1885 : comme chaque année, à la Salpêtrière, se tient le très mondain «
bal des folles ». Le temps d’une soirée, le Tout-Paris s’encanaille sur
des airs de valse et de polka en compagnie de femmes déguisées en
colombines, gitanes, zouaves et autres mousquetaires. Cette scène
joyeuse cache une réalité sordide : ce bal « costumé et dansant » n’est
rien d’autre qu’une des dernières expérimentations de Charcot, adepte de
l’exposition des fous.
Dans ce livre terrible et puissant, Victoria Mas choisit de suivre le destin de ces femmes victimes d’une société masculine qui leur interdit toute déviance et les emprisonne. Parmi elles, Geneviève, dévouée corps et âme au célèbre neurologue ; Louise, abusée par son oncle ; Thérèse, une prostituée au grand cœur qui a eu le tort de pousser son souteneur dans la Seine ; Eugénie enfin qui, parce qu’elle dialogue avec les morts, est envoyée par son propre père croupir entre les murs de ce qu’il faut bien appeler une prison.
Dans ce livre terrible et puissant, Victoria Mas choisit de suivre le destin de ces femmes victimes d’une société masculine qui leur interdit toute déviance et les emprisonne. Parmi elles, Geneviève, dévouée corps et âme au célèbre neurologue ; Louise, abusée par son oncle ; Thérèse, une prostituée au grand cœur qui a eu le tort de pousser son souteneur dans la Seine ; Eugénie enfin qui, parce qu’elle dialogue avec les morts, est envoyée par son propre père croupir entre les murs de ce qu’il faut bien appeler une prison.
Un hymne à la liberté pour toutes les femmes que le XIXe siècle a essayé de contraindre au silence.
***
"Un dépotoir pour toutes celles nuisant à l'ordre public. Un asile pour
toutes celles dont la sensibilité ne répondait pas aux attentes. Une
prison pour toutes celles coupables d'avoir une opinion."
Une fois n'est pas coutume : pour parler de ce livre-là comme de tant d'autres, nous arrivons après la fête. Couronné Prix Renaudot des lycées et Prix Première Plume 2019, Le bal des folles nécessite-t-il encore d'être présenté ? Nous répondons un grand OUI : à quelques jours de la sortie de son adaptation en film par Mélanie Laurent, il était plus que temps de replonger dans ce livre profondément marquant.
"Entre l’asile et la prison, on mettait à la Salpêtrière ce que Paris ne savait pas gérer : les malades et les femmes."
Paris, fin XIXème siècle. Au cœur de la Belle Époque, Eugénie sait bien qu'on gagne mieux à être un homme. Cette jeune fille issue d'une famille bourgeoise, bien que vivant dans un milieu aisé, n'a pas son mot à dire à la maison. C'est pour cette même raison qu'elle garde précieusement secret le don qu'elle semble posséder depuis toujours : Eugénie voit des esprits. S'il advenait que quelqu'un l'apprenne, on ne chercherait pas à comprendre et elle rejoindrait les cellules de la Salpêtrière. La Salpêtrière, c'est cet asile pour les femmes que la raison a quittées, mais aussi pour celles qui s'opposent à leur mari, celles qui prétendent êtres égales de l'homme, celles qui revendiquent leur indépendance, bref, pour toutes celles qui refusent d'entrer dans le rang. Lorsqu'Eugénie prend finalement le risque d'avouer son secret à sa grand-mère, elle pense que son aïeule se montrera digne de sa confiance... Mal lui en prend : quelques temps plus tard, son frère et son père, sous prétexte d'une sortie en ville, la déposent aux portes du célèbre hospice pour qu'elle y soit internée. Dans cette institution où le professeur Charcot règne en maître et met en scène ses internées sous les yeux avides de centaines d'hommes, Eugénie découvre une communauté de filles, femmes et vieilles femmes aux destins tous aussi divers que tragiques. Même Geneviève, l'austère infirmière en chef de la Salpêtrière, pourrait révéler bien des surprises...
Hôpital de la Pitié Salpêtrière.
"Des années à la Salpêtrière lui avaient fait comprendre que les rumeurs
faisaient plus de ravages que les faits, qu’une aliénée même guérie
demeurait une aliénée aux yeux des autres, et qu’aucune vérité ne
pouvait réhabiliter un nom qu’un mensonge avait souillé."
Premier roman de l'auteure Victoria Mas, Le bal des folles met en lumière un événement oublié du XIXème siècle : le bal de la mi-Carême organisé à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière. S'il semble aujourd'hui totalement monstrueux d'exhiber des patientes atteintes de démence au cours d'une fête ouverte au public pour satisfaire le seul voyeurisme de la populace, il s'agit bien là d'un fait divers véridique. Grand projet du professeur Charcot, en son temps sacré éminent spécialiste de l'hystérie, le bal masqué organisé à l'occasion du Mardi-Gras recevait des invités triés sur le volet pour venir s'encanailler avec les "folles" de l'hôpital. Sous prétexte de leur faire fréquenter du public "pour leur bien" en ouvrant les portes de cette prison sanitaire, cette attraction aussi peu éthique qu'une parade de monstres de foire attirait alors surtout la belle bourgeoisie parisienne que le besoin de catharsis et la curiosité dévoraient.
Illustration d'époque du bal de la Salpêtrière.
"Médecins, préfets, notaires, écrivains, journalistes,
politiciens, aristocrates, tous membres de la sphère parisienne
privilégiée, attendent le bal avec une euphorie identique à celle des
folles."
En prenant comme élément central cet événement phare du XIXème siècle parisien, Victoria Mas crée une galerie de personnages fictifs, femmes de tout âge et de milieux divers que la malchance mais surtout la société patriarcale a conduit à la Salpêtrière. Au centre, deux figures que tout oppose sont plus particulièrement mises en exergue: Eugénie, la "folle", et Geneviève, infirmière en chef qui adule le travail de Charcot et qui se persuade du bien fondé de ses méthodes. En arrivant à l'asile, la première va ébranler les croyances de la seconde et, tandis que se préparera le bal de la mi-Carême 1885, les destins désormais liés des deux héroïnes vont entraîner un enchainement de bouleversements intimes et sociaux qui vont faire résonner les voix de ces nombreuses femmes bafouées et malmenées.
Illustration de presse représentant Charcot en pleine séance d'hypnose devant ses étudiants.
"La maladie déshumanise ; elle fait de ces femmes des marionnettes à la
merci de symptômes grotesques, des poupées molles entre les mains de
médecins qui les manipulent et les examinent sous tous les plis de leur
peau, des bêtes curieuses qui ne suscitent qu’un intérêt clinique."
En restituant les scènes d'hypnose publiques et profondément maltraitantes du professeur Charcot, en convoquant les fantômes de Jane Avril (ancienne internée devenue reine des cabarets) et d'Augustine Gleizes (patiente star de Charcot, qui finira par s'enfuir de la Salpêtrière, déguisée en homme) et en surbrodant sur la réalité sanitaire du XIXème siècle un drame polyphonique intimiste et combatif, Victoria Mas fait du Bal des folles un devoir de mémoire réussi doublé d'une fiction profondément touchante. Il subsiste dans le style quelques accents propres à l'écriture d'un premier roman, mais ils s'accordent à merveille à la psychologie de ces héroïnes fortes et fragiles à la fois et ne gâchent en rien le propos du livre, qui reste évidemment, à l'ère du mouvement Me Too, furieusement d'actualité.
Augustine Gleizes dans un état second suite à une séance d'hypnose (à gauche) ;
Jane Avril, ancienne patiente de la Salpêtrière devenue célèbre danseuse (à droite)
En bref : Un premier roman fort qui met en lumière un événement historique oublié mais particulièrement révélateur des abus de la société patriarcale. Au croisement d'éléments véridiques et d'éléments de fiction, Victoria Mas se fait l'écho de toutes ces femmes enfermées, malmenées et maltraitées. Avec Le bal des folles, elle leur rend leur liberté.
Hélas comme c'est triste, aujourd'hui on peut encore en se promenant dans l'enceinte de la Salpétrière, voir les sinistres pavillons de ces internées, avec leurs petits bancs pathétiques sous la véranda.
RépondreSupprimerIl paraît que les anciens bâtiments de la Salpêtrière ont gardé l'austérité de l'époque...
SupprimerAs tu lu ce livre? J'y ai pris le même plaisir qu'avec un Mary Hooper.
J'ai beaucoup de mal à comprendre ce qu'apportent les deux scènes violentes qui auraient pu être passées sous ellipse ; l'alternance entre passé simple et plus-que-parfait pour raconter les flashbacks m'a horripilée ; et la fin trop rapide m'a laissée sur ma faim. Désolée, je suis sévère, déformation professionnelle ! Mais à part ça, j'admets que c'est un bon roman, bien fichu, avec des personnages intéressants et souvent nuancés, un style plutôt bon et un bon rendu de l'atmosphère de l'époque. Une autrice à suivre.
RépondreSupprimerLa prochaine fois que tu viens à Paris on ira visiter la Salpêtrière !