mardi 5 décembre 2023

La Chambre de pierre et autres nouvelles surnaturelles australiennes - une anthologie proposée par Jacques Finné.

 
Éditions Terre de Brume (coll. Terres Fantastiques), 2023.
 
    C’est vrai qu’elle est loin, l’Australie ! Mais l’éloignement a-t-il un jour empêché les fantômes d’effrayer les vivants ? Gorgée de la ghost story victorienne, la colonie s’en est enivrée. Ils sont là, les spectres vengeurs, quémandeurs, sadiques, voire bienfaiteurs. Et pourquoi pas une ville fantôme… Et pourquoi pas un vampire (bien particulier) ? La littérature fantastique australienne serait-elle alors un simple reflet de la littérature victorienne ? Non, car ces fantômes-ci sont préparés à la mode locale. L’Australie était déjà terre de peurs. Le bush aride, peuplé d’Aborigènes mystérieux, le bush avide d’où bien des explorateurs ne sont jamais revenus, le bush est omniprésent dans le surnaturel australien, avec sa faune et sa flore inconnues, avec ses déserts, avec ses mares d’eau croupie où guette le bunyip, la créature mythologique de ces lieux maudits. Et au-dessus de tout, volettent les spectres des bagnards, les premiers habitants du continent, ceux qui ont bâti les fondements des villes modernes…
    Fantômes de toutes sortes, bush en leitmotiv lancinant, spectres des bagnards-bâtisseurs, le fantastique australien offre décidément bien des saveurs aussi originales qu’enivrantes…
 
***
 
    Les fantômes errent-ils au pays des kangourous ? C'est à cette étrange question que l'auteur, traducteur et critique littéraire Jacques Finné ambitionne de répondre avec ce recueil de nouvelles surnaturelles australiennes unique en France. Les éditions Terre de Brume – longtemps spécialisées dans les mythes et légendes bretons et celtes avant d'étendre leurs publications à d'autres contrées et thématiques de l'imaginaire – nous offrent ici une délicieuse sélection d'histoires de fantômes des antipodes, antipodes dont la littérature (comme la culture au sens large) reste aujourd'hui encore trop méconnue.
 

    En effet, si nous avons découvert la littérature australienne grâce à Kerry Greenwood (Les folles enquêtes de Phryne Fisher / Miss Fisher enquête !) et à Joan Lindsay (Pique-nique à Hanging Rock), avant de nous y intéresser davantage (notamment via Rosalie Ham, Felicity McLean ou encore Sarah Schmidt), tout le monde n'a pas l'occasion de croiser quotidiennement des auteurs du 5ème continent. La raison ? Négligées voire tout à fait oubliées, les lettres australiennes souffrent par extension des mêmes maux que la terre qui les a vu naître : contrée colonisée ("palimpseste", pourrait-on dire), contrée récente, et contrée considérée par tous comme britannique. Bref, amalgamée sans distinction avec le tout-venant de la culture anglo-saxonne. L'Australie, de fait, c'est un peu l'enfant sauvage adoptif (mais indompté) de la Perfide Albion, "le caniveau le plus crasseux du Royaume", crache un insupportable lord dans le film Miss Fisher et le tombeau des larmes.


    Alors au milieu de tout ça, la littérature fantastique australienne, n'y pensons même pas. Et pourtant. Nous avions déjà eu l'occasion, avec Pique-nique à Hanging Rock et Vengeance haute-couture, de parler de gothique australien, qui était bien plus qu'un gothique anglais revu au soleil du bush. Il en est de même pour le registre du surnaturel en général qui, s'il n'émerge qu'à partir du XIXème siècle sur ces terres arides, n'est pas qu'une évocation ensoleillée, désertique et suffocante des victorian ghost stories. Parti à la recherche de textes comme on part en expédition, Jacques Finné fait ici un travail de collecte, de traduction, et d'analyse qui force l'admiration. Admiration suscitée notamment par les passionnantes préfaces et postfaces, mais aussi par les nombreuses notes de bas-de-page (éléments de traduction ou de culture générale) et les biographies détaillées, en fin d'ouvrage, des auteurs et autrices rassemblés dans cette anthologie.
 

    De ces 14 nouvelles, on retiendra principalement des crimes crapuleux doublés de fantômes vengeurs, une configuration furieusement en écho avec la réalité de l’Australie au XIXème siècle, puisqu'elle servait principalement de terres d'expulsion pour des prisonniers anglais. Tiraillés entre le souhait de retourner au pays et la possibilité de s'acheter une exploitation dans le bush après avoir purger leur peine, les anciens criminels se rachètent une conduite et une fortune avant de gagner en même temps la jalousie (et les envies de meurtre) de leurs plus proches amis. Le tout se finit en disparition, jusqu'à ce qu'une manifestation spectrale vienne dénoncer le crime ou, plus effrayant encore, faire justice elle-même. Les nouveaux riches avides de terres lointaines sont aussi représentés dans ce recueil, et subissent le plus souvent des sorts similaires. Les couples n'ont pas la belle vie très longtemps, eux non plus, et le souvenir fantomatique de crimes conjugaux continue longtemps de hanter les murs.
 

    Si les textes australiens sont trop souvent assimilés aux écrits anglais ou confondus avec les textes américains, en matière de fantastique, on doit avouer avoir beaucoup plus frissonner avec cette anthologie qu'avec n'importe quelle histoire de fantôme d'outre-Manche ou d'outre-Atlantique. Fidèlement à une terre où tout est plus brutal et plus violent, le visage de la terreur prend moins le manteau de la métaphore et les oripeaux de la suggestion que dans les autres écrits de souche anglo-saxonne. Le surnaturel australien n'a pas peur de faire dans la sauvagerie, se manifeste sans détour, parfois de manière sanglante, mais toujours avec style et modernité.

 
    Parmi ces nombreuses nouvelles, nos préférences vont à deux récits de vampire très audacieux et délicieusement dérangeants (L'atroce pureté du blanc et La chambre de pierre), au pendant australien de La légende de Sleepy Hollow (Le spectre du Marais Noir, avec son cavalier sans tête), à une histoire de maison hantée racontée avec un sens de la description et de l'évocation tel qu'on voit les images apparaître sous nos yeux (La Maison de nulle-part), et à une affaire d'assassinat quelque part entre spectres réels et fantasmés (Le troisième meurtre). L'aspect sauvage et indomptable de l'Australie y a laissé son empreinte particulière, entre familiarité et exotisme.
 


En bref : Une anthologie aussi inattendue que nécessaire, probablement unique dans l'Hexagone. Jacques Finné sert ici un travail de collecte, de recherches et de traduction qui nous permet de savourer le meilleur du fantastique australien, tout en apportant un éclairage érudit sur cette littérature à part entière. La sélection de textes est de grande qualité et les nouvelles choisies, de vraies pépites. Un régal.
 

Un grand merci à Babelio et aux éditions Terre de Brume pour cette lecture !

1 commentaire:

  1. Un grand merci pour cette gentille critique alors que je déplorais de n'en lire aucune.

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