The Sunday philosophy club, Little Brown UK, 2004 - Editions des Deux Terres (trad. de F.Rosso), 2005 - Editions 10/18, 2006 - Editions du Masque, 2018.
Pour Isabel Dalhousie, la présidente du Club des philosophes amateurs
d'Édimbourg, une soirée à l'opéra est toujours un moment de repos et de
sérénité. Mais lorsqu'à la fin de la représentation, un jeune homme en
tombant d'un balcon meurt à ses pieds, elle sait que ce n'est pas pour
ses beaux yeux. Toujours prête à s'interroger sur l'éthique de ses actes
et de ceux de ses contemporains, cette adepte de la vérité ne croit pas
un instant à la thèse de l'accident. Miss Dalhousie va alors découvrir
que même la tranquille capitale écossaise est désormais gagnée par les
appétits modernes, aussi voraces qu'immoraux.
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Chez books-tea-pie, Alexander McCall-Smith est l'un de nos auteurs favoris : sa série des Chroniques d'Edimbourg (44 Scotland street et ses suites) – dont la traduction et la publication ont malheureusement été avortées en France – est de nos meilleurs coups de cœur de lecture. Internationalement connu pour avoir créé le personnage de Mma Precious Ramotswe, première femme détective du Botswana, A.McCall-Smith a d'abord été professeur de droit appliqué à la médecine et membre du comité de bioéthique de l'UNESCO. La philosophie, la sociologie et l'éthique sont étroitement associées à sa personne, aussi émergent-elles sensiblement dans son écriture, entre deux notes d'humour british. Le club des philosophes amateurs, premier tome de la série policière éponyme créée en 2004, a connu sa première édition française grand format aux éditions des Deux Terres puis en poche chez 10/18 avant de bénéficier de cette récente réédition par Le masque / J.C.Lattès. L'engouement actuel pour les cosy mysteries façon Détectives du Yorkshire et Agatha Raisin a probablement influencé le nouveau visuel illustré, très évocateur, de cette nouvelle édition...
"Lorsqu'on est témoin d'un accident mortel, on ne tremble pas sur le coup. C'est plus tard, en se souvenant de la scène, qu'on frémit, lorsqu'on réalise à quel point notre vie tient à peu de chose, et avec quelle facilité elle peut nous être enlevée. A chaque instant."
Ce premier opus nous fait donc découvrir Miss Isabel Dalhousie. Philosophe d'une quarantaine d'années vivant dans une grande maison au sud d'Edimbourg, Isabel Dalhousie est issue d'un milieu bourgeois et profite d'un héritage conséquent qui lui permet de pouvoir partager sa vie entre les mots croisés, la direction de la Revue d'éthique appliquée (dont elle se contente de corriger les épreuves depuis son salon) et la présidence de son club de philosophes amateurs (qu'elle tente de réunir, apparemment en vain, chaque dimanche). Lorsqu'elle ne s'adonne pas à ces trois activités, elle discute nature humaine et questions de morale avec Grace, son employée de maison au caractère bien trempé mais à l'instinct sans faille, sa nièce Cat, jeune et séduisante propriétaire d'une épicerie à la recherche du prince charmant (mais dont les prétendants convainquent rarement Isabel), ou Jamie, l'ex-petit ami de Cat, qu'Isabel regrette tellement qu'elle s'est liée d'amitié avec lui. Lors d'une soirée à l'opéra, Isabel assiste à la chute d'un spectateur depuis le paradis, la rangée située la plus en hauteur. L'expression de choc que la quadragénaire lit dans les yeux du cadavre l'incite à suspecter un meurtre et non un suicide comme tout le monde le pense. Curieuse de nature et encore plus lorsque la marche du monde lui parait illogique, Isabel se met en quête de découvrir la vérité... quitte pour cela à poursuivre ses investigations dans les plus importantes sociétés financières d'Edimbourg, où ses recherches la conduisent...
"— Cela aussi peut arriver. Des gens meurent parce qu'on les a poussés. D'autres parce qu'ils ont glissé."
"On est jamais gêné par ceux qu'on aime. Tout au plus ressent-on un malaise diffus, plus qu'une gêne à proprement parler. On leur pardonne leurs défauts ; souvent, on ne les remarque même pas."
Amateurs de polar ou de thriller conventionnels, attention : Alexander McCall-Smith nous sert un roman policier d'un style très nouveau! A l'image des Chroniques d'Edimbourg où le quotidien d'une bande de voisins de palier amène à s'interroger sur la nature humaine, Le club des philosophes amateurs alterne enquête (légère) et (vastes) digressions philosophiques. On retrouve par ailleurs des références scientifiques, poétiques et littéraires communes aux deux séries (ainsi que certains éléments du scénario, comme les pantalons couleurs de fruits rouges ou les jeunes adonis à l'égo surdimensionnés – les lecteurs des Chroniques d'Edimbourg comprendront). Pour autant, Le club des philosophes amateurs a bien évidemment son ton propre ; l'accent mis sur la réflexion philosophique et sur les questions de morale constitue un leitmotiv unique et original au fil d'une enquête dont les éléments et événements viennent sans cesse interroger la sagacité intellectuelle de l'héroïne. Ainsi, ce que le lecteur pourrait considérer comme des détours sont en fait des supports ou des éclairages constitutifs de l'univers créé par A.McCall-Smith ou dans la résolution du crime.
"Ne moquait-on pas la
psychanalyse en remarquant – non sans justesse – que si l'on tenait le
tennis pour un substitut du sexe, il se pouvait aussi bien que le sexe
soit un substitut du tennis?"
"Des propositions érotiques dont on était l'objet, on ne devrait jamais rien dévoiler, estimait-elle. Les accepter ou les refuser, mais se taire."
Cet univers chaleureux et cosy comme tout nous invite à arpenter les galeries d'Art ou profiter d'un concert symphonique avant de se réfugier sous un plaid en tartan, whisky à la main ou attablé devant une assiette de risotto maison. Les protagonistes, jamais excessifs, sont très attachants : la curiosité d'Isabel n'a de fait rien à voir avec celle d'une Agatha Raisin, dont la personnalité tire vers la parodie. Ici, elle tient de quelque chose de plus noble et est animée par une volonté altruiste de l'héroïne, même si cela l'emmène sur des chemins parfois sinueux, voire dangereux lorsqu'il s'agit de se mêler de meurtre.
"Ainsi observait-elle, intriguée, des catholiques dévots qui se signaient dès qu'on mentionnait la Bien-heureuse Vierge Marie – ou la "BVM", comme disaient certains (et le sigle lui plaisait, qui rendait Marie si rassurante par sa modernité et sa compétence, comme une DRH ou une SICAV, voire une BMW)."
Si l'on craint à un moment donné que les nombreuses méditations d'Isabel et l'atmosphère réconfortante d'Edimbourg n'étouffent tous les aspects polarisants du roman, l'intrigue policière parvient au milieu de tout ça à garder une certaine cohérence et, même, toute sa place. Les fausses pistes, nombreuses, semblent mener l'héroïne et le lecteur vers une solution toute tracée et plutôt commune avant que celle-là ne bifurque soudain sur une révélation inattendue et surprenante mais satisfaisante. A.McCall-Smith invente avec Le club des philosophes amateurs un nouveau genre de polar.
"Les grandes décisions comme le mariage sont trop souvent le résultat de circonstances assez chaotiques."
"Quant aux révélations sur les amours et coucheries des autres, grassement monnayables pour peu qu'il s'agit de gens célèbres, rien ne semblait plus appétissant aux vulgaires curieux, qui formaient des légions innombrables. Pourtant tout être humain avait droit à ses secrets, estimait Isabel, et à l'assurance qu'au moins une part de sa vie resterait pour toujours intime et ignorée ; car, à défaut, c'était son identité même que ces intrusions meurtriraient.
Puisse l'intimité demeurer inviolée, concluait-elle, peu soucieuse de l'air du temps."
En bref : Un polar d'un nouveau genre qui plaira moins aux inconditionnels des romans policier classiques qu'aux amateurs d'éthique et de sciences humaines à la sauce british. Atmosphère cosy, écriture flegmatique et philosophie sont les maîtres mots de ce Club des philosophes amateurs, qu'il nous tarde déjà de retrouver dans un prochain tome...
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