jeudi 27 octobre 2016

Gourmandise littéraire : les bonnes tourtes de Mrs Lovett.


  Inutile de vous remémorer de quoi il s'agit, n'est-ce pas? Quel lecteur féru de victorianisme et de penny dreadfull ignore ce que sont les tourtes de Mrs Lovett? Quoi? Certains ont besoin d'un rappel? Soit, alors c'est parti : D'abord légende urbaine puis œuvre de fiction publiée sous la forme d'un feuilleton horrifique, l'histoire de Sweeney Todd n'a eu de cesse de faire parler les curieux amateurs de faits-divers effrayants. Ce barbier qui assassinait ses victimes pour les dépouiller avait en effet trouvé une merveilleuse combine pour faire disparaître les corps : il les donnait à sa complice, l'aubergiste Mrs Lovett, qui les utilisait comme viande pour garnir ses tourtes! Le plus horrible dans toute cette histoire, c'est que la cuisine de Margery Lovett rencontrait un franc succès, en particulier ses célèbres tourtes dont les clients affamés pensaient qu'elles étaient au porc ou au vaux... Des ingrédients plus classiques que nous préférerons pour la présente recette, le cannibalisme n'étant pas encore autorisé. Même en ces temps d'Halloween, oui, oui.


« Sur la gauche de Bell Yard, en redescendant Carey Street, se trouvait, à l’époque où nous écrivons, l’une des boutiques les plus célèbres que Londres ait jamais comptée, et qui vendait des tourtes au veau et au porc. Nobles ou roturiers, riches ou pauvres, tous s’y rendaient ; la renommée de la boutique s’était étendue dans toute la ville, et c’était parce que la première fournée de ces tourtes était prête à midi que les jeunes juristes se précipitaient pour en acheter à cette heure.
  Leur renommée s’était même étendue au-delà des murs de la ville, et de nombreuses personnes en ramenaient jusque dans la banlieue de la cité pour gâter ceux de leurs amis et de leur famille qui vivait là. Et la réputation de ces tourtes n’était pas surfaite ; leur saveur ne fut que rarement égalée, et jamais surpassée. Leur pâte était très délicate et fine, et imprégnée de l’arôme d’une sauce dont le goût savoureux ne peut être décrit. De même, les petits morceaux de viande qu’elles contenaient étaient si tendres, et la graisse si bien dosée, que manger une tourte de Mrs Lovett incitait presque toujours à en manger une autre. »

Sweeney Todd, J.M.Rymer, chapitre 4.

Pour 4 petites tourtes :

-300 g d'escalope de veau et/ou de porc (si vous choisissez un mélange des deux, pesez environ moitié pour moitié).
-400g de pâte brisée et 100 g de pâte feuilletée maison (ou du commerce, mais c'est moins bon!).
-30 cl de vin blanc sec.
-3 c-à-s de sauce Worcestershire.
-2 c-à-c de mélange quatre épices.
-2 gousses d'ail émincées.
-Une échalote émincée.
-branches de thym.
-Sel et poivre.
-Jaune d’œuf pour dorer.


A vos tabliers!

-La veille: découpez le plus finement possible la viande, et mettez-la mariner dans le mélange de vin blanc, de sauce Worcestershire, et d'épices. Salez et poivrez puis laissez ainsi pendant douze heures minimum en remuant de temps à autres.
-Plus tard, mettez la viande à égoutter à l'aide d'une passoire et retirez les morceaux d'épice les plus gros ou les plus gênants.
-Abaissez les pâtes sur votre plan de travail. Foncez quatre moules à tartelette ou ramequins à four de pâte brisée.
-Garnir chacune de vos tourtes d'une part égale de préparation à la viande.
-Découpez dans la pâte feuilletée des disques équivalents au diamètre de vos plats, puis couvrez en chacune de vos tourtes, en rabattant et soudant les bords. Percez une cheminée à l'aide d'un couteau.
-Dorez les dessus d'un jaune d’œuf battu, puis enfournez dans un four préchauffé à 190° pour 40 minutes.



  A déguster chaud, sans modération ni honte aucune (oui oui, promis, ce n'est pas de la chair humaine...).


mercredi 26 octobre 2016

Les enfants fichus - Edward Gorey

The Gashlycrumb Tinies, Peter Weed books, 1963 - Editions Alto, 2011 - Editions le Tripode, 2014.

 Traduit pour la première fois en français depuis sa parution en 1963, Les Enfants Fichus (The Gashlycrumb Tinies) occupe une place emblématique dans l’œuvre d’Edward Gorey, dessinateur admiré de par le monde mais dont le travail demeure encore injustement méconnu du lectorat francophone. Objet d’un véritable culte dans le monde anglo-saxon, cet ouvrage inclassable est certainement celui qui représente le mieux l’esprit délicieusement tordu de Gorey. Une courte biographie de l’auteur est également incluse à la fin du volume pour découvrir plus en détail ce créateur iconoclaste dont on s’arrache désormais les publications chez les collectionneurs. L’influence de Gorey est manifeste dans les œuvres de nombreux écrivains et dessinateurs ainsi que dans l’univers du réalisateur Tim Burton (L’étrange Noël de Monsieur Jack, Les noces funèbres), qui lui a rendu hommage avec La Triste Fin du petit enfant huître et autres histoires.

Un « abécédaire terrible » drôle et irrévérencieux qui régalera les curieux, les amateurs de belles images et de fins tragiques.

***

  Edward Gorey (1925-2000), est un artiste américain assez peu connu de ce côté-ci de l'Atlantique, et que le public français commence seulement à découvrir. C'est d'autant plus surprenant car son style a inspiré de nombreux artistes d'aujourd'hui, dont Burton qui le cite dans ses influences majeures. Illustrateur de nombreux livres, il s'est notamment fait connaître grâce à son générique animé du programme télévisé britannique Mystery!, qui introduisait depuis les années 80 les séries comme Les aventures de Sherlock Holmes (Avec J.Brett), les Hercule Poirot (avec Suchet, évidemment!), ou encore des téléfilms comme le Rebecca de la BBC ou le récent Death comes to Pemberley adapté de P.D.James. 

L'un des génériques d'E.Gorey pour Mystery!, avec la voix off de Vincent Price, évidemment!

  Si l'atmosphère de cet intro est très "polarisante", l'univers personnel d'E.Gorey se situait davantage dans une veine mêlant macabre et fantaisie, le tout dans un style visuel aux accents naïfs mais tout en finesse, ciselé à l'encre de chine et à la plume. Lorsqu'il n'illustre pas pour le compte d'autres auteurs, ses propres créations mettent le plus souvent en scène des personnages d'allure distinguée qui se livrent à des occupations énigmatiques, et qui nous laissent souvent présager une issue funèbre. A part quelques images très théâtrale, la plupart des dessins de Gorey restent dans la suggestion, ce qui est donc encore plus savoureux. L'écart entre son graphisme et l'histoire cocasse que laisse deviner chaque scène tend alors vers un humour que je qualifierai de "méchamment gentil"!


  Dans ce court album traduit seulement quarante ans après sa publication originale, Edward Gorey nous propose un court et poétique abécédaire que n'aurait pas renié Tim Burton : de A jusqu'à Z, tout en vers rimés, il nous raconte les tristes (bon, d'accord, parfois presque drôles) fins de 26 enfants malchanceux. Si certains périssent de façon sommes toutes banales ( à l'image de la petite Amy qui chute dans l'escalier, ou de Ida qui finit noyée), d'autres évoquent les décès spectaculaires et capillotractés de Pushing Daisies ou Six Feet Under ( à l'exemple de Lou, qui a avalé une punaise, ou d'Olive qui passe sous une fenêtre au moment où le locataire jette un tournevis -ouïe!- ).

 

  Derrière ces situations qui débordent d'un humour gentiment caustique, on pense à celui, très noir, des Orphelins Baudelaire de Lemony Snicket, et on y projette les destins funestes et vengeurs de nos anciens ennemis de cours de récréation (Niark niark, allez, avouez, vous aussi vous vous faisiez des petits scénarii macabres à l'époque!). En tout cas, qu'il soit objet de catharsis élégante ou simple curiosité livresque, cet ouvrage est un bijou de noirceur et de finesse.



En bref : Un abécédaire morbide et mordant à la fois, débordant d'humour délicieusement noir, le tout servi dans un graphisme minutieux. Les fans de Burton et de Charles Addams seront conquis. 


lundi 24 octobre 2016

Mary Reilly - Valérie Martin

DoubleDay, 1990 - Editions Plon (trad. de A.Saumont), 1991- Editions France Loisir, 1994 - Editions Pocket, 1996 - Editions Libretto, 2016.

  Angleterre, fin du XIXe siècle.

  Voulant échapper à son père alcoolique, brutal et incestueux, la jeune Mary Reilly entre au service d’un riche savant dans une demeure cossue. Le maître des lieux est le Dr Jekyll. Parce qu’il est bienveillant avec elle, Mary pense avoir enterré son douloureux passé. 
  Absorbé dans ses travaux, le Dr Jekyll veille jusque très tard chaque nuit. À son insu, Mary l’épie dans son laboratoire, jusqu’au jour où elle fait la connaissance de celui qu’elle prend pour le nouvel assistant du docteur, Mr Hyde. L’homme est aussi rustre et brutal que le Dr Jekyll est éduqué et attentionné. Cependant, Mr Hyde fascine la jeune femme bien davantage qu’il ne la fait fuir…

Ressurgissent alors les peurs qu’elle croyait enfouies.


   Ce roman a été porté à l’écran par Stephen Frears en 1996 dans une adaptation de Christopher Hampton, avec Julia Roberts dans le rôle-titre et John Malkovitch dans celui du Dr Jekyll.

***

  Voilà longtemps que ce roman patientait dans ma bibliothèque, depuis trois ans que je l'avais acquis avec son œuvre souche L'étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde. Le challenge Halloween british de Lou & Hilde le proposant en lecture commune, c'était plus que jamais l'occasion de l'exhumer de la PAL.


  Londres, XIXème siècle brumeux et humide. Dans la maison du Dr Jekyll, la vie domestique suit un quotidien serein et paisible tandis que le maître de maison se livre à de complexes expériences et recherches dans son laboratoire situé au fond de la cour. Mary Reilly, toute jeune femme de chambre récemment arrivée dans la maisonnée, raconte les jours qui se suivent dans son journal intime : issue d'une enfance malheureuse, la jeune fille fait son travail avec application et discrétion, s'imposant toujours la distance et l'attitude effacée qui incombent à sa classe sociale. Et pourtant, un jour, le maître lui adresse la parole. Entre ces deux êtres que tout un monde sépare nait alors une amitié forte faite de débat, de discussions, d'échanges. Reconnue non plus comme simple domestique mais en tant qu'être humain digne d'intérêt, Mary se laisse même aller à éprouver quelques sentiments plus profonds... puis, très vite, une ombre vient obscurcir le tableau. Le Dr Jekyll annonce à ses gens de maison l'arrivée d'un assistant qui logera sous le même toit, et qu'ils devront servir au même titre que lui. Son nom? Edward Hyde. D'abord épisodiques et discrètes, les allées et venues de cet homme se font de plus en plus récurrentes, toujours en nocturne. Depuis sa chambre, Mary entend sa démarche trainante dans l'escalier, un son qui la terrorise plus que tout car il fait resurgir en elle des peurs enfantines. De plus, selon les dires des témoins qui l'ont croisé, cet homme a tout d'abominable. Et pourtant, il fait en même temps l'objet d'une vraie curiosité de la part de la jeune fille, et ce même lorsqu'elle dresse un parallèle inquiétant entre Hyde et d'horribles meurtres survenus dans Londres...


  Vous l'aurez peut-être déjà compris : ce roman, aujourd'hui connu et reconnu de tous les amateurs du genre, m'a totalement conquis. On a là un exemple très réussis de réécriture, le récit reprenant l'histoire du Dr Jekyll et Mr Hyde mais ici du point de vue d'une gouvernante de la maison du docteur. Valérie Martin aurait pu tomber dans l'exercice de style trop facile, et se contenter de changer la narration sans rien ajouter à l’œuvre originale (l'écueil classique des réécritures), mais il n'en est rien. Grâce à une vraie psychologie de ses personnages et en approfondissant au plus fin la personnalité de son héroïne, elle fait de Mary Reilly une protagoniste à part-entière avec son histoire et un véritable intérêt dramatique, et non pas un simple faire-valoir au duo Jekyll/Hyde.

 Mary?

  En cela, la plume de l'auteur est à applaudir (ainsi que l'excellente traduction, qui rend dignement justice à la version anglaise). En effet, la narration sous la forme d'un journal intime par une domestique sous l'ère victorienne est à elle seule un exercice d'une grande exigence stylistique, un exercice que réussit l'auteure avec brio. L'écriture de Mary est un mélange de phrasé soutenu et travaillé (témoignant d'une profession au contact des classes sociales les plus éduquées) et de maladresses de formulation qui rappellent son milieu de naissance plus humble. Le tout est d'une douceur et d'une sincérité qui éveille l'émotion du lecteur, mais qui va aussi de pair avec une certaine pureté du personnage, dont le regard est d'autant plus clairvoyant sur l'âme de ses semblables, qu'elle observe en silence. Ce style, associé à l'univers de la domesticité (un monde qui m'a toujours fasciné et que j'adore voir mis en scène dans la fiction), nous offre comme l'opportunité de redécouvrir une histoire mythique depuis l'arrière-scène du théâtre où elle se jouerait, par le trou de la serrure.

 Domestiques dans l'Angleterre victorienne.

  A cet aspect social, Valerie Martin n'oublie pas la dimension horrifique propre au récit original de Stevenson, mais elle la restitue avec davantage de subtilité. Elle l'introduit surtout par le biais d'une ambiance ciselée, une atmosphère qui s'instaure progressivement grâce au décor d'un Londres brumeux et particulièrement anxiogène. Effectivement, jamais un roman prenant pour cadre le Londres victorien n'aura à ce point joué du brouillard comme élément propre à susciter l'effroi : ici, le fog devient au fil des pages un rideau totalement opaque qui cloisonne les promeneurs, et dont peut s'échapper à tout instant un fiacre susceptible de vous renverser, ou un monstre capable de vous dévorer. Dès lors, encerclée par ce rideau des plus oppressants, la demeure du Dr Jekyll devient le théâtre d'un huit-clos aussi horrifique que l'auteure le rend psychologique et dramatique.


En bref: A la fois roman psychologique, sociologique et horrifique, cette relecture offre un regard émouvant, subtil et perçant sur le mythe de Jeckyll et Hyde. Une réécriture magnifique et glaçante à la fois qui complète merveilleusement bien le récit de Stevenson.



Et pour aller plus loin...

vendredi 21 octobre 2016

Jack l'éventreur : le secret de Mary Jane K. - Philippe R.Welté.

Editions Alban, 2006.

  Entre le 31 août et le 9 novembre, cinq prostituées sont sauvagement massacrées par un meurtrier insaisissable. Devant l'inefficacité de Scotland Yard, la peur et la paranoïa s'empare de la capitale britannique. Tout le monde devient suspect. Les arrestations se multiplient, mais rien n'y fait. Celui que l'on surnomme Jack l'Eventreur a toujours une longueur d'avance sur la police. Aux premières heures du 9 novembre, il va commettre un dernier meurtre d'une sauvagerie rarement atteinte avant de disparaître définitivement. Considérée depuis toujours comme la clé de cette énigme, Mary Jane Kelly, une jeune beauté rousse de vingt-cinq ans, est la cinquième victime officielle de Jack. Derrière le secret de sa disparition se cache aussi celui du meurtrier le plus mythique de tous les temps. 

  En dévoilant une piste jusque lors jamais explorée, Philippe R.Welté aboutit à une hypothèse à mille lieues de toutes les précédentes. Une hypothèse inédite des plus fascinantes qui apporte enfin des réponses possibles aux nombreuses zones d'ombre demeurées inexpliquées à ce jour.

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  Après Sweeney Todd, je poursuis mon road Trip horrifique londonien pour le challenge Halloween british de Lou & Hilde avec un autre tueur mythique : Jack l'éventreur, qui fera l'honneur du rendez-vous "haunted & scary london" Cette fois, ni fiction ni roman, mais un documentaire - une enquête, en fait - que j'ai depuis longtemps dans ma bibliothèque.

Le quartier de Whitechapel, devenu célèbre grâce à Jack l'éventreur...

  Bien que Jack l'éventreur ait eu des prédécesseurs dans l'Histoire, on continue de le percevoir comme le premier vrai grand serial-killer. Et pourtant, on ne lui compte que cinq victimes, ce qui est bien peu comparé à d'autres tueurs en série de légende. Mais parce que son identité n'a jamais été découverte, il est entré dans la légende, presque devenu davantage un monstre de fiction né de la brume londonienne. On ne compte plus le nombre d'adaptations, interprétations, et variations autour de Jack, dont le nom suffit à éveiller cette fascination morbide que même la plus candide des personnes porte en puissance. Aussi, comme tout le monde, j'ai été piqué du virus Jack The Ripper il y a bien longtemps, étudiant avec curiosité les différentes théories sur son identité. Dans ce domaine, chaque auteur ou chercheur qui s'est penché sur la question a chanté haut et fort avoir trouvé le véritable nom qui se cachait derrière ce sobriquet sanglant. J'en ai lu beaucoup, certaines intéressantes, d'autres même très pertinentes et quelques unes, il faut l'avouer, carrément loufoques (à l'exemple de celle accusant Lewis Caroll, hum).

L'auteur, ici photographié sur la tombe officielle de la dernière victime.

  Pourquoi, alors, m'attarder sur cet ouvrage, me demanderez-vous? Peut-être parce que la théorie présentée par Philippe R.Welté s'écarte de très loin de toutes celles que l'on a déjà entendues, s'attardant particulièrement sur une personne, qui serait la clef de toute l'affaire : Mary Jane Kelly, la dernière victime officielle. Petit retour en arrière : Mary Kelly, c'est cette jeune beauté rousse de 25 printemps qui vend ses charmes dans le quartier de Whitechapel, où quatre autres prostituées ont déjà été tuée cette année 1888. En revenant sur la biographie de cette illustre inconnue, Philippe Welté ramène sur le devant de la scène celle qu'on ne percevait jusque là qu'en tant que personnage secondaire. Loin d'être une prostituée des bas quartiers comme ses défuntes consœurs, Mary était, avant d'atterrir à Whitechapel, une demi-mondaine de grand luxe, dont le parcours et la descente aux enfers éclairent d'une lueur révélatrice l'histoire de Jack.

Plan de Whitechapel et localisation des meurtres attribués à Jack.

  Philippe Welté, après un topo minutieusement décrit des faits, s'attache à raconter les derniers instants de chaque victime, éclairé pour cela des dépositions de l'époque. Il recoupe alors ces déclarations et rapports de police officiels avec d'autres faits divers qui, si on les observe avec du recul, ne semblent plus si isolés mais se relient avec une logique stupéfiante à l'affaire de l'éventreur. Ainsi, il dresse un parallèle avec une affaire survenue deux ans plus tôt en France, soit le meurtre sanglant de prostituées dans le quartier de Montmartre. Le suspect numéro 1, un étudiant en médecine russe utilisant plusieurs fausses identités, ne sera pas inculpé à temps et quittera la France dans la foulée... On le retrouvera deux ans plus tard dans les rues de Londres, au bras de Mary Kelly. De là, Philippe Welté propose une reconstitution de ce qui s'avère être la série de meurtres la mieux déguisée de tous les temps : d'un acte de défense légitime qui tourne au drame, s'ensuit une sombre affaire de chantage, puis la chute de Mary dans une spirale infernale où meurtre et mauvaise fortune vont de paire. 

 Le tueur tel qu'on le représente dans l'imagerie populaire.

  Le point fort de cette enquête (et ce que j'ai trouvé particulièrement novateur), c'est que P.R.Welté s'écarte des routes bien fréquentées dans le domaine des études sur Jack the Ripper. Là où ses prédécesseurs se sclérosent sur le cliché d'un seul meurtrier charismatique né de l'imagerie populaire (assassin élégant en cape et haut de forme qui déambulent sous les réverbères), et limitent donc leurs investigations aux quelques éléments de l'enquête menée à Whitechapel, P.R.Welté brasse plus large. Il prend du recul sur cet espace d'informations trop étriqué et analyse les faits avec un regard qui porte beaucoup plus loin : ainsi, il enrichit son enquête d'éléments extérieurs complètement occultés par les autres auteurs qui se sont penchés sur la question.

 L'affaire à la une du New illustrated police news, périodique à sensation de l'époque.

  Le résultat est pertinent et percutant. Comme tous les grands mystères historiques, il y aura les pour et les contre, mais comme je le disais il y a peu à propos des mystères entourant Shakespeare : c'est bien parce qu'on ne saura jamais qu'on peut se permettre de tout imaginer. Et quand c'est fait avec autant de sérieux et de passion, alors on veut bien y croire, au moins un petit peu.

 Mary J.Kelly, interprétée par Heather Graham dans le film From Hell.

En bref : Une enquête méticuleuse et fouillée qui s'affranchit des pré-requis et des clichés sur l'affaire Jack L'éventreur. En prenant du recul sur les éléments autour desquels les enquêtes précédentes se sont limitées et en enrichissant son analyse d'éléments extérieurs, P.R.Welté propose un éclairage inédit et original. Au final, sa théorie apparait d'une plus grande crédibilité que celle trop "facile" et étriquée - quoi que très esthétique- de l'unique tueur en série arborant haut de forme et costume victorien. Passionnant.

mercredi 19 octobre 2016

Fantômette et l'étrange cas du Dr Jonquille - D'après Georges Chaulet.

France Flash éditions, 2015.


  Le Docteur Jonquille, botaniste farfelu, appelle Fantômette à l'aide : il est la malheureuse victime d'un criminel horticole agissant sous le nom de "Monsieur Hideux". Accompagnée de son fidèle ami le journaliste Pierre 'Oeil de Lynx' Dupont, la jeune justicière quitte son paisible foyer de Framboisy et se lance dans une nouvelle enquête en pleine nuit d'Halloween...

  Une adaptation non-officielle de la nouvelle "La terrifiante invention du professeur Jonquille", issue des aventures de Fantômette écrites par Georges Chaulet.


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  Comme certains le savent peut-être, en plus de books-tea-pie, je participe à la rédaction d'un fan-blog sur Fantômette, la célèbre héroïne de la bibliothèque rose inventée par Georges Chaulet. Co-fondé avec un groupe d'amis fantophiles né sur le forum et le site Mille Pompons (sûrement la base de données la plus complète sur la justicière de Georges Chaulet), le blog Les nouveaux carnets de Fantômette vise à perpétuer le souvenir de Fantômette, retrouver sa trace dans la culture actuelle ou favoriser les fan-arts et fan-fictions la mettant à l'honneur. Dans cet ordre d'idée, j'avais entamé pour les nouveaux carnets, il y a de cela trois ans, une adaptation graphique d'une nouvelle issue du canon de Georges Chaulet.

Le design actuel de la série, 50 ans après sa création.

  Les familiers du blog ont certainement vu quelques extraits et vignettes postés ces dernières années à l'occasion des billets saisonniers. Aujourd'hui, la BD étant achevée et prête à être diffusée via les nouveaux carnets (avec même un format papier auto-édité pour nous autres fantophiles et les lecteurs éventuels qui en feraient la demande =D), je profite du rendez-vous "BD fantastique" du challenge Halloween pour la présenter. Pourquoi? Parce qu'Halloween est au centre même de l'intrigue, avec un clein d'oeil appuyé à la littérature gothique britannique!

Fantômette et Mephisto (gribouillage personnel)

  Revenons à la genèse du projet : n'y voyez aucune prétention de ma part car si j'en parle ici, c'est avant tout pour le plaisir de partager mes gribouillages et suite à une idée d'une autre amie fantôphile. Le but de cette création est avant tout d'entretenir avec fantaisie le souvenir d'une série jeunesse qui nous a tous profondément marqué.

 Les carnets de Fantômette, recueil de nouvelles publié en 1977.

  Lorsque je me suis lancé dans cette transposition, j'ai préféré choisir une nouvelle plutôt qu'un roman : l'avantage d'une nouvelle étant la dimension synthétique du récit, me permettant ainsi une base de travail plus simple et donc plus malléable, pour me la réapproprier et y glisser davantage ma "patte". Aussi, de tous les opus de la série du truculent G.Chaulet, on trouve un ou deux ouvrages moins classiques contenant des histoires courtes et non des romans. Parmi ceux-là, j'aimais particulièrement le recueil Les carnets de Fantômette, répertoriant quatre courtes aventures racontées par la justicière elle-même. 



Illustrations de J.Stefani pour la nouvelle originale.

  Mon récit favori était "l'effroyable invention du docteur Jonquille", un détournement du célèbre récit L'étrange cas du Dr Jeckyll et Mr Hyde de Stevenson. L'ambiance mi-drôlatique, mi-horrifique de l'histoire et la marge qu'elle laissait à l'interprétation m'ont convaincu pour en faire une BD que j'ai voulue décalée et pleine de références. Pour ceux qui ne connaissent pas Fantômette, c'est un ton plein d'une joyeuse ironie, un univers pop et intelligent, qui fait la part belle aux clins d’œil. Olivier Assayas, qui avait entamé une adaptation cinématographique (finalement avortée il y a environ dix ans) disait "Fantômette, c'est un peu Chapeau Melon et Bottes de cuir dans un village français". Voilà, le ton est donné, et l'on devinera que c'est là une comparaison qui me plait tout particulièrement.


  Le visuel se dessina de lui-même : puisque George Chaulet avait puisé son inspiration scénaristique dans la littérature gothique, j'allais cherché l'inspiration graphique dans les vieux films d'horreur de la Hammer (mais siiiii, vous savez, ces vieux Frankestein, Mr Hyde ou Dracula en noir et blanc interprétés par Bela Lugosi ou Christopher Lee, avec des titres aux polices de caractère dégoulinantes, des décors stéréotypés en papier mâché, et ces autres clichés qui nous font encore délicieusement frissonner aujourd'hui!), pour mieux m'amuser des codes de ces vieilles production iconiques et les détourner. Dès lors, même la couverture se devait être un pastiche, non?

Et maintenant, on fait un jeu des sept erreurs!

  Le cadre concis du récit me permit aussi de le recontextualiser dans la période d'Halloween et de réinterpréter toute l'intrigue en référence à cette thématique, ajoutant de nombreux éléments pour insister dans une ambiance qui collait à mes yeux à l'atmosphère du récit original.


  Je vous invite donc à jeter un œil à ces quelques pages introductives, et éventuellement entrer en contact avec moi si, à tout hasard, vous souhaitez un exemplaire relié. Les critiques, bonnes ou mauvaises, seront les bienvenues. A titre d'information, je tiens à rappeler que Fantômette et son univers restent l'exclusive propriété des éditions Hachette et que cette création est réservée au cercle privé et/ou familial, pour le simple plaisir d'entretenir la mémoire d'une héroïne de la littérature jeunesse et d'échanger à son sujet (Non non, je ne compte pas usurper des droits d'auteur ou frauder éhontément ;) ) (et oui, tout ça semble très protocolaire dit comme cela, mais je préfère le repréciser^^).


  En attendant, cliquez ICI pour accéder au dix premières pages:

  Et ceux qui aiment les citrouilles seront servis!


lundi 17 octobre 2016

Un orphelin qui chante chez un Croque-Mort, un brunch dans une maison hantée, et une enquête dans un cimetière parisien.


  Cet article devrait se porter principalement sur le Fantôme de l'Opéra, que je devais aller voir ce weekend à Mogador. Mais ça, c'était avant que le fantôme en question ne jette sa malédiction sur le théâtre et n'y mette le feu (et dire que la presse persiste à croire à un accident, alors que nous savons tous que c'est bien lui le vrai coupable, n'est-ce pas?).
  Après quelques hésitations quant à l'organisation de ce weekend qui nous réunissait à plusieurs sur la capitale, notre hôtesse, grande passionnée de comédies musicales, nous proposa de nous reporter sur Oliver Twist, actuellement joué à la salle Gaveau. Ce tout nouveau spectacle avait la particularité d'être cent pour cent français, mais se disait dans la pure tradition d'un musical anglo saxon.
  Si j’eus la déception d'abandonner de force mon fantôme, je décidai de faire contre mauvaise fortune bon cœur et, en souvenir de ma lecture émouvante d'Oliver Twist (même si elle commençait à dater un peu), d'accepter cette solution de rechange.


 Et donc, ce samedi, après m'être refait un enthousiasme, j'ai rejoint Fofo et Ficelle pour ce spectacle dickensien revu en chansons. Après un solide tea-time pour faire tenir nos estomacs jusqu'à la sortie du théâtre (LE fameux cake pommes-butternut-flocons d'avoine que j'évoquais dans mon article d'hier), nous avons gagné la salle Gaveau, non pas en fiacre mais dans le plus urbain des RER.
  
 Gâteau d'Halloween et selfie dans une théière.

  Je me suis retenu d'acheter des souvenirs à la boutique dès l'arrivée (sacs imprimés et autres... même si je regrette de ne pas avoir pris le livret en souvenir), préférant tourner mon attention vers la décoration de la salle (pas très très ergonomique par ailleurs : cela manquait de gradins ou de "hauteur", pour avoir un visuel confortable sur la scène, il faut l'admettre, mais je viens de lire que le choix du lieu tenait à une acoustique particulière). Au milieu de réverbères éclairant la salle d'une lumière glauque façon gaslight, tout un décor d'affiches placardées et de journaux fanés superposés nous évoque avec style le vieux Londres... mais chut, ça commence!




  Mon verdict? J'ai redécouvert avec plaisir l'histoire d'Oliver Twist dans une mise en scène très sympathique, qui compensait le petit nombre d'artistes sur scène par des décors relevés de projections vidéos pertinentes (sauf quelques passages un peu cheap) et inventives. Je n'ai pas retenu toutes les chansons ni même les mélodies en une seule fois, mais les ai beaucoup appréciées et ne serais pas contre en réécouter certaines à l'occasion (je déplore l'absence d'un cd qui soit commercialisé :( peut-être quand le spectacle se lancera en tournée et aura pris un peu de galon? ). A titre d'exemple, j'ai beaucoup aimé la chanson d'ouverture dans l'orphelinat, le duo Nancy/Sikes, très dramatique, et la chanson "fastoche" très jazzy de Sikes.



 Je me suis régalé de certains passages, dont l'arrivée d'Oliver chez le croque-mort Dumbly (oui oui, je pose un article pour le challenge Halloween là, rappelons-nous en!), avec une Mrs Dumbly en loques enfarinées qui ferait une belle concurrente à Miss Havisham! Le reste des costumes était tout aussi beau, avec un petit faible pour les tissus chatoyants et virevoltants de la troupe de pickpockets de Fagin, qui avaient un côté saltimbanques bohèmes (Les méchants ont toujours plus de classe, n'est-il pas? Bon, ceci dit, j'aurais bien piquer quelques unes des capes, casquettes ou redingotes à Oliver tout de même ^_^). D'ailleurs, pour en revenir aux méchants, mention spéciale pour Prisca Demarez, qui interprète Nancy... Oui, même si le revirement de son comportement parait très soudain dans cette version, j'ai été charmé par le charisme de l'interprète, son style, et ... oui eh bien, elle était très jolie, il faut dire ce qui est.

Les croques-morts, et Nancy.

  Bref, tout cela pour conclure que ça valait largement le déplacement, et personnellement, cela me donne l'impression de voir un disney grandeur nature, toutes ces chansons =D. Après la représentation et quelques rues parcourues dans un Paris nocturne, nous avons fini par rentrer pour pique-niquer d’œufs sur le plat et de bacon aux pieds de bibliothèques l*ndia, à presque 2h du matin. Si l'on ne se forçait pas à aller se coucher, je crois que Ficelle et moi allions encore refait l'histoire du roman gothique et débattre toute la nuit d'univers livresques.


***


  Quelques heures plus tard, après un réveil pâteux et un atelier de création de pompons improvisé en plein petit-déjeuner (oui, il y avait des enfants pris d'une soudaine passion pour la laine) nous nous sommes envolés à dos de balais pour bruncher à la maison hantée... euh, non, La Maison en Thé. Charmant petit restaurant grand comme mon salon, et qui ressemble à s'y méprendre à la cuisine ouverte de n'importe qui. Le nom est aussi amusant que les petits plats sont bons, le thé est servi à volonté, et les deux magiciennes qui tiennent boutique sont adorables (et les pauvres ont du supporter nos débats culino-littéraires très animés, c'est dire si elles ont du mérite!)


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  Après des croques-morts qui chantent et un repas hanté (argl, pardon, au thé), quelle meilleure conclusion qu'un petit tour au Père Lachaise, situé seulement quelques rues plus haut? Tels Fantômette, Ficelle et Oeil de Lynx réincarnés, nous nous sommes aventurés dans ses allées biscornues et sinueuses à la recherche de tombes célèbres et d'un caveau où poser nos valises pour une vie future. Après avoir croisé George Méliès puis tenté d'ouvrir quelques grilles de cryptes délicieusement effrayantes (sans jamais oublier de frapper avant, promis, nous sommes des gens bien élevés.), nous nous sommes émerveillés devant un jardin d'hiver funèbre (qui a dit que les fantômes n'avaient pas droit à une véranda?) et j'ai même retrouvé le Tardis du Dr Who, si si!


On a retrouvé le Tardis du Dr Who!


  Cette balade plus drôle qu'effrayante terminée, il fallait déjà refermer cette agréable parenthèse. Un dernier thé, un recopiage de recette de dernière minute, puis, heureusement, avant de se dire au revoir, le choix des dates pour le prochain rendez-vous (Noël, et Peter Pan sur scène - quoi? oui, je sais, j'ai un sérieux problème: encore lui).

  Et aujourd'hui, j'ai regagné mon terrier, et j'entretiens les quelques fantômes de ces deux jours à Paris en vous assommant avec mon weekend (mais si vous êtes encore en train de le lire, c'est que je ne suis pas si assommant que cela, hein?). C'était un lundi comme un lundi (pluie, froid, journée de travail épuisante), mais j'y suis allé quasi-déguisé en Oliver Twist, juste histoire d'y glisser une note de fantaisie encourageante ^_^.

Bon, maintenant, vivement décembre =P.