lundi 30 mars 2020

Miss Fisher and the crypt of tears : dernières news avant notre avis sur le film!




  Inutile de vous faire languir plus longtemps : Miss Fisher and the crypt of tears arrive plus vite qu'on ne l'aurait cru dans nos contrées européennes! Tandis que le film d'abord projeté sur les grands écrans australiens fin février dernier a récemment été ajouté au catalogue de la plateforme anglo-saxonne Acorn TV, la Suisse a annoncé aujourd'hui la diffusion du film le 6 avril prochain sur sa chaine RTS2. On a ainsi appris le titre francophone officiel du long-métrage tant attendu *roulements de tambour* :


Miss Fisher et le tombeau des larmes

  Bien qu'une page officielle informait du doublage du film en janvier dernier, il semblerait que cette première diffusion inédite soit en version originale sous-titrée français, ce qui ne pourra que combler les anglophones et anglophiles (même si on ne peut qu'applaudir la VF de la série, dont on espère retrouver la qualité pour le doublage à venir du long-métrage). Nul doute qu'après ce détour par la Suisse, Miss Fisher et le tombeau des larmes devrait prochainement faire son chemin jusqu'à l'hexagone...

  En attendant d'arpenter le désert palestinien à dos de chameaux en compagnie de la fougueuse détective, on peut vous révéler deux extraits inédits, palpitants à souhait, récemment dévoilés par la plateforme Acorn TV : la folle course-poursuite de Phryne et Shirin une fois cette dernière libérée de sa prison palestinienne et une autre scène d'action chez un archéologue londonien, laquelle finit celle-là aussi par une course-poursuite mais dans un climat plus... humide. 



  Allez, une dernière info? Chez Books, Tea Time & Sweet Apple Pie, nous AVONS VU le film, pas plus tard que le weekend dernier! Nous publierons notre avis d'ici dimanche, soit juste assez tôt pour donner envie à ceux qui captent la RTS2 de se jeter sur leur télécommande lundi soir prochain! En attendant, il y aura encore sur books-tea-pie quelques gourmandises littéraires made in Phryne et d'autres goodies Années Folles. On commence pas plus tard que maintenant avec la chanson complète de Nothing but diamonds par Atomic Overture, musique officielle jamesbondienne en diable de la bande-annonce du film, enfin diffusée en intégralité sur itunes, spotify et youtube depuis quelques jours (de rien ;) ) :


Allez, encore un peu de patience, on y est presque!


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dimanche 29 mars 2020

Aux confins du confinement (ou pas)...


  Jamais nous ne pouvions mieux (ou mal) revivre le passé qu'actuellement : il y a cent ans, la grippe espagnole décimait environ cinq pour cent de la population mondiale. Moi qui m'amusais tous ces derniers mois de parallèles avec les années 20 dont nous fêtons le centenaire, je trouve de suite moins drôle de faire un reeboot intégral de cet événement avec sa lointaine cousine chinoise (qui n'est peut-être même pas vraiment chinoise, d'ailleurs... allez savoir...). Si son prédécesseur aurait été de souche aviaire (selon de récentes découvertes) notre coronamachinchose viendrait probablement de l'une de ces adorables créatures que sont la chauve-souris ou le pangolin. Peu importe que la faute revienne aux Chinois, aux chauve-souris, aux pangolins, ou à ceux qui les mangent (eh bien quoi, vous n'avez jamais mangé Chinois, vous?), le monde est passé en l'espace de quelques semaines (ou était-ce des mois? Quand tout cela a-t-il véritablement commencé?) d'un extrême à un autre.

La grippe espagnole, il y a cent ans...

  Villes bondées, autoroutes saturées et villages traversés de joyeux promeneurs sont devenus aussi vides de que des villes fantômes : paysages urbains déserts, campagnes inanimées, le monde extérieur ressemble partout à un décor de cinéma avant l'arrivée de l'équipe de tournage, entre demeures factices et façades en trompe-l’œil. A ce titre, jamais le dehors n'aura autant ressemblé à un épisode de Chapeau Melon et Bottes de Cuir, où les bourgades vides de monde et les rues dépeuplées étaient devenues un des codes emblématiques de la série, plongeant le spectateur dans une atmosphère étrange de rêve éveillé. C'est cette même ambiance qui me happe lorsque je passe la porte de mon Terrier pour affronter le néant, muni de ma petites attestation (qui n'atteste de pas grand chose) ou de ma dérogation professionnelle.




Les villes toujours désertes de Chapeau Melon et Bottes de Cuir... comme un goût d'actualité...

  Car en ces temps de trouble mondial – pour la majorité, du moins, car certains qui ne devaient pas capter les médias ou recevoir la presse depuis leur tour d'ivoire persistent à se retrouver le vendredi soir pour prendre des apéros en groupe, se griller quelques merguez le dimanche midi, ou promener Médor et Pupuce entre amis au parc du coin (alors qu'une rubalise barrait l'entrée) – quelques irréductibles Gaulois continuent de partir au front (à l'hôpital, à la caisse du supermarché, au bureau de poste, au volant du camion de ramassage des déchets, derrière le guichet de la banque, au fournil de la boulangerie...) chaque matin, tout juste équipés d'armes convenables (sans masque, sans gant, sans chemise, sans pantalon). Tandis que les toqués de première s'arrachent les rouleaux de papier toilette et les paquets de féculents (parce qu'ils confondent les termes d' épidémie et de fin-du-monde-cataclysmique-comme-à-l'extinction-des-dinausaures), prêts à tout même à pousser mémé dans les orties (sur le bas côté de la route) pour passer prems dans l'enceinte du Mamouth ou de l'Unico du coin et à faire auto-tamponneuse avec le caddie pour avoir le dernier paquet de pâtes format familial, d'autres n'ont pas le loisir de s'adonner avec une telle énergie à ces nouveaux sports à la mode.

  Petit acteur de la vaste scène socio-éducative (ou médico-sociale, je ne sais plus : même ça, ça n'a jamais été clair, autre preuve du brouillard persistant qui entoure nos professions), je fais partie de ces gens professionnels auxquels on n'a pas proposés de confiner (aussi parce que je n'ai pas d'enfant et que mon employeur refusait les droits de retrait, n'en faisant dès lors plus un droit mais une option à laquelle on ne peut tout bonnement pas souscrire dans mon abonnement métier). Passée la vague déception de l'égoïsme inassouvi (ça m'arrive tellement rarement : pour une fois, l'excuse était internationale, donc pas de quoi culpabiliser!), je suis donc parti au front dans les conditions de grand chambardement que connaissent actuellement les secteurs de l'accompagnement et/ou du sanitaire, étant pour ma part au contact d'adorables petits démons qui portent tous une pancarte clignotante "porteur sain" au-dessus de leur charmante petite tête. .Pas de panique cependant : je suis toujours en vie au bout de ces quinze premiers jours et je compte bien le rester encore quelques temps si tous ces imbéciles qui ne comprennent pas la notion de confinement voulaient bien rester chez eux pour qu'on en finisse au plus vite.

Pour une fois qu'on vous OBLIGE à rester chez vous pour bouquiner...

  On a souvent coutume de dire, face à une catastrophe (petite ou grosse), "la terre ne s'est pas arrêtée de tourner", pour relativiser les événements. Cette fois, on a presque l'impression qu'elle a effectivement stoppé sa course, ou du moins que sa rotation s'est considérablement ralentie. Les choses semblent comme mises entre parenthèses. Partout les journalistes, les auteurs, les philosophes et autres penseurs nous exhortent à nous saisir de ce temps qui nous est offert et faire contre mauvaise fortune bon cœur : sublimer l'angoisse, saisir les occasions de s'atteler à ce qui était toujours repoussé. Tandis que cette assignation à résidence nous arrache certains de nos rituels les plus nécessaires (comment dire au revoir lorsque, dans ces conditions sanitaires, on ne peut plus se rendre aux enterrements des êtres chers qui nous quittent?), nous devons tenter de créer ensemble le ciment qui va aider à construire chaque nouvelle journée. Parler ainsi, c'est bien sûr parler généralité : il y a ceux qui sont seuls dans de grandes maisons et ceux qui vivent en famille trop nombreuses dans de trop petits appartements, ceux qui parviendront à se rapprocher des membres de leur famille avec qui ils cohabitent et les autres, pour lesquels cette proximité creusera plus encore les fossés naissants et alimentera les tensions déjà bien présentes.



Dans la pétillante série Pushing Daisies, les héros amoureux, comme frappés d'une étrange malédiction, ne pouvaient se toucher sous peine de mourir et étaient déjà soumis à la contrainte de la distance sociale, quitte pour la braver à s'embrasser à travers du cellophane. A revoir pour mettre de la magie dans votre confinement!

  Dans cet "entre parenthèses" où chaque sortie pour faire ses courses évoque un film documentaire sur Chernobyl ou une lutte pour sa survie, où le gel hydroalcoolique est devenu la nouvelle eau bénite, et où le "Vas-y, dégage!" est devenu le nouveau "A tes souhaits", glanons les bribes de bonheur et de simplicité que nous pourrons. Dans un avenir plus ou moins proche, nous sortirons tous de cette torpeur avec, peut-être, l'amour des choses plus essentielles. Alors, lorsque le rapprochement des corps sera de nouveau autorisé et que les gestes barrières ne seront plus qu'un mauvais souvenir, après cette passade qui aura fait ressurgir à la fois le meilleur et le pire de l'humanité, espérons retrouver un monde où le contraste aura au moins le mérite de redonner son prix à toutes les choses de la vie.



jeudi 26 mars 2020

La Dame de l'Orient-Express - Lindsay Ashford.

The woman in the Orient-Express, Lake Union Publishing, 2016 - Editions l'Archipel (trad. de P.Vigneron), 2020.

  Octobre 1928. Son divorce lui a laissé un goût amer. Partout, Agatha Christie croit voir le fantôme d’Archie, son ex-mari. Jusque dans les couloirs de l’Orient-Express, où elle vient de prendre place sous une fausse identité. Elle se sait pourtant privilégiée. Le Meurtre de Roger Ackroyd l’a rendue célèbre et rien ne l’oblige à rester en Angleterre pour écrire son dixième roman. Elle a trente-huit ans. À bord de ce train mythique qui doit la mener à Istanbul, elle fait la connaissance de deux femmes, Nancy et Katharine. Elles aussi cachent leur passé. La première fuit un mari violent. La seconde part rejoindre son futur époux sur un site de recherches archéologiques. Et c’est à Ur, en Mésopotamie, qu’un drame se noue… aux répercussions inattendues.

  Inspiré d’un épisode méconnu de la vie d’Agatha Christie, La Dame de l’Orient-Express explore l’amitié féminine forgée par les épreuves partagées et le pouvoir des secrets.

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  Agatha Christie reste encore, au XXIème siècle, une référence. En tant qu'auteure, en tant que femme. Ses romans continuent d'être adaptés à l'écran (au cinéma avec le récent Crime de l'Orient-Express ou encore l'excellent Crooked House, à la télévision avec les délirants et inventifs Petits meurtres d'Agatha Christie) et l'écrivaine Sophie Hannah a même repris officiellement le personnage d'Hercule Poirot afin de donner une suite aux ouvrages de son aînée. La vie de la romancière, aussi, a rapidement été une source d'imagination pour la fiction, notamment sa mystérieuse disparition en 1926. De ce fait divers sont nés le très romancé mais palpitant film Agatha (1979), le récent téléfilm Agatha and the truth of murder (2018) ainsi que de nombreux romans tel que (le décevant) Agatha, es-tu là? (2017). Dans La Dame de l'Orient-Express, Lindsay Ashford évoque à plusieurs reprises cet incident mais se penche plus particulièrement sur un autre événement de la vie de la Grande Dame du Crime : son voyage à bord de l'Orient-Express en 1928, au lendemain de son divorce et à la veille d'un grand tournant dans sa vie personnelle et professionnelle.


  Le roman commence pendant l'été 1963. Agatha Christie, devenue une vieille dame, se repose dans le jardin de sa propriété lorsqu'un inconnu d'une trentaine d'années se présente à elle. Dans sa main, une photo sépia, sur le cœur, des questions sans réponse. Ce jeune homme est, sans le savoir, intimement rattaché au passé de la romancière. Pour lui, l'écrivaine se souvient : en octobre 1928, elle montait à bord de l'Orient-Express pour fuir les journalistes, ravis d'étaler son divorce en long et en large dans la presse à scandale. Sous son nom de jeune fille, elle part donc à bord de ce train de luxe pour découvrir le Moyen-Orient et, peut-être, y trouver l'inspiration pour son prochain roman. A bord, elle rencontre deux femmes : la première, Katharine, est une Anglaise voluptueuse et magnétique qui part rejoindre un chantier de fouilles archéologiques ; la seconde, Nancy, gracile et fragile, vient d'échapper de justesse à une tentative de suicide. L'une met Agatha particulièrement mal à l'aise de par son aisance et son aura, l'autre lui évoque la jeune maîtresse avec qui son ex-mari s'est enfui. Son ex-mari Archie, qu'elle voit partout et dont la voix occupe parfois son esprit quand ce ne sont pas celles de sa mère ou d'Hercule Poirot qui résonnent dans les méandres de son imagination. Dans ce train mythique puis de Ur à Bagdad, ces trois femmes d'apparences si différentes mais toutes aussi secrètes se dévoileront les unes aux autres...


  La Dame de l'Orient-Express est le sixième roman (le premier publié en France) de Lindsay Ashford, titulaire d'un master de criminologie et initialement reporter pour la BBC et la presse écrite. Romancière traduite dans plus de dix langues, elle pose ici un regard intimiste sur la célèbre écrivaine de polars, dont elle fait un personnage de fiction peut-être plus proche de la femme réelle qu'on pourrait le croire. Cette approche, rarement utilisée pour parler d'Agatha Christie, rappelle qu'en plus d'avoir été une auteure de romans policiers à succès, elle était aussi une femme sensible et romanesque (souvenons-nous en effet qu'elle a écrit plusieurs histoires à l'eau de rose sous pseudonyme!).


  L'écrin et les nombreux décors reconstitués par l'auteure sont parfaitement évoqués : des compartiments de l'Orient-Express (dont le chic et la modernité auraient cependant mérité d'être davantage restitués) aux ruelles et chantiers archéologiques de Bagdad, ce voyage que l'on pourrait suivre sur une carte au fil des chapitres successifs déborde d'un exotisme hyper réaliste, presque palpable. Les détails, d'une grande méticulosité, traduisent d'évidentes recherches mais font aussi de nombreux clins d’œil aux romans que ce périple a très probablement suggéré à Agatha Christie. Moult éléments évoqueront ainsi au lecteur Le crime de l'Orient-Express, Meurtre en Mésopotamie, ou encore Rendez-vous à Bagdad. L.Ashford nous entraine avec délice dans l'atmosphère du Moyen-Orient, nous inondant de précisions culinaires, culturelles ou historiques qui donnent une vraie richesse à ce livre.

Agatha sur un chantier archéologique en 1928.

  Si de nombreux éléments sont véridiques, l'auteure procèdes à quelques ajouts et modifications pour les besoins de son roman. Aussi, si elle restitue à merveille la personnalité haute en couleurs et mystérieuse de la véridique Katharine Wooley (qu'Agatha a véritablement rencontrée à l'occasion de ce voyage en 1928), elle anticipe de deux ans la rencontre de la romancière avec son second mari Max Mallowan. Le personnage de Nancy est une totale invention de Lindsay Ashford, une trahison qui sert des effets dramatique puisque, de par son histoire personnelle, cette jeune épouse en fuite participera à faire le ciment qui unira ces trois femmes que tout semblait initialement opposer.

La vraie Katharine Wooley.

  Le livre n'est cependant pas exempt de petites faiblesses. La plus handicapante pour la lecture est qu'on met un long moment avant de voir où l'auteure veut nous emmener et de quel genre se réclame son roman. Le temps de présenter les personnages, de les faire se rencontrer, de multiplier les secrets de chacun et de passer d'un décor à l'autre, on attend de voir arriver l'élément déclencheur du scénario, spéculant si on tient là une fiction policière ou un huit-clos psychologique féminin. Finalement, une fois le livre refermé, on réalise que ce n'était ni l'un ni l'autre. L'auteure nous fait suivre les destins croisés de trois femmes de tempéraments très différents, qu'elle veut nous révéler peu à peu extraordinaires de combativité chacune à leur manière, mais fort est de constater qu'il manque à tout ça un noyau dur, une trame tangible. Le texte français (est-ce aussi le cas du texte en version originale? On ne saurait le dire puisqu'on n'a eu entre les mains que cette traduction) souffre de quelques formules très relatives et d'anachronismes qui peuvent casser le réalisme des dialogues, là où les descriptions du Moyen-Orient et l'atmosphère générale sont pourtant impeccables.

Agatha et son second mari, l'archéologue Max Mallowan.


"Il n'est pas facile de croire en quelque chose quand tout votre univers s'effondre. L'essentiel, c'est de continuer à croire en soi."


En bref: Une évocation hyper réaliste de l'Orient-Express et du Moyen Orient des années 20 pour un hommage intimiste et romancé à Agatha Christie, que l'auteure tient à restituer dans sa dimension de femme avant celle de la romancière. Les libertés prises par l'auteure n'entachent en rien la qualité du roman (après tout, elle ne prétend pas servir une biographie mais bien une fiction librement inspirée du réel) mais on peut lui reprocher le manque de fil rouge ou d'une intrigue centrale qui aurait donné véritablement corps à son intrigue. La Dame de l'Orient-Express reste un agréable moment de lecture, très exotique, à la rencontre de trois figures féminines qu'on a grand plaisir à découvrir.


 Un grand merci à L&P Conseils et aux éditions de l'Archipel pour cette découverte.

samedi 14 mars 2020

Un été avec Louise - Laura Moriarty.

The chaperone, Riverhead books, 2012 - Editions Fleuve (trad. de C.Barbaste), 2013 - Pocket, 2014.

  A seulement 15 ans, la jeune Louise Brooks est admise dans la prestigieuse école de danse moderne de Denishawn, à New York. Un rêve pour cette jeune fille pétulante, qui aspire à la célébrité et se trouve à l'étroit dans sa petite ville du Kansas. Seulement pas question de la laisser partir seule. Ses parents lui assignent donc une chaperonne, Cora Carlisle. Une femme aux antipodes de la jeune Louise, avec des valeurs, un souci du respect de l'étiquette et des convenances, mais aussi de lourds secrets…Car si Cora se porte volontaire pour accompagner la jeune fille à New York, c'est avant tout pour pouvoir revenir sur les traces de son passé obscur. Mais préserver la vertu de sa protégée ne va pas être une mince affaire. Louise, avec son visage mutin, son petit carré noir et soyeux à la frange bien marquée, a soif de liberté, elle veut profiter de ce New York des années folles qui foisonne de théâtres, résonne du jazz et fourmille d'hommes. Ces cinq semaines passées ensemble vont changer le cours de leur vie à jamais…

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  Qui ne connait pas Louise Brooks? Si vous ignorez son nom, vous connaissez forcément son inoubliable frimousse : moue boudeuse, regard décidé, menton volontaire, carré à la garçonne et frange bien coupée, Louise Brooks c'est LE visage des années 1920 américaines. Actrice iconique du cinéma muet des Etats-Unis auquel elle apporta une vraie vague de fraicheur, Louise a connu le déclin aussi vite qu'elle avait atteint les étoiles...

Louise Brooks, la seule, l'unique...

  Un été avec Louise propose de mêler fiction et faits réels pour emmener le lecteur au plus près de la jeune Louise Brooks, alors âgée de 15 ans. Nous sommes en 1922 et elle s'apprête à vivre l'été le plus décisif de toute sa vie ; sélectionnée pour suivre des cours de danse à la prestigieuse école new-yorkaise de Denishaw, l'intelligente mais caractérielle adolescente a besoin d'un chaperon pour l'accompagner et veiller sur elle pendant ces quelques semaines loin de son Kansas natal. Cora Carlisle, mère de famille accomplie résidant dans le même patelin de Wichita, propose sa candidature malgré la réputation toute relative de la famille Brooks et les humeurs de Louise. Sa motivation? Ce voyage est pour Cora une vraie chance de lever le voile sur ses origines : adoptée il y a une trentaine d'années de cela au Kansas après avoir voyagé à bord du train des orphelins, elle est en fait née sous X à New York, où elle avait été confiée à un orphelinat religieux. Jouer les chaperons pour Louise, c'est en fait une chance inespérée pour Cora de peut-être retrouver sa vraie famille...


  Le roman de Laura Moriarty, best-seller outre-Atlantique à sa parution, s'inspire d'un événement réel de la vie de Louise Brooks. A 15 ans, l'adolescente fut en effet sélectionnée pour entrer à l'école de Denishaw pour sa saison estivale de 1922 ; une expérience qui marquera le début de sa reconnaissance internationale malgré ses célèbres frasques à venir. Pour se faire, la mère de Louise, Myra Brooks, engagea bien un chaperon missionné de veiller sur la jeune fille. C'est là que le roman de L.Moriarty s'écarte du réel : la vraie gardienne de Louise s'appelait non pas Cora Carlisle mais Alice Mills. Des coupures de presse de l'époque récemment redécouvertes ont permis de renseigner qu'elle était par ailleurs une ancienne élève de Denishaw, ce qui explique que Myra Brooks lui ait confié sa fille au lieu de l'accompagner elle-même. En dehors de ces quelques informations, on ne sait presque rien. C'est à peine si Louise lui consacre quelques lignes dans son autobiographie Loulou à Hollywood, lignes qui respirent toute l'antipathie qu'elle pouvait ressentir à l'égard de ce chaperon ou, du moins, qui témoignent du poids que représentait cette femme dans une ville qui offrait à l'adolescente autant de potentiels plaisirs et de distractions.

 La toute jeune Louise Brooks, de Wichita à l'école de danse de Denishaw au début des années 20...

  Laura Moriarty restitue avec vraisemblance le caractère tempétueux de Louise, connue très tôt pour son tempérament de feu, son ambition et, parfois, sa suffisance. Imaginer Cora sur la base des quelques bribes d'information que l'histoire nous a laissés concernant Alice Mills est très probablement la meilleure idée que pouvait avoir la romancière pour apporter la dimension dramatique qui fait toute la réussite de ce livre. Ce personnage de mère de famille (un peu trop) rangée permet de voir se confronter deux personnalités opposées que les frictions, l'affrontement, mais aussi parfois l'alliance inattendue vont amener à se révéler l'une à l'autre... et au lecteur.  Ce procédé de narration des faits romancés restitue avec une exactitude impressionnante et dans l'esprit qui convient la vie de la jeune Louise Brooks : ses débuts fantasques et fantastiques puis même les suites boiteuses de sa carrière (le roman faisant plusieurs sauts dans le temps dans sa dernière partie), suscitant chez le lecteur l'envie d'en apprendre plus. Car même dans le roman de Laura Moriarty, les apparences – revêche pour l'une, trop sage pour l'autre – ne tardent pas à s'effacer pour révéler des histoires plus douloureuses qui dévoilent, entre autres, la femme qui se cachait derrière l'icône de papier glacé. Avec talent et subtilité, on découvrira qu'au-delà des différents qui opposent les deux héroïnes, elles ont finalement beaucoup à apprendre l'une de l'autre.

Coupure de presse montrant Alice Mills (à gauche),
ancienne élève de Denishaw et chaperon de Louise.

  Un été avec Louise jouit aussi d'une remarquable reconstitution historique : L.Moriarty nous raconte à travers le parcours de ses personnages une grande fresque de l'Histoire américaine, dont l'évolution est en étroit lien avec le cheminement de nos héroïnes. Les années 1920, véritable pivot dans l'émancipation des personnes voit s'affronter conservateurs et libertaires sur fond d'expansion culturelle et artistique et de crises sociales. La place de la femme, le mariage, l'hypocrisie de la petite bourgeoisie, le racisme et la sexualité sont ainsi évoqués avec pertinence autour de l'intrigue centrale.

Wichita dans les années 20...


En bref : Un grand roman qui mêle fiction et faits réels pour mieux nous raconter les débuts de Louise Brooks, icône des années 1920. Un été avec Louise raconte à la fois la furieuse envie de vivre de deux femmes que tout oppose et l'explosion artistique, culturelle et sociale de l'Amérique pendant cette période charnière. Un régal totalement habité par l'âme de Louise Brooks.


Et pour aller plus loin...

dimanche 8 mars 2020

J'aimerais te parler d'elles - Sophie Carquain (texte) & Pauline Duhamel (illustrations).

Éditions Albin Michel Jeunesse, 2019.


  Par ordre chronologique, Sophie Carquain raconte aux enfants d’aujourd’hui 50 histoires vraies de femmes proches de nous. Qu’elles soient aventurières (Calamity Jane, Alexandra David-Néel), scientifiques (Jane Goodall, Margaret Hamilton), artistes (Agnès Varda, Emma Watson), ou militantes (Rosa Parks, Malala Yousafzai), elles ont toutes eu un jour l’audace d’élever la voix, d’agir seule ou collectivement pour faire avancer les droits des femmes. Pour chaque femme, son itinéraire en histoire, l’illustration d’un moment-phare de son existence, et une petite leçon de vie donnent au recueil son originalité.

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  Aujourd'hui le 8 mars, journée internationale des Droits des femmes, c'est l'occasion de partager avec vous une lecture thématique ludique et engagée qui plaira autant aux jeunes lecteurs qu'aux plus âgés. J'aimerais te parler d'elles s'inscrit dans la lignées d'ouvrages tels que le renommé Culotées de Pénélope Bagieu ou le plus discret Ces femmes incroyables qui ont changé l'Histoire de Kate Pankhurst. Inspirés par la reconnaissance due aux femmes qui ont fait l'Histoire dans l'ombre des hommes, celles que ces dernier ont gommées, ou encore celles qui ont souhaité s'affranchir des codes qu'on leur imposait, ces albums racontent l'importance de la place de la femme dans la communauté.



  Plus qu'une mode sociétale ou un simple devoir de mémoire, cette mouvance, cet engouement, est, en pleine ère post me too, une nécessité. De tous les ouvrages qui se sont donnés pour mission la transmission de l'Histoire féminine, J'aimerais te parler d'elles est des plus réussis. En s'adressant à la jeunesse, la journaliste et auteure Sophie Carquain met l'accent sur l'importance de la transmission et d'une éducation à la parité. A ce titre, l'erreur commise sur le bandeau promotionnel qui cite la chronique d'Olivia de Lamberterie de Télématin est d'omettre les jeunes garçons en vendant cet ouvrage comme "un livre important pour donner des modèles aux petites filles". Cet impair, Sophie Carquain ne le commet pas ; au contraire, elle insiste à plusieurs reprises sur l'intérêt pour un garçon comme pour une fille de puiser l'inspiration dans le parcours de ces femmes, une évidence à la base de toute culture de la parité.


  En cela, c'est la recherche d'une égalité homme-femme que mettent souvent en avant les portraits qui composent cet album. Cela transparait à travers la vie de ces figures féminines obligées de prendre un pseudonyme masculin pour être publiées (George Sand, mais aussi plus récemment J.K.Rowling, dont les initiales ne devaient initialement rien indiquer du sexe de l'écrivaine!), celles qui n'ont pas hésiter à vivre comme leurs congénères masculins en faisant fi des convenances (Calamity Jane, Alexandra David-Neel), celles qui ont vécu dans l'ombre des hommes (Katherine Johnson, physicienne afro-américaine récemment décédée, Camille Claudel ou encore Colette à ses débuts), sans oublier les femmes qui n'ont pas hésiter à s'affirmer pour défendre de nobles causes (Simone de Beauvoir, Simone Veil, Rosa Parks ou encore Angela Davis).


  Racontées par ordre chronologique et classées par thème, les vies de ces femmes d'Histoire nous emmènent à la rencontre d'artistes, de militantes, de scientifiques, de chercheuses, de pédagogues et parfois de simples citoyennes qui se sont faites remarquer par leurs convictions. Chaque portrait de femme est conclu par un conseil qu'elle aurait pu donner, au regard de ce qu'a été sa vie, au jeune lecteur qui découvre le livre. Ces petits encarts sont par ailleurs rédigés selon les principes de l'écriture inclusive, rappelant ainsi au passage qu'on s'adresse ici autant aux garçons qu'aux filles (oui, oui, on insiste, mais c'est important!).


  Bien évidemment; comme tous les ouvrages de ce type, J'aimerais te parler d'elles n'est pas exhaustif (on pourrait citer, parmi les absentes, Elisabeth Ière d'Angleterre ou encore Hypathie d'Alexandrie, par exemple) mais il réunit un beau panel et peut ainsi être complété d'autres albums similaires. L'un des atouts de ce livre est également de mettre l'accent sur de nombreuses figures contemporaines, dont Emma Watson, fortement engagée dans les Droits des femmes, ou encore Malala Yousafzai, Pakistanaise Prix Nobel de la paix. La preuve que le recul n'est pas nécessaire pour reconnaitre la valeur de ces femmes.


  Enfin, cet album indispensable est mis en image par la talentueuse Pauline Duhamel, dont les illustrations colorées et rafraîchissantes évoquent le graphisme publicitaire ou de la littérature jeunesse imagée des années 50 et 60. Tout à fait adaptés à la tranche d'âge visée, ses dessins de pleine page façon bande-dessinée ou ses médaillons en tête d'articles ne manqueront pas de charmer aussi les parents ou les professeurs qui s'empresseront de faire découvrir ce très beau livre à leurs enfants ou à leurs élèves.



En bref : Un album indispensable pour faire connaître la destinée de femmes fortes d'hier et d'aujourd'hui dans une volonté nécessaire d'éducation à la parité. L'auteure Sophie Carquain s'adresse aux lecteurs des deux sexes, participant ainsi à diffuser l'idée qu'une femme puisse servir de modèle autant à un garçon qu'à une fille (merci à elle de casser les stéréotypes, c'est encore trop rare). Le tout est mis en image avec peps par le crayon pétillant de Pauline Duhamel, qui rend cet album visuellement réussit. A découvrir et faire découvrir d'urgence, à offrir à vos enfants, petits-enfants, neveux et nièces, et à promouvoir dans les écoles!

Gourmandise littéraire : Biscuits au fruit de la passion de Werribee Mansion.


  Puisque cette année est définitivement celle de Miss Fisher, nous vous proposons, en attendant la diffusion française du film tout récemment sorti dans les salles australiennes, de vous essayer à une nouvelle recette issue des romans originaux de Kerry Greenwood. Pendant les récentes fêtes hivernales, nous avons abondamment mis à l'honneur la garçonne détective ainsi que l'univers culinaire très présent dans ses aventures : cocktails symboliques des Années Folles, en-cas à grignoter à l'occasion d'un buffet festif, comfort food préparée par ses domestiques... et il en reste encore beaucoup! 

  Dans Murder in the dark, chroniqué en janvier dernier, Phryne participe à une fête de quatre jours et quatre nuits au manoir de Werribee Mansion pour célébrer la fin de l'année 1928 et le nouvel an 1929. Véritables bacchanales sur fond de jazz, ces festivités bénéficient donc d'un cadre luxueux en diable et d'un service impeccable : toute une horde de domestiques s'affaire dans les cuisines pour satisfaire les invités et les régaler. Mais parce que le crime ne se tient jamais à bonne distance de l'honorable Phryne Fisher, plusieurs mystères viennent éclore dans son sillon : les deux pupilles des hôtes disparaissent et le kidnappeur laisse à l'attention de Phryne des énigmes codées sensées la mettre sur leur voie. Phryne trouve parmi les gens de maison des alliés de choix qui l'aident et la renseignent dans ses investigations...


  D'ailleurs, les propres domestiques de Phryne viennent chaque jour à Werribee Mansion : Dot, sa demoiselle de compagnie, et Mr Butler, son majordome, font des allers et retours quotidiens depuis sa maison de St Kildas pour venir chercher le linge de Miss Fisher et s’enquérir des missions qu'elle pourraient avoir à leur confier. Mr Butler en profite pour s'attarder dans les cuisines de Werribee Mansion où il discute avec de vieilles connaissances tout en savourant des biscuits au fruit de la passion dont il raffole tant et si bien qu'on ne le laisse jamais repartir les mains vides...



"Transportant le thermos et le sac à linge, Mr Butler invita Dot, laquelle portait la boite à biscuits, à le rejoindre sur le siège passager. Dot avait dû monter en grade pour obtenir le droit de monter à l'avant et trouvait ça beaucoup moins palpitant que d'être sur la banquette arrière. Dot n'aimait pas les choses palpitantes.
— Nous devons nous arrêter en ville, expliqua-t-elle à Mr Butler. Miss Phryne m'a demandée de me renseigner quant à l'éventuel passage de gens du voyage dans les parages ces derniers jours. Ensuite nous pourrons nous installer sous un de ces arbres et prendre une tasse de thé avec le reste de ces biscuits.
— N'en dîtes pas un mot à Mrs B., dit Mr Butler dans un souffle, mais ces biscuits au citron et au fruit de la passion sont encore meilleurs que les siens.
— Je n'en dirai pas un mot, promit Dot en plongeant une main dans la boite pour en sortir deux biscuits pour Mr Butler et pour elle-même. Je pense exactement la même chose."

Murder in the dark, Kerry Greenwood, chapitre 7, Constable (2018).



  Les biscuits au fruit de la passion semblent être une pâtisserie très appréciée en Australie si l'on en juge par le nombre de recettes que l'on trouve dans l'autre hémisphère. Cette gourmandise quasiment inconnue de nos contrées françaises serait un immanquable de la cuisine sucrée australienne, à la façon de ses cousins les honey jambles, flower jam drops ou encore les iced vovos. Les passionfruit biscuits semblent également faire partie d'une famille de biscuits australiens réalisés selon la même technique, à savoir de deux gâteaux sablés assemblés par une couche centrale de crème parfumée, un peu à la façon de nos macarons. Appelés melting moments mais aussi yoyos à cause de leur forme évocatrice, on trouve ces petites douceurs dans les vieux livres de cuisine australienne aussi bien qu'au rayon goûters des supermarchés australiens, de grandes marques alimentaires des antipodes ayant repris la recette à leur compte depuis fort longtemps.

  Dans Murder in the dark, Mr Butler vient donc souvent se régaler de ces biscuits sablés fourrés d'une crème au fruit de la passion, parfois parfumés au citron tel que le stipule cet extrait. Les recettes que l'on trouve actuellement sur le net contiennent en effet souvent des zestes d'agrumes mais il est aussi très agréable pour les papilles de les remplacer par le l'extrait naturel de vanille, qui s'allie fort bien aux fruits de la passion. Nous vous proposons ci-dessous une version simplissime et délicieuse de cette gourmandise...


Ingrédients (pour environ 15 biscuits):

- Pour les biscuits:
- 125g de beurre ramolli coupé en dés
- 1 c-à-c d'extrait naturel de vanille OU le zeste râpé d'un demi citron
- 40g de sucre glace
- 110g de farine
- 40g de fécule de maïs (ou maïzena)

- Pour la crème:
- 40g de beurre ramolli
- 40g de sucre glace
- 2 c-à-s de pulpe de fruit de la passion (équivaut à la pulpe d'un fruit)

A vos tabliers!

- Battre le beurre, la vanille (ou le zeste de citron) et le sucre jusqu'à obtenir une pâte la plus aérée possible.
- Ajouter la farine et la fécule de maïs, mélanger jusqu'à obtention d'une pâte souple.
- Façonner environ 28 ou 30 petite boules de pâtes puis les disposer sur une plaque couverte de papier cuisson en les espaçant de deux centimètres environ. Aplatir légèrement chaque boule avec les dents d'une fourchette farinée, de façon à y imprimer des petits sillons.
- Enfourner pour 15 minutes dans un four préchauffé à 180°C puis laisser refroidir 5 minutes sur une grille.
- Pendant ce temps, préparer la crème : battre le beurre avec le sucre glace jusqu'à obtenir un mélange crémeux puis ajouter la pulpe de fruit.
- Garnir la moitié des biscuits d'une cuillère à café de crème chacun puis les refermer en sandwichs avec l'autre moitié. A conserver au frais.




Parfaites pour un goûter, ces petites gourmandises sont idéales à l'heure du thé!

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