« Ce livre me fait peur. Le processus a été douloureux. Mon père nous a annoncé qu’il n’allait pas tarder à mourir et je me suis mis à écrire. Trois années au peigne fin, mes relations, mes pensées paranoïaques, mon rapport étrange à lui, crachés sur le papier. Je me suis donné pour but de le tuer avant qu’il ne meure. C’est l’histoire de quelqu’un qui cherche à tuer. Soi, ou le père, finalement ça revient au même. »
Panayotis Pascot s’attaque d’une plume tranchante et moderne à trois thématiques qu’il tisse pour composer un récit autobiographique aussi acide qu’ultralucide. La relation au père, l’acceptation de son homosexualité et la dépression s’enchevêtrent ici dans un violent passage à l’âge adulte. Mais la lumière en sort toujours, d’un regard, d’une façon d’observer le quotidien avec autant de tendresse et d’humour que de clairvoyance.
Panayotis Pascot s’attaque d’une plume tranchante et moderne à trois thématiques qu’il tisse pour composer un récit autobiographique aussi acide qu’ultralucide. La relation au père, l’acceptation de son homosexualité et la dépression s’enchevêtrent ici dans un violent passage à l’âge adulte. Mais la lumière en sort toujours, d’un regard, d’une façon d’observer le quotidien avec autant de tendresse et d’humour que de clairvoyance.
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On l'a découvert sortant tout juste de l’œuf du temps où il faisait ses premières chroniques pour Le Petit Journal puis Quotidien, aux côtés de Yann Barthès. Lisse (presque trop), insouciant (presque trop) et décontracté (presque trop), Panayotis était de ceux qu'on jalousait d'être trop drôles et de paraître trop parfaits. Puis, comme par surprise, il avait troqué sa bouille d'ado trop sage pour être honnête contre une moustache et des cheveux en bataille en même temps qu'il avait quitté la télé pour le stand up. Sur scène, on le redécouvre plus naturel et plus drôle que jamais à aborder questions existentielles et tranches de vie aussi intimes qu'universelles, mais qu'il sait raconter comme aucun autre. Panayotis, c'est ce petit cousin qu'on vénère et qu'on déteste à la fois, parce que trop bon dans tout ce qu'il fait.
"On marche un peu. Je me retourne et je vois que les deux traînées qu'on laisse dans la neige se rapprochent de plus en plus depuis la sortie du bar. Comme des droites convergentes en mathématiques au collège. Il y aura forcément un point de rencontre mais je ne sais pas lequel de nous sera la sécante."
Et comme si cela ne suffisait pas, PAF, Pana sort un bouquin. Avant même la publication, les journalistes annoncent l'événement à grand renfort de phrases accrocheuses pour appâter le chaland : "Panayotis dévoile tout !". C'est peu ou prou ce que disent les titres des sites et articles dès lors que vous googlez son nom. Alors, ce bouquin, un grand déballage, mais rien de plus ? Il fallait en avoir le cœur net : on fonce au salon du Livre Sur La Place à Nancy pour l'acheter. La file est hallucinante et le livre a déjà été réimprimé trois fois en deux semaines. Après plusieurs tentatives et de longs moments de solitude au milieu d'ados surexcités, le chroniqueur humoriste auteur vient s'excuser auprès des trois tondus et deux pelés qui font encore la queue, à vingt minutes de la fermeture : il doit filer prendre son train. On se contente d'une dédicace sur le livre tenu à bout de bras pendant qu'il file en direction de la gare. Snif.
"Six ans plus tard je comprendrais que la dépression s'immisce grâce à cette pensée. A quoi ça sert de faire mon lit, je vais le défaire ce soir ? Si on laisse cette pensée gagner on est foutu, c'est l'essence même de la vie de faire pour défaire. Après c'est pourquoi voir mes amis, je pourrais les voir plus tard, pourquoi manger je vais chier, pourquoi tomber amoureux un de ces quatre on va rompre."
On rentre, on lit le livre pendant la nuit. On pleure, on rit, on pleure encore. On ne dort pas. Et force est de constater que c'est bon. C'est très bon. Dans La prochaine fois que tu mordras la poussière, Panayotis Pascot fait plus que "tout déballer". Si les médias n'ont retenu que les révélations sur son homosexualité, ce livre (que l'auteur présente tantôt comme un roman, tantôt comme une auto-fiction) se veut davantage une évocation du passage (compliqué) vers l'âge adulte. La relation père-fils, ambivalente de son traditionnel jeu d'attraction et de répulsion, est à la fois le point de départ et la quête du récit : astre autour duquel tous les enfants gravitent au point de s'y brûler, le pater familias annonce sa mort prochaine. Émerge la nécessité pour le fils de "tuer le père avant qu'il ne meure". C'est cette idée qui trace la ligne principale du texte, cheminement complexe s'il en est, qui permet tour à tour d'aborder la construction de soi à travers la masculinité, ses codes et ses représentations, mais aussi la dépression mélancolique que dissimulait l'insouciance de façade de l'humoriste.
"C'était mon seul souci de la journée ce bol de lait. Rien de bien méchant quand je l'acceptais. Je passais à autre chose. L'école, repérer mes boutons pour savoir quelle zone de mon visage je pouvais exhiber, et quelle zone je devais cacher sous ma main ou en tournant la tête de sorte à toujours les laisser dans l'angle mort des autres. Les devoirs, une poésie à lire aujourd'hui, prends une voix grave. Je naviguais en eau tiède, quel luxe, ça me manque, les soucis me manquent. Le mot c'est ça, soucis, c'était délimité. Il m'engueulait, parfois elle aussi, et c'était terminé, je passais à autre chose, un souci laissait place à un autre et ainsi de suite jusqu'au dodo. Maintenant c'est les problèmes, c'est pas pareil, ça cohabite les problèmes, ça se met en coloc, parfois ça baise ensemble, jusqu'à créer un nouveau petit problème que t'avais pas vu venir."
La prochaine fois que tu mordras la poussière nous fait redécouvrir la figure qui s’effrite derrière le vernis : celle d'un jeune garçon pas très doué pour le bonheur qui, pour parvenir à dormir, est obligé de se délester en écrivant tout ce qui lui pèse sur l'estomac pendant ses nuit d'insomnie. La plume est fulgurante, habitée d'une forme d'urgence qui ne s'encombre pas de ponctuation, restituant ainsi l'empressement de coucher sur le papier avant d'oublier. A le lire, on perçoit le rythme auquel affluent ses pensées et l'arborescence qui se construit entre les événements vécus et la couleur qu'il leur donne. Panayotis Pascot se révèle à travers un style aussi rock que poétique, maniant les mots et la métaphore avec naturel et brio. Tout comme Rimbaud, Panayotis "écrit des silences, des nuit, note l'inexprimable et fixe des vertiges".
"J'avais dix-huit ans, je travaillais à la télévision, je venais de passer de l'agitation d'une maison familiale à un appartement tout triste de vingt-huit mètres carrés, ressenti quinze, sans personnalité, à Daumesnil, quartier Ehpad, rempli de vieux de droite qui attendent que la mort (qui est clairement de gauche puisqu'elle attrape tout le monde sans distinction) vienne les choper dans leur sommeil."
Récit de contrastes et de nuances, La prochaine fois que tu mordras la poussière est parfois très cru lorsque Panayotis Pascot aborde sa sexualité, mais il ne l'est jamais gratuitement. Mieux que ça, il persiste même dans ces passages sans concession une certaine pudeur, voire de la tendresse. Il en est de même dans l'évocation, très juste, de sa dépression : sans pathos ni embellissements, il trouve le ton pour raconter la part de soi qui flanche avec une honnêteté qui rend le témoignage utile pour son prochain. Parce que les tranches de vie intimes qu'il nous raconte ont une portée universelle, ses doutes, ses angoisses et ses questions font écho en nous.
"La mémoire c'est la vie sans l'urgence de la vie, sans la gravité, c'est l'espace sans le temps. C'est un endroit qu'on façonne, une zone de confort, où l'on peut revivre, une deuxième fois, sans le poids des conséquences, des nuits d'angoisse. Je comprends qu'on ait envie d'y vivre. J'ai lu quelque part que la mémoire fonctionne à l'impression. C'est-à-dire que plus on repense à un souvenir, plus il s'imprime, prend de la place et plus il pousse vers les oubliettes d'autres souvenirs qu'on se rejoue moins souvent. On fixe donc où on veut la frontière entre ce qu'on oubliera et ce qui restera, il faut bien faire son choix."
En bref : Cru sans être trash, intime sans être impudique, touchant sans le pathos, émouvant sans les clichés, La prochaine fois que tu mordras la poussière est la révélation de cette rentrée littéraire 2023. Panayotis Pascot y raconte le mal de père et la difficile transition vers l'âge adulte d'une jeunesse qu'on aurait pu croire dorée, mais dont le vernis s'écaille face à la difficulté de vivre le bonheur. Jamais dans l’autoapitoiement, le jeune auteur donne à lire une plume vive, alerte et particulièrement évocatrice. Le résultat remue autant qu'il enchante et nous laisse exsangue une fois le livre refermé.
Et pour aller plus loin...
Panayotis parle de ses lectures, et il en parle bien :
Je regarde tellement peu la télé que je n'arrive plus à remettre un visage sur cette acolyte du Petit journal, que j'aimais bien regarder il y a quelques années. Je ne serais pas allée naturellement vers ce livre mais tu en parles décidément très bien. Merci pour la découverte !
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