dimanche 10 novembre 2019

Le mystère des profondeurs (Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec #8) - Tardi.

Casterman, 1998, 2010, 2018.


  Paris, 1922. Non loin de la gare de Lyon, un règlement de comptes entre malfrats et policiers provoque quelques remous auxquels se trouve bientôt mêlée Adèle Blanc-Sec, ses ennemis de toujours ainsi que bon nombre de celles et ceux qu'elle a pu croiser lors de la décennie précédente. Des tours du palais de justice aux Invalides en passant par le Cimetière du Père-Lachaise et son accès aux profondeurs insoupçonnées de la capitale, le ballet qui se met dès lors en place est étrangement rythmé par l'apparition de limules issus d'un autre âge. 


*** 


  Paris, 1922 : Nous retrouvons Adèle deux ans après la fin des événements racontés dans Tous des monstres! La jeune femme tente vainement de calmer une horrible rage de dent en s’enivrant de Pisco tandis qu'au-dehors, la ville est secouée par bien du grabuge. Le "Dentiste", un criminel arrêté dix ans plus tôt, vient d'être libéré et voilà déjà que les membres de son ancienne bande son décimés un à un. Le rapport avec Adèle? Aucun, si ce n'est que cette dernière reçoit un appel au secours de Chalazion et que, voulant le retrouver pour lui porter assistance avant de trouver un dentiste pour soigner sa dent, elle trouve sur sa route... "LE" Dentiste. Ajoutez à cela la disparition étrange de Fia, la jalousie meurtrière de son ex-femme, Georgette Chevillard, à l'encontre d'Adèle, et l'apparition dans Paris de limules plus ou moins gros, et voici notre héroïne embarquée dans une nouvelle affaire.


  Tardi revient à ses premières amours : après la pause loufoque de Tous des monstres!, ce huitième tome s'inscrit de nouveau dans la veine des romans-feuilletons qu'il mettait à l'honneur de façon pastichée dans le premier cycle de la série. Comme dans les premiers opus également, plusieurs intrigues se croisent (d'un côté, une histoire de malfrats digne d'un roman pulp, de l'autre, l'invasion de limules dans la ville, et entre les deux, la disparition de Chalazion et la folie meurtrière de Georgette Chevillard). Adèle n'a encore une fois pas tous les tenants et aboutissants de l'affaire dans son ensemble et part à la recherche de Chalazion sans en avoir vraiment envie et sans savoir que cela la conduit au devant de dangers dont elle se passerait bien...

Le Dentiste, de son vrai nom Léon Dandelet...

  Ce paradoxe déjà évoqué entre sa vie d'aventurière et un profil plutôt casanier s'accorde à merveille avec le ton encore plus léger initié depuis quelques tomes : Adèle part à l'aventure, se dit que c'est complètement ridicule d'accepter des rendez-vous louches dans des lieux déserts, et manifeste plusieurs fois l'envie de rentrer se mettre sous la couette dès que ses péripéties commencent à l'agacer. Il faut dire qu'après avoir cumuler les ennemis, elle devient désormais victime de la jalousie meurtrière des femmes qu'elle croise sur son chemin, mais face à qui elle ne se laisse jamais faire bien longtemps : un coup de parapluie, une gifle dans la figure et une ou deux réparties bien choisies, elle a tôt fait de les renvoyer dans leurs dix-huit mètres.

  Aussi, dans la lignée de cette liberté langagière propre à notre chère Adèle, et même si le ton est plus rigoureux que dans le volume précédent, Tardi s'en donne à cœur joie dans les dialogues et les répliques : les insultes les plus grossières ou les plus ridicules sont exprimées à des moments qui devraient être du plus grand sérieux, les personnages se chicanent pour des histoires de prononciation ou de syntaxe alors que l'instant est autrement plus grave. Bref, Tardi n'a pas tout a fait quitter ce ton de l'absurde qui l'amuse décidément beaucoup depuis quelques années.

Un vrai limule...

  Si le méchant de cette histoire n'est pas un savant fou, Le mystère des profondeurs voit apparaître le premier savant de l'histoire de la série qui œuvre pour le bien (même si ce sera très bref, eh ouais...), et le premier monstre qui existe réellement, ou du moins qui existe encore. Après avoir ressusciter des créatures préhistoriques ou fait endosser des masques de démons à des meurtriers bien humains, Tardi envahit ici les égouts de Paris de centaines de limules. Les limules sont des arthropodes marins dont certaines espèces existent depuis plus de 150 millions d'années et dont le sang bleu intéresse particulièrement les scientifiques pour ses propriétés médicinales. Tardi fait un vague clin d’œil à ces récentes découvertes en prétextant ici que les mandibules de limules peuvent sauver des vies (objet de recherche du fameux savant évoqué plus haut).

  Tardi fait également un clin d’œil appuyé à un autre loisir populaire que le roman-feuilleton, aussi très apprécié en ce début de XXème siècle : le cinématographe. En habillant Georgette Chevillard d'un masque et d'un justaucorps noir pendant ses escapades sur les toits, l'auteur-illustrateur fait bien évidemment une référence visuelle à l'héroïne du film Les vampires, de Louis Feuillade (1915).


  Ultime détail – et non des moindres : alors qu'on pensait en savoir suffisamment sur Adèle (ou en tout cas, alors qu'on pensait ne plus en apprendre plus à ce stade de la série), ce tome viendra lever le voile sur la famille de l'héroïne, avec quelques révélations à la clef...

En bref : Une histoire un peu plus classique et mesurée pour ce huitième tome de la série. Mais le retour aux premières amours de Tardi ne l'empêche pas de s'adonner avec plaisir aux calembours, jeux de mots et autres contrepèteries qui l'amusaient tant dans l'esprit vaudevillesques des derniers opus. Ce tome présente également l'intérêt de renseigner le lecteur un peu plus sur le passé d'Adèle et sur ses origines familiales...





Et pour aller plus loin...

Le fantôme de l'Opéra - C.Washbourne d'après Leroux, illustré par H.Druvert et interprété par Domitille & Amaury sur une musique de M.Demais.

De La Martinière Jeunesse, 2015.

  Depuis qu’elle est petit rat, Meg visite l’Opéra. Elle s’aventure partout où elle a le droit, et partout où elle n’a pas le droit. Dans un couloir secret, elle rencontre le fantôme de l’Opéra. Il pleure : Christine, ne l’aime pas. La belle cantatrice va épouser son amoureux Raoul ! Un soir, alors que Christine chante sur scène, elle disparaît mystérieusement. Meg est déjà sur sa trace. Fidèle à l’œuvre de Gaston Leroux, cette adaptation en propose une réécriture simple et imagée, en musique et chansons.

  Fidèle à l’œuvre de Gaston Leroux, cette adaptation en propose une réécriture simple et imagée, en musique et en chansons. 

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  Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, j'affectionne tout particulièrement les adaptations de grands classiques sous forme d'albums à destination du jeune lectorat. Ces transpositions offrent plus que jamais la chance pour les plus jeune d'accéder sous une première mouture adaptée à de grandes œuvres littéraires. Après avoir présenté l'an dernier un album merveilleusement illustré inspiré du Fantôme de l'Opéra de Gaston Leroux, voici une autre version destinée aux 5-6 ans, doublée d'une dimension musicale

  Cet album est écrit par Catherine Washbourne, grande amoureuse de la scène puisque cette ancienne actrice est aujourd'hui connue pour ses adaptations scéniques de classiques de la littérature jeunesse. Après avoir transposé Oh, Boy de M.A.Murail pour le théâtre, écrit plusieurs pièces, un roman, et réalisé un court-métrage, elle adapte le célèbre roman feuilleton de G.Leroux pour les enfants. Pour cela, elle s'entoure d'une ribambelle d'autres artistes qui participent à élever cette histoire bien au-delà des mots...


  A la mise en images, on retrouve Hélène Druvert ( Un petit tour avec Mary Poppins, présenté sur le blog l'hiver dernier ), spécialiste de la découpe façon kirigami, habituée à ciseler les formes et les silhouettes en 2D ou en 3D. Pas de travail sur le papier ou sur le relief pour ce Fantôme de l'Opéra, mais on reconnait bien la subtilité et l'élégante sobriété de son style, entre les ombres baroques des lustres et des toits de l'opéra Garnier et les couleurs contrastées qui délimitent les personnages et les décors. L'univers, mystérieux et doux à la fois, est parfait pour la tranche d'âge visée.


  Cette réécriture du célèbre mythe de Gaston Leroux aborde l'histoire par le personnage de Meg Giry, qui, probablement rajeunie pour créer une identification avec le petit lecteur ou la petite lectrice, échappe à la vigilance de sa mère (Madame Giry, l'ouvreuse) entre deux cours de danse pour fouiner dans les recoins du palais Garnier. C'est ainsi qu'elle entend une dispute d'amoureux entre la chanteuse Christine et Raoul, ou surprend la jeune cantatrice dans sa loge discutant avec... le célèbre fantôme de l'opéra! Meg rencontrera même le fantôme dans les sous-sols et ira à sa poursuite pour libérer Christine lorsqu'elle sera enlevée sur scène.


  Le texte reprend les passages les plus célèbres du roman original : la réservation de la loge numéro 5, la voix du fantôme qui se fait entendre dans la loge de Christine, le rendez-vous des amoureux sur le toit de l'opéra, la chute du lustre ou encore la Carlotta qui crache des crapauds (manquent cependant la scène du bal masqué et l'apparition du fantôme vêtu en Mort Rouge). Simplification oblige, les relations entre les personnages, leur histoire ou leur psychologie sont évidemment beaucoup moins développées (par exemple, Christine est déjà une chanteuse renommée au début de l'histoire et témoigne d'emblée de l'hostilité à l'encontre de la Carlotta, ou encore, elle forme déjà un couple avec Raoul), les personnages se tutoient (ce qui est peu conforme à l'époque et m'a fait tiquer à plusieurs reprises, mais rappelons que nous sommes dans un texte qui s'adresse aux 5-6 ans), et les péripéties s'enchainent beaucoup plus vite. Aussi, l'importance du personnage de Meg dans cette version fait d'elle l'héroïne de l'histoire, celle qui sauve Christine et Raoul du fantôme en fin d'album.


  L'excellente idée de ce superbe livre est de mettre l'accent sur les aspects romantiques et mélancoliques de l'histoire, faisant du Fantôme un personnage de l'ombre, triste et amoureux, qui évoque celui de la célèbre comédie musicale d'A.L.Webber (et non plus le fou meurtrier du roman de Leroux). Ceci dit, cela semble poser un problème de taille dans cette réinterprétation : parce qu'il reste l'antagoniste principal et par respect pour le roman initial, les héros doivent lui échapper ; mais parce qu'il n'est pas vraiment diabolique non plus, l'auteure semble ne pas vouloir lui imposer une fin tragique, aussi élude-t-elle tout bonnement et simplement ce qui lui arrive à la fin... et ça, même en admettant qu'on s'adresse à de jeunes lecteurs, ça manque un peu, non?


  Dimension non négligeable : l'album est accompagné d'un CD de trente minutes interprété par Domitille et Aumary sur une musique de Marc Demais. Ce trio né en 2012 met en chant et en musique de célèbre textes littéraires ou poèmes francophones à destination des enfants dans un style léger et poétique, sur fond de mélodies tintinnabulantes. Les deux voix s'accordent et s'équilibrent parfaitement, aussi bien pour narrer le texte de C.Washbourne que pour les chansons qui ponctuent l'histoire. L'ensemble, bien plus qu'un simple album ou qu'un conte sonore, a quelque chose d'un spectacle musical sur papier, onirique et joliment fignolé.

En bref : Album musical poétique, cette transposition du Fantôme de l'opéra superbement mise en image par Hélène Druvert est un petit bijou visuel et sonore à faire découvrir aux petits lecteurs et lectrices. On regrette que l'histoire se termine un peu abruptement, mais cet ouvrage reste une merveilleuse façon de faire découvrir ce classique aux plus jeunes. 

 

vendredi 8 novembre 2019

Tous des monstres ! (Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec #7) - Tardi.

Casterman, 1994, 2010, 2018.




  Nous retrouvons une fois encore dans cet épisode les thèmes, chers à Tardi, qui ont fait le succès des précédents albums des Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec : meurtres, disparitions, monstres, ... Ayant enfin été retrouvée par le Professeur Dieuleveult, Adèle va devoir lutter pour échapper à ce sinistre individu qui ne souhaite qu'une chose : sa mort.




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  Il aura fallu dix ans à Tardi pour écrire et illustrer ce septième album, soit le premier grand hiatus de la série. Tel qu'annoncé à la fin du Noyé à deux têtes, ce nouvel épisode porte le titre prometteur de Tous des monstres! ; on y retrouve Adèle au lendemain du 11 novembre, soit à peine quelques heures après la dernière case du tome précédent...

  Le 12 novembre 1918, Paris se réjouit de la fin de la guerre, à la une de tous les journaux. Adèle, elle, ne s'intéresse qu'aux rubriques faits divers qui relatent les horreurs de la nuit précédente : des suicides de clowns, un attentat politique, et l'apparition d'une gigantesque créature tentaculaire. Son autre préoccupation de la journée : rendre visite à son éditeur pour revoir ses contrats. La demoiselle a passé six ans dans un bloc de glace, mais hors de question de passer à côté de ses droits d'auteur maintenant qu'elle est de retour. On lui propose une réédition illustrée de ses précédents ouvrages, mais, horreur, l'illustrateur a remplacé le ptérodactyle de son premier best-seller par... des tentacules! Les mêmes que celles qui apparaissent un peu partout dans Paris depuis deux jours? Étrange. Horrifiée, Adèle a dans l'idée de dire au dessinateur, un certain Monsieur Fia, ce qu'elle pense de ses élucubrations artistiques, sans savoir que cela va la plonger au cœur d'une nouvelle affaire : Fia, c'est justement cet individu qui n'est jamais loin quand le mollusque géant surgit de nulle part. Officiellement tombé au champ d'honneur, l'homme est revenu traumatisé de guerre avec la capacité de donner vie malgré lui à ces tentacules par la seule force de sa pensée lorsqu'il est pris d'angoisse. Ce pouvoir semble attirer la convoitise de bien du monde, dont un savant fou qu'on croyait disparu, et qui espère en faire une arme de destruction massive pour enfin se débarrasser d'Adèle (et accessoirement remettre le Tsar sur le trône).


  Après les monstres à la Mary Shelley ou façon Dr Moreau, Tardi fait de nouveau un clin d’œil à Jules Verne avec ces tentacules géantes qui ne sont pas sans rappeler le calamar de 20000 lieues sous les mers (on entrevoit aussi un petit sous-marin qui n'est pas sans évoquer le Nautilus). La seule différence est que cette fois, ce monstre n'a pas d'existence propre : manifestation de la psyché torturée d'un traumatisé de guerre, cette créature a été suggérée à Tardi par un lecteur qui lui avait raconté à quel point l'apparition d'un monstre tentaculaire dans Le démon des glaces l'avait hanté durablement. Cette confession avait particulièrement inspiré l'artiste, qui utilise donc l'image du monstre comme l'expression cathartique de la peur. Afin d'aller plus loin dans cette idée, Tardi invite plusieurs collègues dessinateurs à jouer les guest stars pour glisser ça et là des "monstres" issus des terreurs enfantines des protagonistes de la BD : Face aux tentacules, tous se remémorent leurs propres croques-mitaines qui prennent vie sous les coups de crayon de Gotlib, Enki Bilal et consort.


  Cette farandole de créatures imaginaires, une espèce d'artiste mystique (celui qui se déplace en Nautilus), proposera de les exorciser au cours d'un concert incantatoire, sorte de cabaret de l'inconscient qui verra les forces mentales de tous conjuguées en un feu d'artifice monstrueux totalement kaléidoscopique. Un univers déjanté qui, allié à la nouvelle dynamique instaurée depuis le tome précédent, fini d'asseoir les codes de ce second cycle de la saga d'Adèle Blanc-Sec : consciemment ou non, Tardi épouse plus que jamais l'esprit extraverti des Années Folles dans lesquelles vient d'entrer la France, et il est impossible de ne pas penser à la culture artistique du surréalisme voire même du dadaïsme. Le scénario de ce septième tome, dans le même esprit, est tout bonnement vaudevillesques : les personnages se croisent et se cherchent sans jamais vraiment se mettre la main dessus, le tout ponctué de réparties cinglantes ("Faut pas se gratter quand on a la varicelle" dit Adèle à un Dieuleveult au visage rongé par l'acide).

Adèle aux prises avec son éditeur...

  Adèle reste encore la seule à ne pas sombrer dans la folie, même si Tardi fait intervenir de nouveaux personnages plus équilibrés que ne l'est par exemple devenu ce lamentable Simon Flageolet, qui n'est plus que l'ombre de lui-même. L'illustrateur Fia, pour qui l'auteur semble éprouver une franche sympathie, semble aussi le seul envers qui Adèle témoigne ce qui ressemble à un semblant d'amitié (et ce malgré les reproches qu'elle lui adresse : "C'est à l'Assemblée Nationale qu'il faut aller faire du portrait, au lieu de saloper mon feuilleton!", "Il y a une chose que je tenais à vous dire avant tout, M.Fia... Je n'aime pas vos dessins, M.Fia!").


  Si on apprécie de visiter de nouveau le Paris rétro de façon illustrée (le parc des Buttes-Chaumont, décor principal de ce tome, sera votre prochaine destination touristique une fois l'album refermé), on ne peut nier l'évolution graphique de l'illustrateur : son coup de crayon s'est fortement "empâté" depuis les débuts d'Adèle. Le trait plus épais, les personnages plus ronds... ceux qui n'étaient pas fans du style initial de Tardi risquent de ne pas être davantage séduits par la tournure de ses dessins...

 Un p'tit coup de vieux, Adèle?

En bref : Est-ce dans l'évolution logique de la série ou est-ce que Tardi décide soudainement de parodier son propre univers? Il y a en effet dans ce septième volume quelque chose de vaudevillesque (avec des monstres), qui pourra surprendre mais dont la lecture peut avoir, contre toute attente, quelque chose de jubilatoire.





Et pour aller plus loin...

jeudi 7 novembre 2019

Les talons rouges - Antoine de Baecque.

Stock, 2017 - Le livre de poche, 2019.

  Juin 1789, l’Ancien Monde bascule. Les Villemort forment une longue lignée d’aristocrates, un clan soudé par l’idée ancestrale de leur sang pur, un sang dont précisément cette famille se délecte. Les Villemort, ces « talons rouges », sont aussi des vampires. Deux d’entre eux veulent renoncer au sang de la race pour se fondre dans la communauté des égaux. Ils sont les héros de ce roman oscillant entre le fantastique et le réel des journées révolutionnaires. Voici William, l’oncle revenu d’Amérique, qui a pris là-bas le goût de la liberté et épouse la cause des esclaves affranchis, s’entourant d’une garde couleur ébène. Voici Louis, le neveu exalté, beau, précipité dans l’action révolutionnaire, épris de Marie de Méricourt jusqu’à lui donner la vie éternelle. Comment échapper à la malédiction venue du fond des âges ?

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  C'est tout à fait par hasard que je suis tombé sur ce livre, peu de temps avant notre Challenge Halloween cuvée spéciale France obscure : la Révolution française? Des vampires? Mais c'est parfait ça! Premier roman d'Antoine de Baecque, Les talons rouges n'est cependant pas la première production écrite de l'auteur, essayiste spécialiste du cinéma et historien de renom. Son thème de prédilection, la Révolution française, a déjà fait l'objet d'une trilogie documentaire adaptée de sa thèse universitaire et sa bibliographie est on ne peut plus impressionnante.

Antoine de Baecque.

  Le postulat de base du roman Les talons rouges a de quoi séduire : mêler Histoire française et vampirisme, le tout par un spécialiste de la Révolution, laisse rêveur quant à la qualité de l'intrigue et à sa véracité. D'ailleurs, admettons qu'il y a dans ce livre quelque chose qui relève d'un certain tour de force : relater avec une exactitude de la plus grande érudition les événements socio-politiques survenus entre 1789 et 1797 par le prisme d'une famille d'aristocrates vampires, d'emblée, c'est prometteur. Fort est de constater que le début du roman tient ses promesses.

  L'auteur plante un décor tout ce qu'il y a de plus rigoureux, qui confère une réelle densité à son roman. Les amateurs et spécialistes d'Histoire y trouveront leur bonheur : entre les événements annonciateurs de la révolte, les passages mettant en scène un Louis XVI et son épouse sur le déclin, ou l'effervescence des tribunes, Antoine de Baecque dresse un véritable tableau vivant du Paris de la Révolution. Certaines scènes, à l'image de la prise des Tuileries, sont décrites dans les moindres détails avec à la fois le talents de l'historien et les effets de style du romancier. Parallèlement à cet axe narratif criant de vérité, l'auteur amène avec doigté ses protagonistes fictifs et leur caractéristique, disons, très... spéciale : les Villemort (dont le nom est déjà tout un programme), cette famille de nobles, de "talons rouges" (Sous l'Ancien Régime, les talons de souliers colorés en rouge étaient réservés à la haute noblesse), est marquée du sceau du vampirisme depuis que le patriarche Henry de Villemort s'est relevé de la tombe en 1611. 

Prise des Tuileries en 1792.

  Si tous les membres de la famille Villemort ont réussi à se fondre dans la masse au point de ne plus souffrir des particularités les plus importunes inhérentes à la race des vampires, cette condition reste un poids pour certains des plus jeunes de la lignée. A une époque où la condition des nobles se voit remise en question, William de Villemort et son neveu Louis, libertaires dans leur espèce comme en politique, décident de s'affranchir de leur rang comme de leur sang. Tous deux décident de s'engager dans la Révolution en faveur d'une république et espèrent en même temps s'adapter à un mode de vie plus commun, c'est à dire plus humain. Dès lors, la question du vampirisme dépasse la simple anecdote et prend des allures de métaphore : qu'il s'agisse de cette malédiction dont Louis et Henry souhaitent s'émanciper, ou de l'apanage des nobles à cette date remis en cause, tout est question de transmission par le sang et de la transition d'un monde ancien vers un monde nouveau. Mais comme le dit le vieil adage, bon sang ne saurait mentir.

  En plus de la force symbolique de son intrigue, Antoine de Baecque dresse des personnages fouillés dont les multiples facettes ne sont pas sans évoquer le romantisme (dans le sens littéraire premier du terme) des protagonistes d'Anne Rice, lorsque cette dernière s'adonne elle-aussi aux histoires de vampires sous l'Ancien Régime. Cependant, on ne peut nier que, contrairement aux écrits de sa consœur américaine, Les talons rouge s'essouffle bien trop rapidement avant la fin. Les scènes de sexe, souvent gratuites et inutilement orgiaques, s'accumulent comme pour retenir l’œil du lecteur amateur de libertinage qui se serait égaré en ces pages, et l'équilibre initialement instauré entre Histoire et fiction s'effondre. Quel intérêt de faire de ses personnages des vampires et de si bien en parler pendant le premier tiers du livre si c'est pour tomber subitement et exclusivement dans la chronique historique? Si l'on avait voulu un regard strictement documentaire sur la Révolution, on se serait contenté d'un essais sur le sujet... C'est fort dommage, car on se trouve à ramer jusqu'au dénouement, celui-là étant d'ailleurs parfait (les dernières lignes sont impeccables et la chute, incisive) mais l'ensemble nous laissant un peu las.

Les talons rouges, symbole du chic aristocratique.

En bref : En dépit d'un postulat de base prometteur (mêler fiction vampirique et chroniques de la Révolution française, le tout par la plume d'un historien), Les talons rouges s'essouffle de ne pas maintenir l'équilibre entre les différents univers qu'il exploite jusqu'à son terme. Il y avait pourtant de très bonnes choses, principalement dans la métaphore que l'auteur dressait entre la condition de l'aristocrate et du vampire.

mercredi 6 novembre 2019

Le noyé à deux têtes (Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec #6) - Tardi.

Casterman, 1985, 2009, 2018.


  Paris, 11 novembre 1918. Du canal Saint-Martin à la gare du Nord en passant par les Halles centrales, d'effroyables tentacules rouges sèment la terreur et la mort. Leur apparition est toujours commentée de la même façon par un homme étrange coiffé d'un feutre noir dont la route, en ce jour d'Armistice, croise par ailleurs celle d'Adèle Blanc-Sec, de Lucien Brindavoine et d'une foule d'individus plus étonnants les uns que les autres dont certains semblent s'être donné rendez-vous au Cirque d'Hiver. 


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  Quatre ans avoir avoir ramené Adèle à la vie dans un tome 5 pour le moins étrange, Tardi remettait le couvert avec ce sixième volume des aventures de la plus émancipée des feuilletonistes de la Belle Époque. Belle Époque?... Peut-être plus pour très longtemps.

 Des tentacules géantes apparaissent dans Paris... Effrayant, au point de faire s'écarquiller les yeux de notre héroïne!

  Nous sommes le 10 Novembre 1911 et Paris est plongé dans la nuit. Adèle vient de se réveiller d'un sommeil artificiel de six ans et se voit raccompagnée chez elle pas Lucien Brindavoine, son "prince charmant" pas si charmant : une tentative de séduction maladroite aura raison de lui et notre Adèle aura vite fait de lui claquer la porte au nez. Chez elle, elle découvre plusieurs années de courrier jamais ouvert et dévore en une nuit autant de temps de presse française pour mieux comprendre cette guerre qui s'est déclenchée au-dehors. Alors qu'elle s'apprête à s'adonner à son activité favorite (un bain – chaud, celui-là), elle découvre dans son armoire à lotions des nains siamois endormi, en train de siroter du Sidi-Brahim dans un bock à lavement! Avec lui, une lettre adressée à Adèle, la prévenant d'un horrible complot qu'elle seule pourra peut-être arrêter. Serait-ce en lien avec les véritables origines de la Première Guerre mondiale, comme le prétend la missive? Avec ses pendaisons suspectes de clowns dans Paris? Ou encore avec les apparitions de tentacules géantes dans la ville? Le temps de se trouver une tenue à la mode de 1918 et voilà qu'Adèle part à la recherche des réponses, en pleine journée du 11 Novembre...

 Le retour de l'iconique scène du bain dans la BD...

  Quel plaisir de retrouver une Adèle pleine d'énergie, d'ironie et de gouaille, et surtout bien vivante! Fidèle à elle-même, elle a tôt fait d'expédier le prétendant trop pressant qu'est Brindavoine pour s'en retourner à la quiétude de son appartement parisien. Si elle se trouve rapidement embarquée dans une affaire mystérieuse encore une fois presque malgré elle (mais elle l'admet de nouveau à plusieurs reprise dans ce volume : elle ne peut pas s'en empêcher), elle fait partie intégrante de l'action. Changement d'époque oblige, elle s'empresse au matin du 11 Novembre de trouver (avec difficulté, étant donnée la situation socio-historique de 1918) chapelier, modiste et coiffeur pour se mettre à la mode avant de commencer tout début d'investigation : exit le chignon sous son chapeau à plumes et les grands manteaux sur les robes longues. Adèle se coupe les cheveux à la garçonne et porte un chapeau cloche presque trop sobre pour elle tandis que veste et jupe se raccourcissent. Elle garde cependant de son ancienne garde-robe quelques empiècements en fourrure et sa couleur verte fétiche. Ainsi parée, elle se lance dans l'aventure sans trop savoir ce qui l'attend.

La presse : excellent moyen de rattraper le temps perdu...

  L'aventure en question s'inscrit dans une dynamique proche du tome précédent : une sombre affaire de complot politique que viennent égayer des touches d'exubérante fantaisie, celle-là étant principalement amenée par le monde du cirque dans lequel évolue l'histoire (et un univers de monstres de foire à la Freaks de T.Browning). On s'est clairement éloigné de l'atmosphère des premiers tomes et il ne fait aucun doute qu'on vient de mettre les pieds dans un nouveau cycle de la série. A travers Adèle qui pose un regard distancé sur les quatre années de guerre qui viennent de s'écouler, Tardi en profite pour véhiculer sa critique du conflit mondial et positionner politiquement son personnage, ce qu'il n'avait jamais vraiment fait auparavant. Libertaire et subversive, Adèle laisse deviner tout ce qu'elle pense de la république lorsqu'elle manque de faire un malaise après avoir pris par accident le drapeau français sur la tête. Quoi qu'un peu déstabilisante de prime abord, cette orientation nous plait : elle s'accorde avec logique à cette anti-héroïne et la rend plus réelle, nous offrant au passage de belles et cinglantes punchlines.

Adèle manque de suffoquer sous le drapeau tricolore. Ou de mourir de honte.

  Par ailleurs, ce paradoxe (une aventurière qui n'a pas envie de sauver le monde, et encore moins son pays) donne toute sa saveur à la résolution de cet album : après avoir couru à droite et à gauche pour éclaircir le mystère dans lequel on l'a embarquée, Adèle tourne les talons! On a fait appel à elle pour des questions d'ordre politique, et c'est bien un domaine dont elle se contrefiche. Tardi privilégie une chute absurde à la logique dramatique de son scénario, posant à partir de ce sixième tome l'esprit qui marquera les prochains volumes. Dans cette optique, les personnages qui gravitent autour d'Adèle sont de plus en plus malmenés par l'auteur-illustrateur : parmi les "anciens", Flageolet est résolument perdu pour la science, et pour ce qui est des "petits nouveaux", Tardi introduit un nouveau personnage de policier qui relève guère le niveau de son prédécesseur (l'occasion de dire aussi tout ce qu'il pense des fonctionnaires).


  Restent de l'esprit du roman-feuilleton la narration ironique et enchevêtrée, ainsi que les événements qui se déroulent en arrière plan de l'intrigue souche : les apparitions de tentacules géantes dans la capitales, celles d'un homme sombre et mystérieux qui semblent coïncider avec les attaques du céphalopode, et un ennemi inconnu qui, dans l'ombre, semble bien décidé à éliminer Adèle pourtant à peine revenue d'entre les morts. Autant de questions en suspens qui, comme nous annonce la fin de l'album, seront révélée dans le volume suivant : "Tous des monstres".

En bref : On retrouve avec ce sixième tome une énergie qui nous avait manqué dans le volume précédent, principalement amenée par Adèle qui reprend sa place de personnage principal. La tonalité de cet opus pose les bases du nouveau cycle dans lequel entre la série : regard caustique sur la politique et traitement absurde des situations et des personnages. Seule Adèle reste égale à elle-même et c'est pour cela qu'on veut savoir ce qu'elle va devenir dans ce nouveau Paris fraîchement libéré de 1918!




Et pour aller plus loin...

dimanche 3 novembre 2019

Gourmandise littéraire : la cédratine confite de Tante Eudoxie.




  A l'occasion de cet Halloween spécial France Obscure, il était nécessaire de faire le point sur une recette de sorcière toute française. Pour cela, il suffit de plonger dans La trilogie des Charmettes, du célèbre Eric Boisset (connu pour sa trilogie d'Arkandias). Dans cette saga mêlant à la fois magie et esprit écolo, quatre jeunes sorcières appréhendent sous la houlette de tante Eudoxie la magie naturelle pour lutter contre la maléfique mademoisse d'Abbeville, qui a réussi à allier sorcellerie et nouvelles technologies. 
   Aussi, entre deux combats ou entraînements de magie, Jeanne, Iris, Mina et Victoire retrouvent Eudoxie au domaine des Charmettes. Également sorcière, cette dernière a un don particulier avec les plantes et fruits magiques qu'elle fait pousser dans sa serre. Qu'elle créé des onguents, remèdes, ou tout simplement des mets délicieux, Eudoxie a la main verte et est fin cordon bleu...

  Il y a quelques années, nous avions déjà recréé trois de ses plus fameuses recettes végétariennes. Cette fois, penchons-nous sur une recette de confiture d'un genre particulier : la cédratine confite...




" L'assortiment de confitures donnait le tournis. Il y avait des classiques – myrtille, abricot, et orange amère – mais aussi des créations plus personnelles de tantines, comme la marmelade de mirobolants, les cédratines confites, et la gelée d'estérelles, confectionnées avec les fruits hybrides de la serres. "

La trilogie des Charmettes, tome 2 " L’œil du mainate", E.Boisset.


  Mais qu'est-ce qu'au juste que la cédratine? L'auteur nous indique qu'il s'agit des fruits hybrides de la serre des Charmettes. Qui a lu cette saga sait en effet que, non contente d'utiliser des plantes traditionnelles, Eudoxie parvient à faire pousser de nouvelles variétés. Cependant, impossible de ne pas penser au cédrat, dont la cédratine est le nom habituellement donné à la liqueur! La cédratine serait-elle une variante de ce célèbre agrume? On sait également qu'on peut en faire une confiture unique au goût proche de la confiture d'orange amère, justement évoquée plus haut.
  N'ayant pas les connaissances en botanique et en magie d'Eudoxie, nous devrons faire avec ces suppositions et vous proposer une recette à base de cédrat (probablement très proche de l'originale, cela ne fait aucun doute).

  Le cédrat est un agrume très ancien, proche du citron dont il est souvent présenté comme l'ancêtre. Fruit ovale à la peau rugueuse, le cédrat se distingue par sa taille : il peut mesurer jusqu'à 25 cm de long et peser jusqu'à 4 kg. Originaire des pays chauds, cet agrume se consomme rarement tel que mais se destine à être confit ou transformé en liqueur. On en trouve une variété en Corse, où le cédrat est l'une des spécialités de l'île de beauté. 



Ingrédients:

- Environ 2 kg de cédrats
- 2 kg de sucre
- Jus de citron

A vos chaudrons!

- Laver les cédrats et bien les frotter à la brosse à légume pour ôter un maximum d'amertume.
- Éplucher les cédrats puis ôter grossièrement quelques centimètres de parties blanches (pas plus de 400 g cependant, car cette partie du fruit est nécessaire à la réussite de la recette). Conserver la peau mais jeter les excédents de partie blanche enlevés.
- Trancher les fruits le plus finement possible et retirer tous les pépins (les réserver). Émincer le zeste (la peau) préalablement mis de côté. Mettre le tout à tremper 24 heures dans une bassine à confiture en changeant l'eau trois à quatre fois.
- Le lendemain, porter le tout à frémissement et laisser cuire à feu doux jusqu'à ce que les tranches de cédrat soient tendres. Égoutter le tout puis remettre dans la bassine à confiture avec les deux kilos de sucre et deux verres d'eau. Ajouter le jus de citron et les pépins du cédrats placés dans un sachet de mousseline.
- Laisser reposer environ une heure puis cuire à petits bouillons pendant 45 minutes.
- Retirer le sachet de pépins, mixer grossièrement au mixer plongeant puis verser dans des pots en verre stérilisés. Une fois les pots refermés, laisser prendre 12 heures avant dégustation.


A savourer sur une tartine de pain et avec un chocolat chaud entre deux sortilèges...


 

Le secret de la salamandre (Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec #5) - Tardi.

Casterman, 1981, 2009, 2018.

  Paris, 1918. Ignorant tout du conflit mondial qui se joue depuis quatre ans, Adèle Blanc-Sec dort. Plus précisément, elle est maintenue en hibernation dans l'ancien pavillon de Félicien Mouginot et attend d'être ramenée à la vie grâce à la dernière phase de la méthode mise au point par ce dernier. Pendant qu'un industriel et un mafieux new-yorkais, une poignée de policiers et d'anciens savants s'agitent dans l'entourage de la jeune femme, l'ancien deuxième classe Lucien Brindavoine, mutilé volontaire et pensionné de guerre, traîne quant à lui son amertume de bistrot en bistrot. Ce qu'il ignore, c'est que son chemin va croiser celui de la grande salamandre du Japon exposée au Jardin des Plantes puis celui d'Adèle. 

***

  Non, Adèle n'est pas morte! Enfin, presque pas morte. Comme nous l'avions annoncé dans notre analyse du quatrième tome, Momies en folie semblait clore la série mais laissait néanmoins un infime espoir de voir revenir l'héroïne romancière, pour l'instant cryogénisée dans l'attente qu'un prince charmant vienne actionner la machine qui la ramènera à la vie...

  Nous ne nous attarderons pas sur ce tome pour la simple et bonne raison que, malgré ses qualités scénaristiques, il reste à mon sens le moins agréable à lire de la série (désolé, Monsieur Tardi). Si le tome précédent marquait la fin d'un cycle (celui de la Belle Époque), celui là est un volume de transition, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il se situe pendant la Première Guerre Mondiale, mais aussi, Adèle n'y a aucun rôle

 Adèle joue les Belles au bois dormant...

  En effet, comme le précise le narrateur (qui, pour la première fois, apparait à l'image), Adèle passe son temps à pioncer dans la glace pendant que des horreurs se déroulent dans les tranchées... et ailleurs. En suivant différentes intrigues se déroulant aux quatre coins du monde, le narrateur reconstitue progressivement la toile d'araignée qui relie entre elles plusieurs organisation criminelles internationales, dont la Mafia. Le rapport avec Adèle? Il se créé dans l'intérêt que l'occultisme et les travaux de para-scientifiques concernant la vie après la mort présentent pour ces génies du mal. Ayant eu vent de la machine de Mouginot qui maintient Adèle dans un sommeil artificiel, leur but est de venir en France pour s'en emparer.

Le narrateur avait donc cette tête?!

  Mais qui va bien pouvoir secourir Adèle des mains criminelles qui désirent voler l'appareil en question? Le sauveur est tout trouvé en la personne de Lucien Brindavoine. Lucien Brindavoine n'est ni plus ni moins que l'un des tous premiers héros créés par Tardi, au centre de deux tomes parus précédemment chez Dargaud : Adieu Brindavoine et La fleur au fusil. Après les personnages du Démon des glaces qui apparaissaient brièvement dans Momies en folie, il semble que l'auteur/illustrateur s'adonne de nouveau au cross-over. Amusant de voir Brindavoine surgir ici quand on sait que Tardi, avec Adèle, ambitionnait de créer un alter-ego féminin à son premier personnage masculin récurent. 

Brindavoine, héros de sa propre BD précédemment publiée chez Dargaud.

  Cependant, il n'y a pas que Brindavoine qui s’immisce dans l'univers d'Adèle : avec lui débarquent plusieurs personnages issus de ses propres aventures, sans que le lecteur bénéficie vraiment d'explications précises. Ce cinquième tome des aventures d'Adèle pourrait davantage passer pour un troisième tome surprise des aventures de Brindavoine. Si les connaisseurs de ce second y trouveront leur compte, les aficionados de la première, qui ne connaissent peut-être pas Brindavoine, y trouveront peu d'intérêt.

  D'autant que Tardi, qui a appris à lâcher la bride avec les codes de ses propres univers, fait parfois un peu n'importe quoi de ses personnages : Brindavoine lui-même est un véritable exemple d'hypocrisie et de lâcheté, tandis que Flageolet, qu'on croyait retrouver avec plaisir, est devenu un couard à la botte de... Dieuleveult (peut-être le seul qui reste égal à lui même dans ce fourbi!).

Dans ce cinquième tome, Tardi en profite pour poser un regard plein d'ironie et de sarcasme sur la guerre...

  L'auteur en profite pour évoquer à travers la voix de ses personnages la vie dans les tranchée mais surtout des grandes questions autour de la Première Guerre mondiale, qui reste son sujet de prédilection. Alors, ce cinquième tome : suite surprise, hommage au roman-feuilleton, aventure de science-fiction ou satire historico-politique? On ne sait plus très bien. Ceci dit, on reprend notre souffle en fin de volume lorsqu'on voit notre bien-aimée Adèle de retour pour tout de bon...

En bref : Un tome qui parait un peu brouillon pour qui s'en tient aux strictes aventures d'Adèle, mais qui semble concentrer, à la façon d'un cross-over dans le fond et dans la forme, les thèmes qu'affectionne Tardi, tous genres confondus. Le secret de la salamandre reste néanmoins l'opus le plus déstabilisant de la saga et celui qui plaira probablement le moins aux fans de la première heure de l'héroïne.



Et pour aller plus loin...