Emily
Un film écrit et réalisé par Frances O'Connor, d'après la vie d'Emily Brontë.
Avec : Emma Mackey, Oliver Jackson-Cohen, Fionn Whitehead, Amelia Gething, Alexandrz Dowling...
Date de sortie originale : 14 octobre 2022
Date de sortie en France : 15 mars 2023
Aussi énigmatique que provocatrice, Emily Brontë demeure l’une des
autrices les plus célèbres au monde. EMILY imagine le parcours
initiatique de cette jeune femme rebelle et marginale, qui la mènera à
écrire son chef-d’œuvre Les Hauts de Hurlevent. Une ode à l’exaltation, à la différence et à la féminité.
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C'était une sortie qu'on attendait autant qu'on la redoutait. Emily, film consacré à Emily Brontë, n'a eu de cesse de faire parler de lui depuis l'annonce du projet en 2020. Autant dire que le défi était de taille : aborder une seule des trois sœurs alors qu'elles ont tiré toute la force de leur aventure éditoriale dans le cœur même de leur trio, n'est-ce pas une entreprise un peu risquée ? Et peut-être encore plus dans le cas d'Emily, dont la légende a de beaucoup dépassé les quelques bribes d'informations historiques connues. Mis en scène et écrit par l'actrice et (pour la première fois) réalisatrice Frances O'Connor, Emily a divisé la critique : audacieux et bouleversant portrait fictif qui révèle toute la complexité du personnage pour certains ou affabulation sans réelle consistance pour d'autres.
Notre verdict ? Sorry, readers, mais nous rejoindrons ce second clan. Si nous sommes de grands amoureux des portraits imaginaires parfois engendrés par le cinéma – nous citons souvent, à titre d'exemple, le Agatha de Michael Apted consacré à Agatha Christie, ou Fur, portrait imaginaire de Diane Arbus de Steven Shainberg), tout leur intérêt est de révéler les aspérités réelles de leur sujet par le prisme d'un épisode fictif ou d'une approche fantasmée. Dans Emily, aucune des libertés prises ne vient révéler quoi que ce soit de la vérité de l'autrice des Hauts de Hurlevent : tout (ou disons presque tout) y est faux, alors que le film se revendique comme biopic. De quoi nous dresser les poils sur les bras.
Et ça commence dès les premières minutes du film : Emily, à l'agonie, est pressée de questions par sa sœur Charlotte pendant qu'Anne est partie chercher du secours. Comment a-t-elle écrit Les Hauts de Hurlevent ? A ses côtés, les volumes du célèbre roman : les spectateurs peuvent voir sur la couverture, bien en vue, le nom d'Emily Brontë. Les Brontëmaniaques y ont leur première suée (pour ceux qui ne meurent pas immédiatement d'un arrêt cardiaque, s'épargnant ainsi la suite du film). En quelques secondes s'effondrent à la fois toute l'audace et la difficulté de l'entreprise éditoriale des Brontë, en même temps qu'est niée la réalité des femmes autrices sous l'ère victorienne. Prétendre qu'Emily a pu faire éditer son chef-d’œuvre en son nom (avant les publications de ses sœurs, qui plus est) alors que toutes trois ont envoyé leurs textes et été publiées en même temps sous des pseudonymes masculins, c'est probablement la pire hérésie qui soit.
Elle se révèle finalement la première d'une longue série de petits et gros arrangements avec les faits, au profit de clichés qui veulent jouer la carte d'un féminisme de façade. La liste est trop longue pour les reprendre un à un, mais attardons-nous sur les plus désolants. Outre la question du nom de plume, donc, les relations entre les sœurs et, plus largement, au sein de la famille Brontë ne sont pas fidèles à ce qu'on sait de leur histoire. Qu'une fratrie connaisse des tensions et des désaccords, c'est une chose (et il y en a eu, notamment quand Charlotte a fouillé dans les manuscrits d'Emily afin d'y trouver de quoi publier ensemble un recueil, indiscrétion qui a provoqué une vive colère chez sa cadette), mais faire de Charlotte une pimbêche envieuse telle qu'elle est montrée à l'écran, c'en est une autre. L'interprétation que fait la réalisatrice et scénariste de l'aînée des Brontë est affligeante et lui confère tout juste l'épaisseur psychologique d'une demi-sœur de Cendrillon. Quant à Anne, ne nous attardons pas dessus : à l'évidence, Frances O'Connor ne sait pas quoi faire d'elle, aussi chacune de ses apparitions est-elle purement anecdotique, confirmant l'archétype de la benjamine qui fait tapisserie. Comment se vendait le film, déjà ? Féministe ? Oui, bien sûr...
Vient ensuite la personnalité d'Emily elle-même : si le scénario et son interprète Emma Mackey parviennent à rendre compte assez justement de l'expression de ses mondes imaginaires dans son quotidien (notamment les jeux à l'origine du monde de Gondal), le film peine à donner une consistance réelle à l'autrice. Le scénario ne semble vouloir retenir que ses aspects les plus misanthropes (et parfois une certaine immaturité), le tout dans une communion avec la nature qui veut certainement entretenir ce mythe de l'Emily Brontë en perpétuelle fusion avec la lande. Oui, très bien. Mais où sont passés ses animaux ? Où sont ses accès de violence, également bien connus des biographes ? Sans ces nuances, l'Emily de Frances O'Connor passe pour une créature sauvage et gracile, un peu creuse...
W.Weightman, dessiné par Charlotte Brontë.
... et en totale contradiction avec la fougue qui s'éveille au contact de William Weightman, en plein milieu du film. Même si vous n'avez pas eu l'occasion de voir Emily, vous n'êtes certainement pas sans connaître le parti-pris du long-métrage : raconter la passion secrète (et ses nombreuses parties de jambes en l'air dans le foin) de l'autrice des Hauts de Hurlevent, qui lui auraient inspiré son unique roman. Rien, absolument rien ne va dans ce concept. Tout d'abord parce qu'il est de notoriété publique qu'Emily n'a jamais entretenu de relation amoureuse avec qui que ce soit – et encore moins avec Weightman, qui a réellement existé et qui doit actuellement se retourner sous sa pierre tombale. Aussi, il a de nombreuses fois été démontré que tout le talent de cette écrivaine était d'avoir raconté la plus sombre et tragique des histoires d'amour sans pour autant en avoir connu l'expérience sensible. Rappelons une fois encore le propos prétendument féministe du film, qui nie donc l'imagination de l'autrice pour finalement prétendre qu'elle doit son génie... à son histoire d'amour ratée avec un homme.
Nous ferons l'impasse sur le décor du presbytère (filmé tel qu'il est aujourd'hui, au milieu d'un romantique écrin de végétation, alors que l'ambiance était beaucoup plus terne et nue à l'époque des Brontë) pour ne pas être accusés de chipoter. Mais voilà, il y a peu de choses à sauver de ce pseudo-biopic. Retenons quelques points positifs (ouf, il y en a) : outre les costumes de Michael O'Connor (qui avait également conçu ceux du Jane Eyre de 2011) et la superbe bande originale d'Abel Korzeniovski (qu'on a découvert à travers ses compositions pour la série Penny Dreadful), restent un très belle photographie et des scènes inspirées. Parmi celles-ci, impossible de ne pas évoquer la saisissante scène du masque, en clin d’œil au jeu que faisait faire le révérend à ses enfants dans leur jeunesse. Puissante, émouvante et effrayante à la fois, elle constitue à notre sens LE moment mémorable de ce film.
Enfin, on retiendra l'interprétation de Branwell, qu'on reconnait ici moins caricaturale que dans la plupart des lectures proposées de la famille Brontë : le jeune homme y est présenté sous un jour plus sensible sans pour autant oublier sa part d'ombre. La relation entre Emily et lui est subtilement restituée, et les passages qui les mettent en scène ensemble sont parmi les plus touchants du film (notamment le dialogue de part et d'autre du linge étendu, très émouvant), quand il ne font pas écho avec intelligence à certains éléments clefs des Hauts de Hurlevent (à l'image des scènes nocturnes chez les Robinson, rebaptisés Linton pour le clin d’œil).
En bref : Malgré quelques bonnes idées et UNE scène particulièrement mémorable, Emily tombe dans tous les écueils possibles. Sous couvert de raconter une fresque féministe, Frances O'Connor verse dans le cliché, au point qu'elle contredit son propos de départ. Le génie d'Emily Brontë est nié au profit d'un amour fusionnel sans grand relief et les faits réels autant que les éléments biographiques qui font l'intérêt de la célèbre fratrie sont complètement trahis. L'autrice des Hauts de Hurlevent méritait mieux que ce traitement à notre sens un peu trop facile.
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