The "hate verses" from "Not much fun : the lost poems", Stewart Y.Silverstein, 1996 - Editions Phébus (trad. de P.Reumaux, préface de B.Groult), 2002 - Editions libretto (trad. de D.Letellier), 2010.
Première édition en français des Hymnes à la Haine de Dorothy Parker : la plus belle volée de bois vert qu'une dame ait jamais flanquée à la société de son temps. Avec toute la délicieuse vacherie qu'on peut attendre de celle qui fut la Princesse des Années Folles.
En dix-neuf poèmes assassins, publiés en 1916 dans Vanity Fair,
Dorothy Parker n’épargne rien ni personne. Tout y passe : les maris,
qu’elle dit haïr car « ils lui bouchent la vue », les femmes, la
famille, qui lui « donne des crampes d’écriture », le théâtre, les
livres, les films, les fêtes…
Féroce, drôle et d’une incroyable modernité, la plume de Dorothy Parker libère les frustrations et permet l’exultation de la rage et la formulation de ce qui devrait être tu.
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"Je hais les épouses,
Trop de gens en ont."
Avant de lire Le cercle des plumes assassines et l'Affaire de la Belle évaporée, je n'ai que très épisodiquement entendu parler de l'auteure et critique Dorothy Parker, que le romancier J.J.Murphy transformait pour l'occasion en apprentie détective dans le New-York de la Prohibition. Ma curiosité dès lors éveillée, je voulais en savoir plus sur la vraie Dorothy Parker, cette poète contemporaine des Fitzgerald, écrivaine connue pour son ton très caustique et sa langue acérée. Ces "Hymnes à la Haine", merveilleusement préfacés par Benoîte Groult, étaient une entrée en matière délicieusement...méchante!
"Je hais le Bureau :
Il parasite ma vie sociale!"
Extrait original avec illustration, publié dans Vanity Fair. |
"Je hais les fêtes,
Elles réveillent en moi ce que j'ai de pire."
Au fil de ces dix-neuf poèmes dans lesquels elle démonte avec style et cynisme les archétypes du conformisme et du Beau Monde, D.Parker montre toute l'étendue de son talent et de sa plume aiguisée. Moi qui ai une certaine propension à l'humour noir et à l'ironie - avec bien souvent une allergie au conventionnellement correct - je me suis régalé de ces vers qui rhabillent tout le monde pour l'hiver!
"Je hais la famille,
Elle me donne des crampes d'écriture.
Il y a d'abord les tantes,
Même les meilleurs d'entre-nous en ont! (...)
Et puis aussi les Belles-soeurs,
Ces maux nécessaires du mariage... (...)
Et encore les neveux,
Cette basse espèce de la vie animale..."
Avec l'insolence qui la caractérise, D.Parker s'en prend aux épouses "comme il faut", enfermées dans leur vie trop rangée de ménagères parfaites, aux amoureuses éperdues, aux femmes soumises, avant d'envoyer paitre le mâle sous toutes ses formes (l'homme à femmes, le body-builder à la tête creuse...). S'en suivent les gens du spectacle, les insupportables fêtes de famille, la famille tout court, et même... les résidences secondaires (!). Bref, elle nous démonte avec une classe indémodable et à grands coups de strophes grinçantes tout ce qui fait si joliment vitrine.
"Je hais les bohèmes,
Ils piétinent ma morale!
Il y a les artistes,
Les inventeurs du Nu,
Toujours en train de gesticuler avec leurs pouces,
De faire des dessins sur la nappe avec leur fourchette,
Ils vous énumère les couleurs d'un coucher de soleil
Comme s'ils voulaient vous le vendre."
Si l'on s'amuse du propos tout en constatant que les modèles dont elle se moque ont peu changé en 100 ans, certains lecteurs pourront s'offusquer de ce ton qu'on pourrait supposer très hautain : Mais pour qui se prend-elle, cette Mrs Paker? L'introduction de Benoîte Groult vient répondre à cette question avec bienveillance et psychologie : pour peu qu'on creuse le sujet, Dorothy Parker, loin de se juger supérieure à ses contemporains, en était probablement arrivée à haïr ce qu'elle aurait désiré plus que tout au monde. Il ne fait aucun doute qu'il était devenu plus facile pour elle de se moquer de la vie de midinette amoureuse qu'elle aurait préféré avoir (voire peut-être même celle de la femme comblée avec époux, enfants, maison de quartier, et pelouse à tondre) mais qui persistait à lui échapper, plutôt que de se résoudre à l'avouer. Se convaincre que la vie bien rangée qui lui était refusée pouvait devenir l'objet du ridicule n'était-il pas la meilleure des carapaces pour une femme de sa trempe?
"Je hais les maris,
Ils me bouchent la vue."
En bref : De la poésie moqueuse débitée avec classe et cynisme comme on en fait plus, du pamphlet dont les victimes semblent presque toujours d'actualité. Des vers aussi débordant d'humour noir qu'ils peuvent se révéler plus tristes pour peu que l'on creuse les motivations de Dorothy Parker, délicieusement grinçante.
Et pour aller plus loin...