samedi 18 décembre 2021

Chapeau Melon & Bottes de Cuir - G.Morrison & A.Caulfield (scénario), I.Gibson (illustrations).

Steed and Mrs Peel, Acme Press, Eclipse Comics, 1990 - Boom ! Studios, 2012 - Éditions Soleil (trad. de N.Meylaender), 2013.
 
    STEED ET EMMA PEEL DANS LEURS AVENTURES INÉDITES EN BD ! La plus longue série TV d'espionnage fut adaptée autrefois en bande dessinée par Grant Morrison (X-Men, Batman...) et Ian Gibson (Halo Jones, avec Alan Moore). Une pépite du comics british enfin disponible en version française. John Steed s'associe à Emma Peel pour enquêter sur la disparition de sa nouvelle partenaire, Tara King. Une mission qui les fera rencontrer une société secrète obsédée par les jeux...
 
***
 
     Il était impossible de fêter cette année le 60ème anniversaire de Chapeau Melon et Bottes de Cuir sans vous parler de cette bande-dessinée. Comme la plupart des séries télévisées à succès, les novélisations ou adaptations en BD ont rapidement pullulé avec, pour certaines transpositions, une valeur égale au matériau d'origine. Si ce comics publié dans l'hexagone longtemps après sa sortie dans l'outre-manche n'est pas la première variation du genre, il est en revanche l'une des plus fidèles...
 
Les trois opus parus en VO.

  Initialement publiée pour le 30ème anniversaire de la série télévisée, cette bande-dessinée est parue dans les librairies anglaises et américaines sous le titre évocateur de Steed and Mrs Peel (le titre original, The Avengers, étant devenu entre-temps celui d'une BD américaine de superhéros, il avait fallu lui trouver un substitut) sous le format souple bien connu des comics. Rassemblant deux histoires découpées en plusieurs épisodes, la publication s'était faite sous la forme de trois tomes successifs parus entre 1990 et 1992. En 2011, pour les 50 ans de la série, ces exemplaires épuisés depuis longtemps ont bénéficié d'une nouvelle parution chez Boom ! Studios. C'est probablement grâce à cette réédition que Steed and Mrs Peel a pu se frayer un chemin jusqu'à nous et paraître aux éditions Soleil en 2013, mais cette fois sous le titre bien connu en France de Chapeau Melon & Bottes de Cuir...
 
 
    Habitué à la publication de bandes-dessinées, Soleil a le mérite de proposer un très bel objet livre : exit les fascicules à couverture souple, le lectorat français a droit à un grand format relié avec une couverture en dur reprenant une illustration des éditions originales, mais à laquelle elle superpose un motif d'Union Jack psychédélique, fidèle à l'esprit des sixties. Au dos, on retrouve même le logo du lion stylisé devenu dans les années 70 l'emblème des New Avengers, spin-off de la série. Cependant, pour des raisons qu'on ignore, l'éditeur français a troqué la version couleurs originale pour un noir et blanc des plus austères ; un choix – nous y reviendrons plus tard – qui alourdit quelque peu la fantaisie originale...
 
 
    Mais parlons tout d'abord d'une dimension non négligeable : les intrigues. Chapeau Melon et Bottes de Cuir était et reste toujours connue pour son univers furieusement décalé, passant du polar noir au récit d'espionnage, puis du récit d'espionnage à la science fiction, le tout sans jamais perdre en qualité. Portée par une écriture british en diable, des dialogues d'une inégalable subtilité, et des personnages charismatiques inoubliables, cette série a montré à travers ses novélisations et transpositions souvent ratées la difficulté à s'approprier ses codes et son univers, quelque part entre James Bond et Lewis Carroll. Cette adaptation en BD est probablement l'une des rares variations réussies !
 
 
    La première histoire, "Le jeu d'or", est écrite par Grant Morrison, scénariste britannique de nombreuses bandes-dessinées, notamment de titres  de DC Comics puis de Marvel. Des univers bien loin de notre agent secret en chapeau melon, et pourtant, force est de constater avec quel brio G.Morrison s'empare de la série. Sorte de midquel qui s'intercalerait au début de la saison 6, l'intrigue met en scène l'enlèvement de Tara King et la réaffectation de Mrs Peel aux côtés de Steed pour mener l'enquête. Un retour particulièrement fort de sens pour les admirateurs de celle qui est restée dans la mémoire collective la seule et unique "bottes de cuir". On retrouve la complicité toute en ambiguïté des deux personnages qui, entre deux dialogues pimentés de savoureux sous-entendus, trinquent au champagne dans la campagne anglaise avant d'affronter les diabolical masterminds
 
 
    Le scénario, centré autour d'une société férue de jeux de société, évoque évidemment l'épisode "Jeux" de la saison 6, qu'une série d'énigmes vient tempérer de quelques réminiscences de l'épisode "La chasse au trésor" de la saison 5. L'accès au QG de Mère-Grand, renouvelé dans chaque épisode, se fait ici en tirant la chasse d'eau de toilettes publiques : une idée qu'on aurait tout à fait pu trouver dans la série ! Le départ en tandem en fin d'histoire nous rappelle aussi les scènes de clôture des épisodes de la saison 4, qui donnaient toujours l'occasion à nos héros de quitter le lieu de leur enquête à bord d'un moyen de transport original.
 

    La seconde histoire, "Arc-en-ciel mortel", est écrite par Anne Caulfield, auteure dont on ne trouve actuellement rien sur le net. Son scénario, également un midquel, part d'une excellente idée en s'insérant entre le départ de Mrs Peel et la prise de fonction de Tara King. En effet, l'intrigue commence là où l'épisode "Ne m'oubliez pas" se termine, et reprend à ce titre les mêmes images : Steed regardant par la fenêtre de son appartement Emma s'en aller avec son époux... à l'allure évoquant fortement celle de Steed lui-même ! Cette scène iconique de l'histoire de la série (et sur laquelle ont pleuré de nombreux amoureux d'Emma Peel) retranscrite en BD et complétée d'une suite vient raviver la flamme qui sommeillait chez de nombreux fans. En plus de créer un sentiment de familiarité immédiat, elle suscite l'enthousiasme de voir raconter une continuité à cet instant mémorable.
 
Comme un air de déjà-vu ?
 
    Continuité agréable à lire, mais qui ne parvient malheureusement pas à se saisir aussi bien de l'univers des Avengers que G.Morrison a pu le faire. Certes, il y a de bonnes idées et des clins d’œil réussis : Pringle on Sea, petit village déserté où se déroule l'intrigue, nous rappelle fortement Bazeley les Flots de l'épisode "Voyage sans retour", tandis que la miniaturisation des individus renvoie évidemment à "Une mission très improbable". Mais le procédé utilisé, relevant davantage du fantastique que de la science fiction, s'éloigne de l'esprit de la série. De plus, le choix scénaristique d'A.Caulfield force à donner un visage et une personnalité à Peter Peel, l'époux disparu de Mrs Peel, et à expliquer sa ressemblance (illusoire) avec Steed. On réalise alors qu'on aurait préféré rester dans l'incertitude et laisser chacun projeter sur lui ce que bon lui semblait (même si la rencontre entre Steed et Mr Peel, qui n'aurait jamais pu se produire autrement, donne lieu à  des interactions intéressantes).
 

    Parlons à présent du visuel : Ian Gibson, illustrateur de comics principalement connu pour ses BD de pure science fiction, présente un style graphique très ancré dans les années 80. Personnages anguleux et traits caricaturaux, on est loin de la subtilité associée à l'esthétique de Chapeau Melon et Bottes de Cuir. Et pourtant, on doit bien admettre que, passées les premières pages, on oublie son coup de crayon quelque peu déstabilisant et on parvient finalement à retrouver l'atmosphère de la série. Le visage de Steed / Patrick McNee est particulièrement reconnaissable sous certains angles, même si le trait est évidemment fortement bédéisé. La ressemblance avec Mrs Peel / Diana Rigg est moins évidente, mais Ian Gibson lui-même a confié avoir eu plus de mal à saisir la douceur de sa physionomie. On retrouve néanmoins dans certaines vignettes le sourire éclatant du personnage ou ses moues adorables. Tara King / Linda Thorson, n'est quant à elle reconnaissable qu'à sa coiffure tandis que le personnage de Mère-Grand, faute d'autorisation pour reproduire le visage de Patrick Newell, a totalement changé d'apparence.
 
 
    On retrouve en revanche avec plaisir les boiseries de l'appartement de Steed, fidèles au décor de la série, ainsi que sa célébrissime Bentley. Les costumes sont également de la partie puisqu'on reconnait certaines tenues portées par Mrs Peel et directement copiées sur la garde-robe conçue par le designer Alun Hughes, auxquelles Ian Gibson ajoute quelques combinaisons de son invention (notamment un emmapeeler immaculé qu'on aurait bien voulu voir un jour à l'écran). 
 
    Notre première grosse déception est que l'édition française, en noir et blanc, ne permet pas de profiter des couleurs vives de l'impression originale, lesquelles facilitaient l'analogie avec les teintes saturées de la série télévisée. Si le choix du noir et blanc permet d'accentuer certains très beaux clair-obscurs, il durcit parfois les traits estampillés très eighties de Ian Gibson. Le second point négatif est que la traduction a été à l'évidence confiée à quelqu'un qui ne maîtrisait que très relativement l'univers des Avengers ou même les références nécessaires à la transposition en français : la célèbre phrase "We're needed / On a besoin de nous" s'en trouve complètement gâchée, et les allusions au jeu du Cluédo, saccagées. C'est bien dommage...
 

En bref : Une des BD les plus réussies parmi celles adaptées des Avengers ! Malgré un graphisme quelque peu déroutant, ce comics a totalement cerné l'atmosphère unique de la série et se l'est totalement réapproprié, particulièrement en ce qui concerne l'intrigue écrite par G.Morrison. Ces deux épisodes présentent en l'outre l'intérêt de nous raconter des midquels, ce qui offre aux fans l'excellent cadeau d'élargir la mythologie de la série et de ses personnages.
 
 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire