Last Gasp US, 2015.
Une compilation de 194 clichés extraordinaires et obsédants ainsi que de documents éphémères associés à la pratique de la photographie de deuil à l'époque victorienne et au XIXème siècle. Photos colorées à la main, tirages albuminés d'origine, ambrotypes et daguerréotypes, cartes de visites, gravures au papier argent ou gélatine : toutes les anciennes techniques de capture de l'image permettant la photographie funéraire ou "post-mortem" ici mise à l'honneur. Cette imposante galerie est également complétée d'articles de journaux d'époque, d'épitaphes et de cartes commémoratives, le tout offrant un aperçu fascinant sur les pratiques de deuil du temps passé.
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Lorsque le planning des rendez-vous du challenge Halloween british de Lou & Hilde a annoncé le thème "promenade au cimetière et ambiance funèbre", j'ai de suite pensé à cet ouvrage, que m'avait montré mon amie Ficelle/Pouchky il y a quelques mois. Futée, elle savait de par notre goût commun pour le victorianisme excessif et notre excellent souvenir du Waterloo Necropolis de Mary Hooper que je ne pourrais que tomber en pâmoison devant un si fascinant objet.
Ce livre nous évoque de suite ces gros albums poussiéreux que l'on trouve parfois sur les greniers ou dans les brocantes : couverture en dur laquée et légèrement bombée, tranche dorée, pages épaisses et cartonnées qui craquent à la moindre manipulation... On pense souvent à une vieille bible ou un missel du temps jadis avant de l'ouvrir et, miracle, découvrir un album de très vieilles photographies de familles : daguerréotypes et clichés aux couleurs passées nous racontent alors les générations oubliées d'une famille inconnues. Parfois, au milieu des photos de groupe, on découvre alors d'autres images plus bizarres où les modèles paraissent figés ou endormis... Ah. Endormis, vraiment?
C'est ce que que pensait également le personnage joué par Nicole Kidman dans l'excellent film Les Autres, alors qu'elle tombe sur un album de photographies post-mortem, une pratique très courante du XIXème et début du XXème siècle qui consiste à photographier les personnes décédées dans leurs plus beaux atours avant la mise en bière. Cette coutume, apparue très rapidement dès l'invention de la photographie, se propagea dans les pratiques des diverses classes sociales, les techniques permettant rapidement d'imprimer ces clichés en série pour les décliner en faire-parts.
Les codes de cet univers sont troublants et nous renvoient à une vision de la mort et du deuil absolument fascinante d'un point de vue sociologie : le but était le plus souvent de créer une image que le défunt n'aurait pu réaliser de son vivant, aussi les mettait-on en scène comme simplement assoupis ou les yeux ouverts, parfois entourés de leurs proches dans une position qui suggère la vie. Il arrivait alors que la photographie soit retouchée pour renforcer cette illusion, par exemple en ajoutant du rose aux joues sur les tirages.
Cette impressionnante sélection de photographies n'est pas à interpréter comme une galerie malsaine appelant à un voyeurisme de mauvais-goût. On a là un échantillon issu des Thanatos Archive, une société de compilation et de conservation de ces images funéraires située à Woodinville, dans l'état de Washington, et qui s'attache à perpétuer le souvenir de cette pratique sociétale tout en l'étudiant. Si, bien sûr, l'ouvrage peut faire froid dans le dos, son ton étrange et hypnotique tient aussi à ce thème fascinant qu'est la Mort et la façon dont on l'interprète dans différentes sociétés. On se surprendra ainsi à trouver certaines photographies belles, tristes ou mélancoliques plutôt qu'effrayantes, et l'on s'interrogera sur la façon de penser la mort à notre époque et si elle s'est vraiment distancée de ces coutumes. Ces archives sont aujourd'hui une source de documentation majeure pour les chercheurs ou les romanciers, à l'image de Ransom Riggs qui y a puisé plusieurs images pour son Miss Peregine.
En bref : Un ouvrage impressionnant sur la pratique de la photographie post-mortem sous l'ère Victorienne, une galerie tantôt effrayante tantôt fascinante des pratiques culturelles autour du deuil.
Et pour aller plus loin:
-Découvrez le site de the Thanatos Archive ICI.
Au-delà d'un bel objet qui ravira les bibliophiles, j'y vois autant de témoignages d'amour. Il peut paraître morbide à nos yeux modernes abreuvés aux selfies de photographier des défunts, et parmi eux, beaucoup d'enfants, mais il faut se rappeler les taux de mortalités au XIXème, quand la diphtérie, la variole etc. pouvait emporter toute une fratrie, sans parler des femmes qui mouraient en couches...bien souvent, cette photo post-mortem était la seule image qui existait d'un être cher.
RépondreSupprimerJe suis tout a fait d' accord. Et il est vrai que le nombre impressionnant de photographies d' enfants vient nous rappeler la forte mortalité infantile de l' époque. C' est dur, à notre époque nourrie et soignée aux antibios, de s'imaginer qu' un simple rhume pouvait prendre des proportions radicales et être la cause de tant de décès...
SupprimerSuperbe, ce livre !!!
RépondreSupprimerComme toi, j'ai beaucoup aimé Waterloo Necropolis !
J' aime beaucoup les romans historiques de Mary Hooper publiés aux éditions"les grandes personnes", malheureusement, cet éditeur a récemment arrêté sa collection de romans et ne fait plus que des albums :'(
SupprimerCe n'était pas évident de présenter un tel livre, mais tu l'as fait avec beaucoup de subtilité. C'est un sujet qui m'intrigue et me trouble à la fois depuis que je suis allée à une exposition sur ce sujet à Orsay il y a maintenant pas mal d'années. Certaines photos sont franchement effrayantes, comme cette jeune fille qui se tient droite et "fixe" l'objectif mais plusieurs sont juste extrêmement tristes. La photo avec les trois bébés est terrible (même si je ne suis pas certaine de bien saisir la situation). Effectivement, il est difficile de regarder ces photos avec un oeil très "victorien" tant nos habitudes ont changé. Ces photos étaient souvent le seul cliché du défunt et ainsi, l'image qui allait être chérie par la suite. Et puis, au XIXe, il y avait un culte du deuil tout autre, entre les bijoux de deuil, les conditions strictes du point de vue vestimentaire... et ce que je ne savais pas et ai découvert dans le roman de Mary Hooper, les boutiques entièrement dédiées au deuil !
RépondreSupprimerMerci pour ton commentaire, Lou. Je trouve en effet intéressant de recouper ces données photographiques avec une lecture comme "Waterloo Necropolis" qui, bien que roman jeunesse, nous aide à saisir un peu plus la vision du deuil comme un réel code social et culturel de l'époque. C'est pourtant parfois si dur de se distancer de nos pré-requis actuels pour mieux cerner des pratiques plus anciennes, mais c'est nécessaire pour les aborder sans jugement. Aussi, j'aime ce genre de livre qui nous force la main, nous incite à cet effort, et ce même si certains resteront insensibles ou ne chercheront pas à comprendre, malheureusement...
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