'Orléans dans le livre de cuisine du château de Cirey, un cotignac à base de vin blanc et d'épices, elles aussi rapportées des colonies de Nouvelle France. La recette ci-dessous reprend très fidèlement celle de Cirey en l'adaptant aux techniques de cuisson modernes.
Cuisines du château de Cirey.
Ingrédients:
-1 kg de coings (épluchés, épépinés)
-1 kg de sucre semoule ou cristalisé
-jus d'un citron
-Clous de girofle en poudre
-Cannelle en poudre
-muscade en poudre
-gingembre en poudre
-25 cl de vin blanc
A vos toques!
Page des confitures dans le cahier de recettes du château |
- Peler les coings, ôter le cœur, les pépins et les parties dures. Couper en quartier puis détailler en petits morceaux ou en tranches fines avant de les plonger dans une bassine d'eau additionnée du jus de citron (nécessaire pour éviter que les coings noircissent).
- Dans un faitout ou une bassine à confiture, porter à ébullition 25 cl de vin blanc puis y verser le sucre. Laisser le sucre fondre et se transformer en sirop puis ajouter les coings égouttés. Ajouter ensuite les épices : une cuillère à café de clous de girofle en poudre, une cuillère à soupe rase de cannelle, une cuillère à soupe rase de muscade, et une cuillère à café de gingembre.
- Laisser cuire une heure à feu très doux (voir au minimum) en remuant souvent. Pour vérifier la cuisson : verser quelques gouttes de la préparation dans une assiette, elles doivent figer immédiatement.
- Retirer du feu puis homogénéiser la préparation en mixant grossièrement au mixer plongeant. Écumer la surface puis verser dans des pots en verre stérilisés. Fermer aussitôt puis laisser refroidir.
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Ne vous reste plus qu'à déguster cette confiture unique pour un petit-déjeuner digne de la plus érudite des marquises...