dimanche 3 décembre 2023

Dracula - Pascal Croci & Françoise-Sylvie Pauly d'après Bram Stoker.

EP Editions (coll. Atmosphères), 2007.
 
    Après l'évocation du personnage historique avec l'archiviste du British Museum, l'écrivain Bram Stoker écrit son récit : "Invité par le comte Dracula, un jeune anglais, Jonathan Harker, va devenir la victime du Prince des Carpates...".
    Dans une atmosphère terrifiante, "la figure du vampire" n'est jamais montrée, car celle-ci est omniprésente sous la forme d'une ombre menaçante, d'une voix, ou d'une tentation morbide...
 
    Nourri à la littérature fantastique et au cinéma gothique, Pascal Croci rend un vibrant hommage au mythe du vampire. Si bien que cet album totalement hors norme et aux graphismes sublimes est à classer parmi les chefs-d’œuvre du genre.
 
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     On a eu l'occasion, par le passé, de tomber sur plusieurs bandes-dessinées adaptées du roman de Bram Stoker. Si toutes présentaient un intérêt certain (qu'il soit graphique ou scénaristique), aucune n'était aussi réussie que celle de Pascal Croci et Françoise-Sylvie Pauly, publiée chez EP en 2007. On se rappelle l'avoir achetée immédiatement après n'avoir feuilleté que quelques pages au beau milieu de la librairie, des pages dont les visuels nous avaient de suite hypnotisé. Cette impression est aujourd'hui toujours aussi vive lorsqu'on le sort de notre bibliothèque pour admirer les planches de Pascal Croci, dont l'amour pour le mythe de Stoker transparait à travers la plume et le pinceau.
 

    Projet mûri pendant près de vingt ans par l'illustrateur, ce Dracula donne toute sa justification à l'appellation de "neuvième art", tant les images se réclament de véritables tableaux. Pascal Croci raconte dans un dossier en fin d'album les origines de cette création, nourrie dans l'enfance par la lecture du roman de Stoker (ainsi que la fascination exercée à l'époque par la couverture du livre aux éditions Marabout, qui lui a inspiré quelques planches du présent ouvrage) et par son visionnage de films tels que La marque du vampire ou Le bal des vampires, qui ont tout particulièrement infusé son imaginaire.
 

    Plus qu'une bande-dessinée classique, il s'agit-là davantage d'une sorte de roman graphique. Les bulles, en effet, sont rarement là pour donner la parole aux personnages illustrés, mais reprennent principalement la narration du texte de Stoker, comme une voix off qui accompagnerait les images. Des images dans lesquelles on voudrait se perdre. Loin des scènes très pragmatiques auxquelles l'Art de la BD a habitué ses lecteurs, Pascal Croci propose de gigantesques paysages et panoramas, tous couverts d'une épaisse couche de neige qui renforce le sentiment de frisson.


    Les cadrages, dignes du cinéma fantastique, vacillent et basculent, participant encore un peu plus à cette impression de délicieux vertige. Les personnages, grandes silhouettes aux visages pâles et émaciés, laissent claquer leur robe ou redingote au gré du du vent, tandis qu'ils défilent entre les tombes d'un ancien cimetière ou dans les ruines d'un vieux château. Ils errent, groggys, au milieu de ces grandes étendues de poudreuses et de vieilles pierres, où les sculptures d'angelots et de vierges semblent s'animer en cachette ou dissimuler dans leurs ombres des créatures sournoises toutes en griffes et dents. L'ensemble est coloré dans des teintes froides qui évoqueraient presque le noir et blanc des vieux films, mais où se démarquerait le rouge écarlate du sang. On songe à la photographie des meilleurs Burton, Sleepy Hollow et Sweeney Todd en tête.

 
   Nourris de voyages en Roumanie et en Angleterre, Pascal Croci et sa compagne Françoise-Sylvie Pauly (qui a participé au scénario et signe également quelques planches, en milieu d'ouvrage) proposent ici une expression poétique et artistique du roman de Stoker. Le plus bel hommage au texte d'origine réside par ailleurs dans l' "absence" de Dracula : celui qui n'avait pas voix au chapitre dans le roman n'apparait ici jamais vraiment sur les planches. Il est une voix, le plus souvent. Parfois une ombre, dont on devine les mains griffues qui s'étalent, sans fin, sur les murs ou les moulures du château. Son omniprésence, glissée en creux, provoque une terreur froide renforcée par tout ce que la BD s'amuse à suggérer sans jamais le montrer frontalement, laissant l'inconscient du lecteur faire le reste.


En bref : Une version illustrée magnifique de l'histoire imaginée par Stoker. Dans une esthétique froide et hypnotique, les longues silhouettes aquarellées de Pascal Croci mettent en scène le roman original avec une densité jamais atteinte auparavant. Les paysages couverts de neige, les ruines et les tombes abondent d'une page à l'autre et nous capturent dans un univers aussi glacial que séduisant. Dracula, que l'on ne voit jamais à l'image, reste pourtant omniprésent grâce à un audacieux jeu de cache-cache où auteur, illustrateur et autrice s'amusent avec notre inconscient. Superbe et terrifiant à la fois, un vrai coup de cœur. 


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