Victor Gollancz, 1938 - Editions Albin Michel (trad. de D.Van Moppès), 1939 - Editions Albin Michel (nouvelle trad.de A.Neuhoff), 2015 - Editions Le livre de poche.
Dès les premières heures à Manderley,
somptueuse demeure de l'ouest de l'Angleterre, le souvenir de celle
qu'elle a remplacée s'impose à la jeune femme que vient d'épouser Maxim
de Winter. Rebecca, morte noyée, continue d'exercer sur tous une
influence à la limite du morbide. La nouvelle madame de Winter, timide,
effacée, inexpérimentée, se débat de son mieux contre l'angoisse qui
l'envahit, mais la lutte contre le fantôme de Rebecca est par trop
inégale.
Daphné Du maurier, dans Rebecca, qui est sans doute le roman le plus caractéristique de son talent, fascine le lecteur et l'entraîne à la découverte d'inquiétantes réalités sans quitter le domaine familier de la vie quotidienne.
Daphné Du maurier, dans Rebecca, qui est sans doute le roman le plus caractéristique de son talent, fascine le lecteur et l'entraîne à la découverte d'inquiétantes réalités sans quitter le domaine familier de la vie quotidienne.
***
Voilà un roman que je tenais à inclure dans les prolongations du challenge Halloween : relu pour l'occasion, Rebecca est de ces ouvrages qui nous saisissent et nous emprisonnent. Découvert il y a quelques années, J'aime y remettre le nez de temps à autres, parce que l'ambiance s'y prête. Aussi n'ai-je pas résister à refaire ce petit tour à Manderley en ces sombres et romanesques temps automnaux...
"J'ai rêvé la nuit dernière que je retournais à Manderley..."
L'histoire commence dans le Sud de la France : la narratrice (dont on ignore le nom), jeune orpheline docile et effacée issue d'un milieu humble, est demoiselle de compagnie en apprentissage de l'excentrique Mrs Van Hooper. Suivant sa fantasque et insupportable maîtresse au fil des hôtels de luxe qu'écume cette dernière pour remplir son carnet d'adresses, elle n'imaginait pas attirer l'attention du veuf le plus convoité de la noblesse anglaise, le propriétaire de non moins connu domaine de Manderley : Maxim de Winter. Contre toute attente, le solitaire mais charmant gentleman s'attache à la jeune et inexpérimentée jeune femme, et lui demande le mariage. Toute l'histoire tient du conte de fée, mais la fable merveilleuse s'arrête ici. Après leur voyage de noces, Maxim et sa nouvelle Mrs de Winter regagnent le domaine familial, le grand manoir de Manderley. Là, propulsée dans un monde qu'elle ne connait pas, la jeune épouse doit s'adapter aux codes d'une toute autre classe sociale que la sienne... Une entreprise d'autant plus malaisée qu'elle succède à Rebecca, la première épouse défunte dont les murs même du manoir semblent avoir gardé la mémoire. Un foulard abandonné, une robe oubliée dans une penderie, un parfum flottant dans l'air, une lettre de sa main restée inachevée... tout, partout dans cette maison, crie le nom de Rebecca et semble attester de sa présence. Une présence qu'entretient la gouvernante, l'hostile et glaciale Mrs Danvers, qui n'a de cesse de rappeler à la nouvelle Mrs de Winter qu'elle ne fait pas le poids face à sa devancière, et qu'elle n'a pas sa place ici... Angoissée, tétanisée, la pauvre jeune fille se laisse dévorer par l'ombre malfaisante de Rebecca, dont on se demande si elle est vraiment morte... ou dans quelles conditions...
Associé depuis plusieurs décennies au nom d'Hitchcock, Rebecca n'a pas attendu d'être adapté par le maitre du suspense pour s'enorgueillir d'un intérêt littéraire. Pourtant, les critiques n'ont pas ménagé Daphné du Maurier à la sortie du livre, lui reprochant son retour inutile au genre gothique... mais fort heureusement la critique elle-même se rallia très vite à l'enthousiasme des lecteurs, qui arguaient déjà que Rebecca n'était pas un simple roman de gare. Tous les âges et toutes les générations se sont vite laissés convaincre, conduisant rapidement à une adaptation sur les planches puis à la version cinématographique. Mais pourquoi une telle unanimité? Pourquoi, encore aujourd'hui, une telle renommée?
Il y a dans le fond et la forme de ce roman une réelle psychologie, tant l'écriture impacte sur notre inconscient. Tout d'abord, loin de la romance à l'eau de rose que laisserait suggérer son titre féminin, Rebecca impose dès sa couverture le nom d'une absente. Une morte. On ne la croise pas, on ne voit même jamais une photographie d'elle, mais elle est pourtant sensiblement présente. Son empreinte est partout et elle semble même transpirer, dégouliner des pages. Sa sensualité de jadis pèse sur l'histoire comme une chape de plomb, un spectre dérangeant et malsain. Face à elle, une héroïne sans nom : jeune, timorée, angoissée, peu sûre d'elle-même, malléable et même manipulable, (fade, peut-être?). Elle en serait presque agaçante, cette fille si complexée. Et pourtant, ce je anxieux, romanesque et fragile qui se projette et se perd dans toutes les conjectures possibles face aux effrayantes issues que lui laisse chaque interaction ou réaction, ce je devient, insidieusement, celui du lecteur. En symbiose avec la narratrice, il devient tout aussi impressionnable et se retrouve lui-même prisonnier des corridors sombres de Manderley, entre les griffes de Mrs Danvers.
Dès lors, on s'abandonne avec une délectation presque coupable à cette histoire de fantôme où la mémoire conservée d'une défunte en ses murs se fait plus effrayante encore qu'un esprit sortant de la tombe. Cette mémoire, égrainant des indices comme le petit Poucet ses cailloux, nous invite à remonter sa piste sans désir de retour. Et ce même si l'on sait l'issue fatidique.
Un effet puissant mais tellement inattendu lorsqu'on feuillette les pages : l'écriture parait tellement proprette, tellement soutenue, presque trop sage, qu'on ne s'attend pas à sombrer dans une telle noirceur. A grand coups de phrases exquises, Daphné du Maurier, d'un style toujours impeccable et rutilant, parvient à évoquer les aspirations et les passions les plus noires : derrière son phrasé charmant enflent une sexualité dérangeante, des personnalités provocantes, et un mal insidieux. Tout est à la fois sous-jacent et tellement omniprésent. A l'image de Rebecca elle-même, en fait.
Avec ce chef-d’œuvre incontesté, Daphné du Maurier, femme très ambiguë, a certainement mis beaucoup plus d'elle dans ce livre que dans n'importe quel autre. Elle réutilise à merveille les codes du gothique à la Brontë mais en les agençant différemment, et s'inspire à la fois des intrigues sociales à la Jane Austen, qu'elle cite des ses grandes influences (un aspect que l'on retrouve dans la vide domestique et domaniale mixant les classes sociales, rythmée des inter-relations et sentiments de ses protagonistes). Au croisement de ces inspirations, Daphné du Maurier signe un thriller psychologique qui a marqué son époque et continue de fasciner, sans jamais pâtir ses années : un récit équivoque et entêtant.
En bref : Une intrigue profondément psychologique, un conte sombre hérité du gothique mais magnifié par l'écriture toute en ambiguïté d'une grande auteure. Une histoire de fantôme d'un nouveau genre, intemporelle et capiteuse.
Et pour aller plus loin...
Si vous avez aimé l'intrigue hitchcockienne de Rebecca, vous aimerez certainement ces romans:
Associé depuis plusieurs décennies au nom d'Hitchcock, Rebecca n'a pas attendu d'être adapté par le maitre du suspense pour s'enorgueillir d'un intérêt littéraire. Pourtant, les critiques n'ont pas ménagé Daphné du Maurier à la sortie du livre, lui reprochant son retour inutile au genre gothique... mais fort heureusement la critique elle-même se rallia très vite à l'enthousiasme des lecteurs, qui arguaient déjà que Rebecca n'était pas un simple roman de gare. Tous les âges et toutes les générations se sont vite laissés convaincre, conduisant rapidement à une adaptation sur les planches puis à la version cinématographique. Mais pourquoi une telle unanimité? Pourquoi, encore aujourd'hui, une telle renommée?
Il y a dans le fond et la forme de ce roman une réelle psychologie, tant l'écriture impacte sur notre inconscient. Tout d'abord, loin de la romance à l'eau de rose que laisserait suggérer son titre féminin, Rebecca impose dès sa couverture le nom d'une absente. Une morte. On ne la croise pas, on ne voit même jamais une photographie d'elle, mais elle est pourtant sensiblement présente. Son empreinte est partout et elle semble même transpirer, dégouliner des pages. Sa sensualité de jadis pèse sur l'histoire comme une chape de plomb, un spectre dérangeant et malsain. Face à elle, une héroïne sans nom : jeune, timorée, angoissée, peu sûre d'elle-même, malléable et même manipulable, (fade, peut-être?). Elle en serait presque agaçante, cette fille si complexée. Et pourtant, ce je anxieux, romanesque et fragile qui se projette et se perd dans toutes les conjectures possibles face aux effrayantes issues que lui laisse chaque interaction ou réaction, ce je devient, insidieusement, celui du lecteur. En symbiose avec la narratrice, il devient tout aussi impressionnable et se retrouve lui-même prisonnier des corridors sombres de Manderley, entre les griffes de Mrs Danvers.
"Si seulement on pouvait inventer quelque chose, dis-je vivement, qui
conserve un souvenir dans un flacon, comme un parfum, et qui ne
s'évapore, ne s'affadisse jamais. Quand on en aurait envie, on pourrait
déboucher le flacon et on revivrait l'instant passé."
Dès lors, on s'abandonne avec une délectation presque coupable à cette histoire de fantôme où la mémoire conservée d'une défunte en ses murs se fait plus effrayante encore qu'un esprit sortant de la tombe. Cette mémoire, égrainant des indices comme le petit Poucet ses cailloux, nous invite à remonter sa piste sans désir de retour. Et ce même si l'on sait l'issue fatidique.
Un effet puissant mais tellement inattendu lorsqu'on feuillette les pages : l'écriture parait tellement proprette, tellement soutenue, presque trop sage, qu'on ne s'attend pas à sombrer dans une telle noirceur. A grand coups de phrases exquises, Daphné du Maurier, d'un style toujours impeccable et rutilant, parvient à évoquer les aspirations et les passions les plus noires : derrière son phrasé charmant enflent une sexualité dérangeante, des personnalités provocantes, et un mal insidieux. Tout est à la fois sous-jacent et tellement omniprésent. A l'image de Rebecca elle-même, en fait.
"L'âme adulte peut mentir avec une conscience tranquille et un air
joyeux, mais en ce temps-là, une ruse minime écorchait la langue."
Avec ce chef-d’œuvre incontesté, Daphné du Maurier, femme très ambiguë, a certainement mis beaucoup plus d'elle dans ce livre que dans n'importe quel autre. Elle réutilise à merveille les codes du gothique à la Brontë mais en les agençant différemment, et s'inspire à la fois des intrigues sociales à la Jane Austen, qu'elle cite des ses grandes influences (un aspect que l'on retrouve dans la vide domestique et domaniale mixant les classes sociales, rythmée des inter-relations et sentiments de ses protagonistes). Au croisement de ces inspirations, Daphné du Maurier signe un thriller psychologique qui a marqué son époque et continue de fasciner, sans jamais pâtir ses années : un récit équivoque et entêtant.
Rebecca dans sa version théâtrale, avec M.Rutherford en Mrs Danvers.
" J'aurais pu lutter contre une vivante, non contre une morte"
En bref : Une intrigue profondément psychologique, un conte sombre hérité du gothique mais magnifié par l'écriture toute en ambiguïté d'une grande auteure. Une histoire de fantôme d'un nouveau genre, intemporelle et capiteuse.
Et pour aller plus loin...
Si vous avez aimé l'intrigue hitchcockienne de Rebecca, vous aimerez certainement ces romans:
Excellent article! Il manquerait quelques photos de Joan Fontaine, Judith Anderson ramassant les gants de la nouvelle Mrs Danvers avec le mépris le plus absolu dans son regard, et George Sanders (oui, le cousin pervers) pour illustrer le pan hitchcockien.
RépondreSupprimerJ'adooore Rebecca : les fantômes les plus malfaisants sont ceux que nous portons avec nous.
Oui, c'est vrai que je n'ai pas illustré le versant hitchcockien de "Rebecca"... bah, je me rattraperai en parlant des adaptations un de ces quatre! Je meurs d'envie de voir celle avec Diana Rigg en Mrs Danvers! =D
SupprimerCe roman fut un coup de foudre ! j'ai enchaîné avec "ma cousine rachel" et "l'auberge de la jamaïque", TB aussi mais "Rebecca" reste mon chouchou !
RépondreSupprimerJe n'ai rien lu d'autre de D.Du Maurier! Est-ce que c'est aussi sombre? Par contre, Tatiana de Rosnay a écrit une biographie d'elle qui a rencontré un certain succès. je l'ai parcourue il y a peu et je pense me la procurer un de ces jours!
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