dimanche 30 juillet 2023

Meurtre au château de Blackburn (Une lady mène l'enquête #2) - Sara Rosett.

Murder at Blackburn Hall (High Society Lady Detective #2)
, McGuffin Ink (autoédition Amazon), 2019 - McGuffin Ink (autoédition Amazon) (trad. d'E.Velloit et Valentin translation), 2022.
 
    Septembre 1923. Après avoir résolu sa première affaire, la détective mondaine Olive Belgrave n’a pas trouvé de nouveaux clients. Elle a donc accepté un poste de mannequin pour chapeaux afin de payer sa minuscule chambre en pension de famille. C’est alors qu’on lui propose une nouvelle mission : enquêter discrètement sur la disparition d’un célèbre écrivain. Olive sillonne la campagne anglaise à la recherche de l’auteur de romans policiers disparu. Peu après son arrivée dans un paisible village anglais, un cadavre est découvert. Mais un second meurtre attire l’attention de la police sur Olive. Maintenant, elle doit blanchir son nom au plus vite avant que le piège du meurtrier ne se referme sur elle.
 
    Meurtre au Château de Blackburn est le deuxième tome d’Une lady mène l’enquête, une série policière historique à la lecture légère qui se déroule dans l’Angleterre des années 1920. Si vous aimez les romans qui vous font revivre l’Âge d’or de la fiction policière avec des rebondissements inattendus, des décors élégants et des énigmes à élucider, vous adorerez Sara Rosett, auteure de best-sellers au classement du USA Today, et sa série Une lady mène l’enquête.
 
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    L'an dernier, nous vous avions parlé de Meurtre au Manoir d'Archly, premier opus de la série Une lady mène l'enquête. Toute ressemblance avec Son espionne royale est tout à fait... normale ! Comme on l'avait expliqué dans notre précédente chronique, ces romans de l'autrice Sara Rosett, autoéditée et traduite via Amazon, sont une alternative de bonne facture aux enquêtes de Lady Georgiana par Rhys Bowen. Bien que les intrigues ne se situent pas ici dans le milieu de la haute noblesse, la jeune Olive Belgrave est également une jeune fille de la bonne société sans le sou, confrontée à des meurtres dans de grandes et belles demeures de la campagne britannique. Si la traduction laissait franchement à désirer (car en partie assurée par... un logiciel), l'univers, également très proche d'Agatha Christie, et l'intrigue policière nous avaient convaincu.
 

    Dans ce second tome, on retrouve Olive quelque temps après la résolution de sa première enquête au Manoir d'Archly. La jeune fille a ouvert son entreprise de détective mondaine, mais elle n'est contactée que pour retrouver les chiens disparus de vieilles ladies. Alors qu'elle s'apprête à accepter un poste dans une chapellerie, son meilleur ami Jasper lui présente une affaire qui pourrait être dans ses cordes : l'auteur de polar le plus célèbre de la décennie, R. W. May, a mystérieusement disparu. Les éditions Hightower ne l'ont d'ailleurs pas encore annoncé et tentent de garder l'information secrète en espérant que l'écrivain donnera signe de vie. Plus étrange encore, il s'est évaporé alors qu'il s’apprêtait à rendre le tout dernier manuscrit d'une série qui rencontrait un très beau succès auprès du public. La seule information que l'éditeur a pu obtenir de R. W. May avant qu'il ne disparaisse, c'est qu'il vivait dans le petit village de Hadsworth. Or, il se trouve que réside là-bas, au château de Blackburn, Lady Holt, qui a proposé aux éditions Hightower son manuscrit (aussi barbant qu'on l'imagine) sur l'étiquette et les bonnes manières dans la haute société. Sous couvert d'une relecture en vue d'une publication, les éditions Hightower envoient Olive au château de Blackburn sous la fausse identité d'une assistante éditoriale afin qu'elle puisse discrètement enquêter sur la disparition de R. W. May...
 

    Avec ce second tome, Sara Rosett confirme son talent d'autrice de polars à l'anglaise. Sa reconstitution d'un petit village britannique typique des années 20 comme on en voit chez Agatha Christie, avec tous les secrets qu'on imagine derrière le vernis, fonctionne à merveille. A la façon de la Grande Dame du Crime, S. Rosett nous fait rencontrer une galerie de personnages des plus fascinants au plus farfelus : le Dr Finch, charmant médecin de campagne et sa fille Anna, le fils de Lady Holt, jeune flambeur et séducteur tout droit sorti d'un roman de Nancy Mitford, et sa sœur Serena, scientifique extravagante doublée d'une ingénieure en puissance (en pleine recherche sur la décomposition sous toutes ses formes et en cours de conception du parfait aspirateur silencieux !). Outre le château de Blackburn – qui sera le théâtre d'un drame, comme chacun s'en doute – le décor de ce charmant village de carte postale comprend un golf qui n'est pas sans rappeler, une fois encore, l'univers de la grande Agatha.
 
Squerryes Court, qui a servi d'inspiration à Blackburn.
 
    A cette atmosphère réussie s'ajoute une intrigue efficace et très bien construite où vont se télescoper deux affaires : la disparition de R. W. May d'un côté et, plus tard, la mort suspecte d'un habitant de Hadsworth. Comme souvent dans ce type de roman, on découvrira que rien n'est jamais un hasard et que les apparences sont souvent trompeuses. C'est probablement là que se situe toute la subtilité de Meurtre au château de Blackburn : dans l'enchaînement des péripéties et dans leurs mécanismes sous-jacents, qui mènent habilement le lecteur par le bout du nez. Le tout est étoffé des minutieuses recherches de l'autrice, que ce soit concernant les poisons ou des affaires qui ont défrayé la chronique anglaise au tournant du XXème siècle (à l'image de l'affaire des Fées de Cottingley, qui inspire à Sara Rosett tout un pan de son livre).


    On retrouve avec plaisir le personnage d'Olive, cette jeune fille débrouillarde et perspicace prête à tout pour vivre de manière autonome malgré son manque de moyens financiers. A ses côtés, on fait davantage connaissance avec Jasper, son ami d'enfance et – on le devine peu à peu – potentiel soupirant. Ces deux-là nous font évidemment penser à Georgie et Darcy : tout comme le duo de Rhys Bowen, Olive a fait une école de bonnes manières en Suisse et Jasper disparait régulièrement de la circulation pour participer à des affaires classées secrètes. Pour autant, les personnalités restent bien distinctes et Sara Rosett sait apporter une dimension très authentique à son propre univers. Petit plus qui mérite d'être souligné : la traduction de ce second tome est meilleure que celle du premier, même si on n'évite pas quelques tournures de phrase encore très relatives.
 
La célèbre affaire des fées de Cottingley.
 
En bref : Un deuxième tome qui nous fait évoluer du milieu de l'édition des premiers polars à succès aux paysages typiques de l'Angleterre pour une enquête dans la pure lignée d'Agatha Christie. Mieux traduit que le premier opus, ce titre de Une lady mène l'enquête confirme de surcroît le talent de Sara Rosett pour reconstituer la haute société britannique des années 20 et élaborer une intrigue policière à tiroirs. Le tout se lit cette fois encore comme une très sympathique alternative aux romans de Rhys Bowen, à côté desquels Sara Rosett n'a pas à rougir. Vivement le suivant !



Et pour aller plus loin...
 

lundi 24 juillet 2023

Un printemps à écrire...

 

    On ne change pas les bonnes vieilles habitudes : si le printemps est achevé depuis longtemps, le début des congés nous donne seulement le sentiment d'entrer dans l'été (un été bien orageux, par ailleurs, mais nous aurons l'occasion d'y revenir au prochain récap'). Pour l'heure, l'article de blabla printanier a sonné avec, tout d'abord, une explication : vous savez que nos études sont finies et vous vous étonnez qu'on ne soit pas plus productif qu'au cours de ces deux dernières années ? Tout est normal. A défaut de plancher sur un mémoire, on a repris l'écriture à très haute dose, ce qui prend autant – si ce n'est plus – de temps encore. Pour autant, rassurez-vous, nous ne sommes pas resté enfermé pendant tous ces derniers mois, à taper à la machine à écrire à la lueur de la chandelle, sans voir le soleil...

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Escapades


    Nous avons inauguré le printemps (et ses premières journées ensoleillées) avec une escapade nancéienne sans but particulier si ce n'est celui de retrouver notre cousine pour arpenter les librairies, boire des litres de café latte à tous les coins de rue, et papoter à loisir. Nous avons effectivement dévalisé les librairies (Le Hall du Livre est une vraie caverne d'Alibaba), bu des cafés latte, et beaucoup papoté. Nous avons également fait un tour au Musée des Beaux Arts où – une fois n'est pas coutume – on s'est laissé hypnotiser par les luminaires à pampilles...

 

    Nous avons également fait un rapide aller-retour à la capitale (notamment dans le cadre de nos projets d'écriture), profitant du voyage pour faire un saut de puce au Musée du Cognacq-Jay afin d'y revoir certaines œuvres. Nous avions d'ailleurs complètement oublié que le tableau Jeu de dames dans un jardin, de Barthélemy, faisait partie de ses collections. Sachez-le : l'élégante dame vêtue de jaune et bleu tout à droite ne serait autre que notre bien-aimée Marquise du Châtelet...

 
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Cadeaux & acquisitions


 
    Il y a encore eu de belles razzias en librairie, ce printemps ! Outre les deux derniers Agatha Raisin parus en poche (nous en avons désormais une petite vingtaine d'avance dans notre PAL...), nous avons profité des sorties en avant-première chez France Loisirs avec ces deux pépites anglo-saxonnes enfin traduites : Loch Down Abbey, qui joue la carte du Whodunit en huis-clos entre maîtres et valets dans un manoir écossais, et La maison aux sortilèges, dont le titre est déjà tout un programme. Récemment, on a acquis le 6ème tome d'Une lady mène l'enquête, sympathique alternative à la série Son espionne royale, ainsi que le récit familial Le Guerrier de Porcelaine que Mathias Malzieu a consacré à son grand-père. Côté occas', on a dégoté Quand j'étais Jane Eyre (pendant notre phase brontëmaniaque) et La salle de bal, sorte de Bal des Folles avant l'heure, de l'autre côté de la Manche.

    Au rayon papeterie, nous ne sommes pas en reste non plus : on a craqué sur ce tarot et ce carnet en mood astrologie (car on n'avait pas de tarot, et qu'on n'a jamais assez de carnets...). Lors d'un séminaire d'écriture, l'une des apprenantes que l'on suit depuis bientôt deux ans en formation sur le récit familial nous a offert ce petit lot carnet/stickers/crayons aux couleurs printanières (avec des lapins) – a-t-on rappelé qu'on n'avait jamais assez de carnets ?

 
    Lors de notre escapade parisienne, nous avons retrouvé notre amie de Jane Austen lost in France, qui nous a gâté d'un petit paquet franco-anglais, avec ce thé de chez Meert et ces dessous de verres vintage déniché dans une charity shop d'outre-Manche (cliquez sur l'image pour voir les motifs, vous comprendrez qu'ils étaient faits pour votre serviteur). 


    Et en parlant de vintage, on a été pris d'une fièvre acheteuse de carreaux, tweed, chevrons et de pied de poule. Polos légers et pantalons taille haute nous donné l'impression de sortir d'un roman de Patricia Highsmith façon Mr Ripley. Notre cousine nous a fait cadeau de ce superbe gilet de costume taillé sur mesure par Illiger (c'est à Nancy, courrez-y vite !), à qui on a aussi acheté ce nœud papillon à motifs lapins qui nous faisait de l’œil depuis bientôt cinq ans.


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Popotes et casseroles


 
    A l'évidence, on a dû oublier de faire quelques photos de nos expériences culinaires de ce printemps. Ou alors on a probablement privilégié l'écriture à la cuisine (ce qui est fort probable aussi), nous contentant le plus souvent de riz ou de légumes à l'eau, par gain de temps, pour retourner au plus vite à notre table de travail.
    Quoi qu'il en soit, rassurez-vous, nous ne sommes pas mort de faim.
 
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Bricoles et fariboles
 

 
     Un aperçu du projet culturel mené cet année avec nos petit monstres ! Nous avons travaillé sur l'écriture d'un "livre dont vous êtes le héros" inspiré par l'univers des contes de fées, le tout avec l'accompagnement de l'auteur Fabien Clavel (que vous connaissez forcément, ne serait-ce que de nom). Un projet d'une ampleur considérable, l'objet fini approchant les 140 pages en grand format. Comme chaque année, les élèves ont participé à chaque étape de création, y compris pour la réalisation de la couverture. Pour l'occasion, nous leur avons proposé de s'inspirer des Paper Art de Jodi Harvey Brown afin de réaliser une création en 3D qui se voudrait un clin d’œil aux livres de contes de fées d'antan. 
 

    Cette réalisation a demandé quelques heures de travail mais le résultat en valait la peine, comme vous pouvez le voir sur la maquette de couverture ci-dessous :



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    Voilà pour le récap' de ce printemps, peut-être plus expéditif que nos derniers articles saisonniers. Il faut admettre que notre fin d'année a ressemblé à une course sans fin ; difficile, dans ces conditions, d'y trouver le temps pour davantage de loisirs. Tâchons de compenser cela cet été ;-).

samedi 22 juillet 2023

Des mots et des maisons : rencontre avec Valérie Péronnet.


    Il y a quelques semaines, nous avons publié notre chronique d'un très beau coup de cœur, La Maison Poussière. Ce roman d'une grande sensibilité qui cultive le sentiment d'habitation à travers la lecture nous a donné envie d'aller à la rencontre de son autrice, Valérie Péronnet. Elle a accepté de prendre le temps d'un échange avec nous pour nous raconter la genèse de La Maison Poussière, couronné au début du mois du 1er prix des lecteurs des éditions J'ai Lu. Un entretien profond et touchant.

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Pedro Pan Rabbit : La Maison Poussière est à la fois un dialogue entre une maison et sa propriétaire, mais c’est aussi, de façon transversale, une histoire de famille, de ses membres, des générations successives et de leurs secrets. Est-ce que c’est une histoire entièrement fictive ou est-ce que vous avez puisé dans un fond de vérité ? Comment est né ce roman ?

Valérie Péronnet : La maison existe : ça fait trente ans que je vais régulièrement au Québec et c’est une maison devant laquelle je passe très souvent. Et à chaque fois que je passe devant cette maison, elle me parle. Elle me fend le cœur, elle me touche, je me dis « la pauvre, si près de l’autoroute… », d’autant qu’elle est vraiment belle, cette maison. Il y en avait une autre un peu plus loin, qui a été démolie depuis, et je me disais toujours sans savoir pourquoi « ça, c’est sa sœur ». Un jour j’ai compris que ce serait le personnage principal de mon prochain roman et je me suis approchée d’elle de cette façon-là. Tout ce que j’ai mis à l’intérieur n’a rien à voir avec cette maison existante, mais quant à savoir si j’ai inventé… Je suis romancière, mais j’ai tendance à dire que je suis une romancière sans imagination. En revanche, j’ai été journaliste pendant trente ans, et même avant cela les gens m’ont toujours parlé pour me raconter leur vie. Je pense que tous mes romans sont des patchworks de ce que j’ai emmagasiné, de ce que les gens m’ont confié, de ce que je vois… J’ai un regard très curieux sur les choses, et les choses qui m’intéressent sont les choses profondes. Depuis toute petite, les autres m’intéressent et je me pose toujours la question de savoir comment ils se débrouillent dans la vie. J’ai grandi avec trois frères et l’une de mes premières questions existentielles a été « Comment font les autres filles avec leurs frères ? » ou « A quoi cela ressemblerait d’avoir des sœurs ? ». Je suis aujourd’hui à une période de ma vie où je me connais bien, après avoir navigué en me mettant à la place de l’autre pour essayer de comprendre son point de vue et absorber ses compétences. Tout ce que j’ai appris, je l’ai appris des autres. Or, ce qui m’intéresse, c’est comment font les autres pour trouver des solutions à ce que moi je suis en train de vivre, comment les autres font pour traverser un deuil, que font-ils de leurs chagrins d’amour, comment sont-ils tombés amoureux, comment fricote-t-on dans leur famille, etc. Dans chaque roman, j’ai l’impression que la matière vient d’ailleurs puis je réalise qu’il y a des morceaux de l’un ou de l’autre – ce qui peut devenir très embarrassant. Par exemple, j’ai très personnellement toujours très peur de plagier, et c’est pourquoi je lis peu de romans depuis que j’écris. Mes lectures m’ayant beaucoup construite et puisant également ma matière dans ma propre intériorité, j’ai toujours très peur qu’un auteur que j’aurais lu se retrouve fortuitement dans mon écriture.

 

Ⓒ Madeleine Bourgeois.


"Les choses qui m'intéressent sont les choses profondes"

 

PPR : Sachant que tous les grands auteurs sont avant tout de grands lecteurs et qu’on forge son écriture dans ce qu’on a lu, quoi qu’il en soit…

VP : Oui, tout à fait. J’ai énormément lu dans mon enfance, je suis remplie de tout ce que j’ai dévoré. Maintenant, je lis beaucoup moins, mais tout ce que j’ai lu me constitue encore. Cela et, comme je le disais tout à l’heure, ce que les gens me racontent d’eux. Emerencienne et Dumontine n’existent pas, ni Estelle, ni Louis, mais ils existent quand même, car j’ai rencontré beaucoup de femmes qui ont été confrontées au même deuil qu’Estelle et qui sont venues me le raconter, sans que je sache pourquoi. J’ai écouté, et quand j’ai commencé à écrire ce livre, je savais que je voulais cette expérience-là pour elle. Quand je l’ai terminé, j’ai réalisé qu’Estelle était un peu toutes ces femmes.

  

Ⓒ Madeleine Bourgeois.


PPR : Et avez-vous reçu des retours de ces personnes, qui ont traversé les mêmes épreuves que votre héroïne, qui ont lu votre roman et qui vous auraient fait part de leur sentiment de s’y être reconnue ?

VP : Pas directement, car c’est très délicat. Trop délicat et trop douloureux. Vous l’avez peut-être vu dans l’écriture, d’ailleurs, mais les sujets à la fois si délicats et si bouleversants, j’en parle avec beaucoup de parcimonie. Je sais que certains auteurs travaillent ainsi, mais je ne peux pas m’approprier dans son entièreté l’histoire intime d’une personne en particulier. Cela étant, j’ai été aussi été prête-plume : j’ai écrit à la première personne les histoires des autres à leur place, mais parce qu’ils me l’avaient confiée pour cet usage, donc ce n’est pas pareil.

 

PPR : C’est ce qui est intéressant dans La Maison Poussière : vous en dîtes juste assez pour que chaque personnage ait son histoire, son passé, ses contours et en même temps, c’est toujours dans la suggestion, ce qui permet à tout un chacun de s’identifier et d’être touché dans son intimité. C’est ce qui permet l’universalité du propos.

VP : C’est vrai… J’ai longtemps travaillé comme intervieweuse pour Psychologies magazine et j’ai donc mené beaucoup d’entretiens intimes sur des sujets douloureux. Je ne l’ai jamais fait par voyeurisme, je l’ai toujours fait en essayant d’y mettre beaucoup de pudeur et toujours dans l’idée d’une transmission. En écoutant le récit intime de quelqu’un d’autre, on peut y trouver des outils pour surmonter son propre chagrin, ses propres épreuves. Ces événements existentiels sont universels, le chagrin est universel, et je considère que mon livre a atteint son objectif si les lecteurs y trouvent de quoi traverser leur propre deuil même si ce n’est pas exactement celui d’Estelle ou de Dumontine. Ils s’y reconnaissent malgré tout car ça sonne juste et ça leur ressemble.

 

 Ⓒ Madeleine Bourgeois.

 

PPR : Vous avez parlé de vos lectures puis de vos différentes professions successives relatives à l’écriture : vous avez été journaliste, prête-plume, romancière et vous avez également écrit des novélisations…

VP : J’ai effectivement écrit une novélisation, d’après la saga Zodiaque, un peu sans le faire exprès d’ailleurs. Cela s’est fait par hasard : on m’a à l’époque contactée pour ce travail de commande, avec la condition de l’écrire en trois semaines. Il n’y a pas beaucoup de moi dans ce roman, mais cela a été un exercice très formateur, même si je trouvais ça assez gênant d’être considéré comme l’autrice alors que je devais me réapproprier 900 pages de scénario de feuilleton écrit par d’autres personnes pour en faire un roman de 250 à 300 pages en moins d’un mois. C’est un travail annexe à mes projets d’écriture personnels, mais j’y ai appris énormément de la construction d’une fiction sans transposer automatiquement chaque épisode en chapitre qui serait son calque exact. J’ai appris à me laisser porter par l’intrigue et à laisser les personnages décider du rythme de l’histoire. D’ailleurs, encore aujourd’hui, mes histoires commencent avec les personnages, même si je ne sais pas encore ce qui va leur arriver. Ceux sont eux qui décident…

 

PPR : En parlant de personnages, le thème de la maison vivante est très présent dans la littérature gothique ou, plus récemment en littérature générale avec les pierres de la maison qui se font narratrices dans S’adapter de Clara Dupond-Monod. Comment en êtes-vous arrivée à ce que ce soit la maison qui devienne à la fois personnage et narratrice de votre roman ?

VP : En fait, cela fait un long moment que je suis convaincue que les lieux sont des êtres – en tout cas les lieux où il s’est passé des événements forts – et que les lieux sont quelque chose de vivant. Je ne l’avais jamais vraiment conscientisé, mais cela fait longtemps, lorsque j’entre dans une maison, que je vais toucher les murs, caresser les pierres, avoir l’impression d’entendre des choses et me sentir en dialogue avec ceux qui ont vécu là auparavant. De la même manière, j’ai toujours l’impression que les gens disparus sont toujours là et qu’ils ne sont pas partis complètement. Tout ça fait partie de mon univers intime et dès que j’ai compris que cette maison était le personnage principal, elle m’a pris dans ses bras et c’est elle qui s’est imposée à moi. Ayant beaucoup écrit à la première personne en tant que prête-plume, j’ai pris ce pli de parler avec le « je » à la place du personnage principal. C’est exactement ce qui s’est passé avec cette maison : le « je » est venu naturellement, je n’ai pas du tout élaboré ce processus narratif. Je me suis enfermée dans cette maison et c’est elle qui a pris la main. De la même manière, quand j’introduis Estelle, je savais quel était son chagrin, mais je ne savais même pas comment elle s’appelait et on l’apprend d’ailleurs très tard dans le roman. Elle s’est finalement appelée Estelle, car j’étais arrivée à un moment de l’écriture où je me demandais « Mais qui est-elle ? ». Le « est-elle » est devenu « Estelle ». Idem pour Louis : sans lui donner de nom, je pensais à « lui », qui est peu à peu devenu « Louis ».

 

Ⓒ Madeleine Bourgeois.

 

PPR : Sans qu’il y ait eu de processus d’écriture anticipé, cela veut dire que le lecteur apprend progressivement ces éléments au moment où ils se sont forgés dans votre imaginaire, au fil de l’eau ?

VP : Exactement, je n’anticipe pas. Mais cela ne veut pas dire que mon subconscient ne le fait pas. Je pense que quand je me mets à ma table de travail pour écrire, il y a déjà beaucoup de choses qui sont prêtes sans que je le sache.

 

PPR : Sans divulgâcher, cela veut dire que la fin n’était pas anticipée non plus ?

VP : Pas du tout. J’étais acculée, comme mon personnage, et c’est apparu comme étant la meilleure fin, sans que ce soit morbide. Moi-même j’ai été surprise de cette chute, moi-même j’ai été sidérée. J’ai fait des recherches qui m’ont confirmé que c’était une fin tout à fait réaliste et cela m’a convaincu que c’était le meilleur choix. Que des êtres réparent des maisons, c’est vrai. Que des maisons réparent des êtres, c’est vrai également. Et c’est cette vérité que je voulais raconter. C’est à ça que je m’attache, tout est vrai ; tout de ce livre existe, en quelques sortes.

 

Ⓒ Madeleine Bourgeois.

 

"Que des êtres réparent des maisons, c’est vrai. Que des maisons réparent des êtres, c’est vrai également."

 

PPR : Vous avez parlé du Québec tout à l’heure, faisant de la banlieue de Montréal un « non-choix » comme décor de cette intrigue. Vous y avez vécu ?

VP : Je n’y ai jamais vécu, mais j’y suis allée régulièrement pendant 30 ans, chez un couple d’amis montréalais qui m’a déjà inspiré par le passé, Madeleine et Pierre. Dans un de mes précédents romans, Un petit glaçon dans la tête, le personnage du grand-père est directement inspiré de Pierre. J’avais également puisé dans des séjours passés avec eux pour raconter le voyage initiatique de ce roman. J’ai eu la chance de pouvoir passer du temps avec ces deux amis et de pouvoir m’inspirer de cet environnement. J’y suis allée en été comme l’hiver, j’ai pu voir ce que c’était que -40 par là-bas, et comme Pierre est un merveilleux conteur, ce que je n’ai pas vécu, je l’ai vécu à travers ses récits. Cela dit, je ne suis pas québécoise, je ne pouvais donc pas faire parler une maison québécoise, alors j’ai donc choisi de faire une maison franco-québécoise. J’adore la manière dont les Québécois parlent français, la façon dont ils sont pragmatiques avec la langue et construisent les mots qui n’existent pas, mais dont ils ont besoin et je me suis régalée de ça. J’ai cherché les mots de la maison qui contiennent ce qu’ils racontent pour qu’on les comprenne sans avoir à ajouter des notes de bas de page.

 

PPR : Dans un tout autre registre, vous venez de publier votre premier polar, Avant que ça commence.

VP : Oui, je l’ai écrit à quatre mains avec une amie qui est la première profileuse française. Je ne suis pas une grande lectrice de polars et ce que je souhaite raconter, c’est surtout l’histoire de cette femme-là, qui est un personnage extrêmement charismatique. Il s’agit d’un premier opus qui raconte sa première enquête, quand elle impose un métier qui n’existait pas avant. On s’est inspiré de vraies affaires tout en maquillant les faits par respect pour les familles des victimes. Idem pour tout ce qui se passe dans la gendarmerie, où ma co-autrice détient une matière véridique qui nourrit l’écriture et que je n’ai donc pas à inventer. Pour ma part, j’ai créé pour cette héroïne une famille à travers laquelle vous me reconnaîtrez, car c’est une famille à la Emérencienne et Dumontine ; c’est là que se situe mon espace de jeu. Le projet est ensuite de raconter toute la carrière de cette profileuse – pas sous forme de série à rallonge, mais en quatre ou cinq tomes, afin de montrer de quelle manière elle s’est imposée dans un milieu déjà existant avec de nouveaux outils, une nouvelle façon de voir les affaires. On la verrait ainsi prendre peu à peu de l’assurance, des épaules, s’attaquer à des enquêtes de plus en plus sévères et se confronter à des criminels de plus en plus épouvantables. On m’a invité à lire beaucoup de polars pour m’approprier les codes, mais je n’y ai pris aucun plaisir : beaucoup d’horreurs qui n’apportent pas grand-chose. Or, un polar réaliste n’est pas forcément synonyme de scènes de crimes à foison et de salopards immondes ; la réalité c’est que les scènes de crime sont souvent médiocres et qu’une enquête, c’est long et sans rebondissements réguliers. On barbote dans l’humanité la plus troublante et c’est ce qui est intéressant, car on est confronté à des gens qui nous ressemblent, si ce n’est qu’eux sont passés à l’acte. Le tome 2 est en cours d’écriture et devrait être finalisé fin septembre ou début octobre pour une sortie envisagée pour le printemps prochain.

 

Ⓒ Madeleine Bourgeois.

 

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     Un grand merci à Valérie Péronnet d'avoir pris le temps de cet échange. Elle a conclu l'entretien en nous offrant les clichés qui illustrent cet articles, photographies de la vraie maison bleue qui a inspiré le décor du roman, prises par son amie québécoise Madeleine. De quoi nous faire voyager...